mercredi, novembre 28, 2012

Andrea Echeverri

Vous avez aimé la musique du film Perder es cuestión de método : vous serez ravis d'apprendre que sa chanteuse a reçu un prix :
http://m.semana.com/enfoque-principal/terca-como-mula-canto-como-ninguna/188224-3.aspx

Des nouvelles de la FIL...

et ce livre de Gabriel García Márquez...
http://blogs.elpais.com/papeles-perdidos/2012/11/entre-premios-y-homenajes.html
à suivre...
plus d'informations sur la Foire du Livre de Guadalajara
http://www.fil.com.mx/
(le Chili est le pays invité cette année)

mardi, novembre 20, 2012

Notre festival a connu un beau succès !

C'est un beau succès qu'a connu le festival du cinéma colombien organisé ce week-end par notre association, Amitiés franco-colombiennes de Montpellier.
Le film projeté en ouverture, vendredi soir, a été très apprécié : Perder es cuestión de método (Perdre est une question de méthode), de Sergio Cabrera.



Patrick Bedos présente au public de la salle Rabelais (à Montpellier) le film Perdre est une question de méthode, de Sergio Cabrera.

La table ronde du samedi après-midi, sur le thème "Littérature et cinéma colombiens : l'esthétique de la violence", a également recueilli tous les suffrages.

Christian Gros, sociologue, professeur émérite à l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine, nous a décrit la situation de la Colombie, prise depuis de nombreuses années entre différents acteurs entretenant une violence continuellement et quotidiennement présente, tant en milieu urbain qu'en milieu rural. Il nous a invité à faire la différence entre les chiffres (nombre de morts, de déplacés, inégale répartition des terres, …) qui permettent de mesurer statistiquement la violence, et la violence effectivement ressentie par la population. Il a dressé un panorama très complexe et contrasté de ce pays qui doit affronter différentes problématiques dans les domaines politique et socio-économique, mais qui enregistre un taux de croissance relativement élevé, et qui possède de grands atoûts, notamment une population formidable et chaleureuse, qui fait que tant de personnes tombent amoureuses du pays.
Carlos Tous, doctorant en littérature colombienne, a rappelé qu'à partir des années 1980 la violence est aussi liée aux cartels de la drogue, en plus de celle des FARC et de la guerrilla. Mais la situation se modifie, et la nouvelle génération d'écrivains cherche à questionner l'Histoire et à représenter la violence d'une autre façon. L'intérêt de la littérature sera de tenter d'aller montrer ce qui se trouve derrière des chiffres ou derrière les faits divers que l'on peut lire dans les journaux. Ces écrivains insistent sur la cause de cette violence : la pauvreté est un état de violence. Nous retrouvons dans ces romans contemporains (et dans les films pour ceux qui ont été adaptés au cinéma) une forte critique politique : critique du gouvernement, de la religion et de l'Eglise. Par exemple, on notera dans le roman (adapté au cinéma) de Fernando Vallejo, La Virgen de los sicarios (remarquons au passage le jeu sur les mots « Virgen de los milagros ») une forte critique de l'Eglise, qui amène à une banalisation de l'acte de violence (le sang est partout, la couleur rouge sur fond noir et blanc rappelle le tricolore du drapeau : rouge, bleu, jaune...). C'est à travers une parodie de la violence qui a touché la ville de Medellín pendant les années Pablo Escobar, que l'auteur parvient à plonger le lecteur dans la dure réalité.
Puis Patrick Bedos, programmateur de cinéma, nous a expliqué l'intérêt du film noir : comprendre une société. L'essentiel n'est pas vraiment de savoir qui a tué, mais de découvrir, au fil de l'enquête, tout un monde. Le film Perder es cuestión de método, de Sergio Cabrera, est fidèle au roman de Santiago Gamboa. On y trouve une véritable interrogation sur un passé, un présent, un futur. Le personnage de Estupiñán, l'acolyte du détective Silanpa, est très intéressant sociologiquement, de même que de nombreux personnages secondaires (le groupe de nudistes, les politiciens corrompus, …) : on peut dire que tout cela constitue l'humanité du cinéma. Ce film montre pourquoi et comment le Colombien moyen a envie de se battre pour une nouvelle Colombie. L'esthétique du film témoigne d'un engagement militant (le véritable mal de la Colombie est la corruption, notamment celle des élites). Par ailleurs, ce qui donne toute sa force au film, c'est l'humour distancié. Nous sommes face à une esthétique de la violence très particulière : réel et imaginaire ont ici une relation complexe. Le rire est un outil nécessaire, qui permet une prise de distance de la part du spectateur.

L'échange avec le public fut très intense et enrichissant. Un grand merci à tous les participants, et tout particulièrement aux membres de notre comité de lecture !

Nous remercions chaleureusement les trois intervenants à la table ronde, ainsi que Paula Cadenas, co-animatrice du comité de lecture de l'AFCM, modératrice ce jour, et Maria Inés McCormick et Michèle Montagut, toutes deux membres de notre comité de lecture, qui ont sélectionné et lu des extraits du roman de Santiago Gamboa, Perdre est une question de méthode. En voici un :

