jeudi, février 25, 2021

"Les Carpates" de Janet Frame (Nouvelle-Zélande)


Prenez une Américaine disposant d’une confortable fortune, et qui souhaite « connaître le monde ». Baptisez-la Mattina.

Expédiez-la en Nouvelle Zélande, pour qu’elle découvre « la vraie vie » ou « les vrais gens », dans une petite ville, à Puamahara, qui a vu naître la légende maorie de la « Fleur du Souvenir ». Faites-la résider rue Kowhai, d’où elle pourra rencontrer ses voisins pendant deux mois.

Il y a l’accordeur de piano, sa femme et leur fille autiste, il y a le veuf qui tond sa pelouse, il y a le dépanneur informatique qui teste des simulateurs de vol chez lui, l’ancien prisonnier de la guerre qui se croit encore dans les camps (voir l’extrait en fin de chronique) et il y a enfin une femme qui se dit écrivain mais surtout « impostrice ». Toutes ces personnes ne sont plus toute jeunes – et c’est une caractéristique qui aura son importance pour la suite.

Et des fleurs. Beaucoup de végétation dans ce petit village de Nouvelle Zélande, où le jardinage semble être un passe-temps très commun.

Et des souvenirs ? Que signifie cette légende de la « Fleur du souvenir » dont on voit les pancartes un peu partout ? Un simple « attrape-touriste », piège dans lequel Mattina serait tombée ?

Pas si simple.

Derrière la vie de quartier dans les années 70 d’une province qui se modernise peu à peu, derrière les façades propres et coquettes il ne se passe pas grand-chose. Tout cela ne serait sans doute que très banal – la vie paisible d’une rue d’une petite ville de Nouvelle-Zélande – si l’autrice n’introduisait pas à partir de la page 220 un élément insolite : « l’Etoile de la gravité ». Cet astre fictif, distant d’environ 7 Milliards de kilomètres, provoque des effets étranges comme la désintégration du langage.

mardi, février 23, 2021

"Les Orages" de Sylvain Pruhomme (France)

 


À
la fin de Par les routes, Sylvain Prudhomme évoquait longuement « The famous blue raincoat ». Parlant à la radio de son dernier livre Les orages, c’est une autre ballade de Leonard Cohen qu’il convoque, Anthem et ces mots précisément : « There is a crack in everything/ That’s how the light gets in ». Dans chaque chose il y a une fêlure/Et c’est par là que passe la lumière.

Et c’est bien de cela qu’il s’agit, de fêlures et de lumière, dans les treize nouvelles de ce nouvel opus, Les Orages paru en janvier chez Gallimard dans la collection L’Arbalète.

Les orages, ce sont ceux que la vie parfois nous réserve, les moments de bouleversements intimes, les moments où tout bascule ou peut basculer. Et c’est ce que racontent ces treize nouvelles. Treize, nombre symbolique, ce qui fait que l’on ne peut s’empêcher de penser à Nerval, même si cela n’a rien à voir (« La Treizième revient…c’est encore la Première »).

lundi, février 22, 2021

"L'Odeur d'un père" de Catherine Weinzaepflen (France)

 


Son père lui avait fabriqué un album relié en peau de serpent, dont la couverture portait en lettres d'or : Souvenirs d'Afrique… et même si ce titre s'accompagnait d'un millésime, on a le sentiment, à la lecture de L'Odeur d'un père, que les photos s'en sont envolées par poignées, comme ces papillons orange, jaunes, turquoise qu'il lui avait appris à capturer. Les photos éparpillées se chevauchent, on est toujours de plain-pied avec le présent : Quand j'ai onze ans, je découvre que l'odorat est mon sens de prédilection… Quand j'ai trois ans, je suis seule dans la grande cour… Quand je ne suis pas née… Quand j'ai seize ans, tu me gifles… Quand j'ai trente ans et plus, tu tombes malade… avec une occurrence dominante, celle des onze ans, l'âge clé.

samedi, février 06, 2021

"Un père étranger" de Eduardo Berti, traduction J.-M. Saint-Lu (Argentine)



C’est avec grand plaisir qu’on retrouve Eduardo Berti,écrivain argentin né en 1964, auteur d’une œuvre déjà conséquente, membre de l’Oulipo et qui nous entraîne, dans ce nouvel opus, en Amérique du sud, en France, en Europe centrale et en Angleterre.

Ce « Père étranger » qui vient de paraître à la Contre Allée est un étonnant jeu de miroirs qui met en scène un fils écrivain, l’auteur lui-même, qui cherche à comprendre son père qui vient de mourir et lui a laissé en héritage un roman inachevé, « La Dé
route ». Dans le même temps le fils écrit ou tente d’écrire une biographie romancée de Joseph Conrad et pour ce faire se rend dans le Kent, à Pent Farm, où ce grand écrivain a vécu à une période de sa vie avec sa femme Jessie et son fils Borys.

mercredi, février 03, 2021

"Comme un empire dans un empire", de Alice Zeniter (France)

 

Prenez deux personnages principaux.

Prenez un assistant parlementaire, prénommez-le Antoine et décrivez sa vie (à vous dégoûter pour toujours de postuler sur ce genre de fonction).

Prenez une hackeuse, ne lui donnez pas de prénom, seulement la première lettre d’un prénom – L – (elle ?).

Faites- les se rencontrer. Mais pas trop vite (attendez la page 122 pour qu’ils se croisent à une soirée) et ensuite la page 230 pour qu’ils se voient à nouveau dans un bar.

Essayez de tisser un roman avec tout ça.

Chacun a un « dedans » : L vit essentiellement au travers d’Internet, et fuit le monde du « dehors ». Antoine vit dans le monde du politique, tout aussi enfermant.

Qu’est-ce qui les relie ? Un âge similaire – ce sont des trentenaires – et sans doute un milieu parisien, même si ni l’un ni l’autre n’en sont issus. Mais aussi une forme de désillusion (plus d’idéaux dans lesquels s’engager aujourd’hui) et surtout une profonde lassitude, même si L a rencontré Elias, son double hacker. Mais celui-ci s’est fait arrêter et il lui manque profondément. Une forme de dépression les unit donc tous les deux.

Quant à Antoine, il se rêve écrivain – bien sûr, parce que comme de très nombreux Français (on les estime à 10% de la population, ce qui fait tout de même près de 6 Millions de Français) il voit en rêve son nom en tête de gondole de toutes les bonnes librairies parisiennes. Mais il peine à écrire.

Tout le problème provient du choix de ces deux personnages : si, comme moi, vous n’êtes pas très au fait du monde du dedans d’un hacker, l’auteur va bien devoir vous expliquer comment ça fonctionne. D’où un  long développement plutôt didactique pour qu’on arrive à suivre les aventures de L.

Un peu plus facile pour le monde politique, l’auteur va tout de même passer du temps à nous expliquer ce que fait un Assistant parlementaire, profession qu’on ignorait jusqu’ici jusqu’à ce qu’un candidat à la Présidentielle ne fasse irruption sur la scène médiatique, au sujet de sa prétendue assistante parlementaire qui n’était autre que son épouse.

Sur le plan sociologique, tout y est : on se replonge aussi dans une période très proche du point de vue du calendrier (tiens, Nuit Debout! ah oui on avait un peu oublié) ou la révolte des Gilets jaunes, mais lointaine depuis de nos préoccupations quotidiennes. La question du déterminisme social est aussi très bien traitée (Antoine n’en sortira pas si facilement, à l’image de « Leurs enfants après eux », de Nicolas Mathieu, Goncourt 2019).

C’est documenté, il n’y a rien à dire de ce côté.