«Ils roulèrent sur le périphérique jusqu'à la 92ème rue. Il avait mal à la gorge, un peu de fièvre et en arrivant à la 7ème avenue, il eut une violente quinte de toux. Il ne manquait plus que ça. En sortant le spray contre le mal à la gorge qu'il avait acheté le matin même, il sentit un coup de frein. Levant les yeux, il vit que le chauffeur tenait un revolver braqué sur lui, à quelques centimètres de son nez.
- Lâche ça, connard ! Lâche ça ! Ou je te fais sauter la cervelle. Sa main tremblait. Les voitures qui suivaient s'étaient mises à klaxonner.
- Je ne sais pas de quoi vous parlez, monsieur. La voix lui manquait. Ce n'est pas...
- Làche-le, connard ! Voleur de merde ! Jette-le par terre ou je t'éclate le crâne !
- Mais c'est un truc pour le mal à la gorge ! Regardez ! Il se fit gicler la moitié du flacon dans la bouche. Regardez ! Regardez !
Le visage du chauffeur de taxi se décontracta peu à peu. Ses yeux cessèrent de jeter des flammes. Aux traits déformés par la fureur, succéda un vague air d'étonnement.
- Alors ce n'est pas un gaz paralysant ?
- Du gaz ? Mais vous avez bien vu que j'ai avalé presque tout le flacon !
Les klaxons de voitures se firent pressants et le chauffeur baissa son arme tout confus.
- Excusez-moi, monsieur. J'ai cru que je me faisais attaquer. Je dois vous dire que depuis que vous êtes monté, avec cette allure... »

samedi, novembre 10, 2012

Le programme du festival de cinéma



Voici le programme du festival de cinéma organisé par notre association, Amitiés franco-colombiennes de Montpellier, salle Rabelais à Montpellier (du vendredi 16 au dimanche 18 novembre 2012).

A noter tout particulièrement :
la table ronde "Littérature et cinéma colombiens : l'esthétique de la violence". Avec Christian Gros, sociologue, professeur émérite à l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine - Université de Paris III ; Patrick Bedos, programmateur de cinéma ; Carlos Tous, doctorant en littérature colombienne. Modératrice : Paula Cadenas, spécialiste en littérature comparée. 

L'entrée est libre pour la table ronde.
Petite restauration sur place.
Tous les films sont en espagnol sous-titrés en français.
Entrée 4 euros, pass festival 10 euros, 5 euros étudiants (pass culture).

mardi, octobre 30, 2012

L'écrivain et l'autre

Carlos Liscano est né à Montevidéo, en Uruguay, en 1949. Il a subi dès l'âge de 22 ans la terrible répression de la dictature des militaires : il fut emprisonné et torturé pendant 13 ans. Il est romancier, nouvelliste, poète et journaliste. Ses œuvres sont traduites en français et dans plusieurs langues. Les plus connues sont La route d'Ithaque et Le fourgon des fous.

Ce livre est un superbe essai sur la littérature et sur l'écriture. 
Rien à dire de plus qu'à laisser parler le texte de Carlos Liscano, comme une mise en bouche pour susciter chez le lecteur, à travers ces extraits, une envie d'en lire davantage... :

« Tout écrivain est une invention. Il y a un individu qui est un, et un jour il invente un écrivain dont il devient le serviteur ; dès lors il vit comme s'il était deux. Celui qui veut être écrivain doit inventer l'individu qui écrit, ou l'individu qui va écrire ces œuvres, car lorsque le serviteur l'invente l'écrivain n'existe pas encore. »

« Se justifier, se comprendre, se réaliser, se distraire à travers l'écriture. Parce que le moi se définit en écrivant. Parce qu'on devient meilleur lecteur en écrivant. Comme quelqu'un qui acquiert la conscience de la parole puis ne peut cesser d'écouter les gens dire des choses sans signification objective et est fasciné de voir tout le temps les bouches s'ouvrir pour ne rien dire. Il en va de même avec l'écriture. A partir d'un certain moment de la réflexion on lit et on se demande non pas comment il est possible que quelqu'un ait écrit cela, parce qu'on peut écrire sur n'importe quoi, mais comment il a pu l'écrire de telle façon. Jusqu'au jour où, en lisant, on est surpris : J'aurais bien aimé écrire ça. C'est le meilleur éloge qu'un écrivain puisse faire à un autre. » 

Rachel Mihault

L'écrivain et l'autre, Carlos Liscano, Belfond, 10/18, 2007

 

lundi, octobre 22, 2012

35 morts

35 morts
de Sergio Alvarez
(traduction de Claude Bleton)
Fayard, 2012
(éd. originale : 35 muertos, Alfaguara, 2011)


Sergio Alvarez est un écrivain colombien, né en 1965 à Bogota. Après avoir travaillé comme scénariste pour la télévision, le cinéma et la publicité, il publie son premier roman, La lectora, qui sera primé et traduit en plusieurs langues. Pour écrire 35 morts, il a consacré une dizaine d'années à une recherche conséquente sur l'histoire et le milieu de la drogue en Colombie.

A travers l'histoire d'un personnage à la dérive, qui tour à tour mène des combats politiques, tombe amoureux, affronte des narcotrafiquants, lutte avec un groupe de paramilitaires... il dresse un panorama pessimiste de la Colombie de ces dernières quarante années.

« De nouveau je pressentis que je n'étais pas là où je devais être, mais comme toujours je n'avais pas d'endroit où aller et je ne voulais pas décevoir la personne qui m'aidait.»

Confrontés à une extrême violence, révolutionnaires, guerrilleros, narcotrafiquants, paramilitaires, policiers, tous semblent désenchantés, perdus et sans espoir pour eux-mêmes ou pour leur pays. Pourtant, tous portent en eux une forte volonté de vivre et de se battre.

«Des fois, au petit matin, quand je reviens d'un massacre, je ne me sens pas bien. J'ai des malaises, comme si le monde devenait triste, et je chope un truc, les riches appellent ça une dépression et nous le cafard. C'est ahurissant de se laver d'un sang qui vient d'on ne sait qui, d'un homme, d'un enfant, d'un vieux ou d'une de ces femmes enceintes qu'il faut liquider pour qu'elles arrêtent de pondre des ennemis. C'est dur et, comme le dit le commandant Castro Castaño, ça demande du courage, de l'héroïsme. On tue, et les cris des assassins et des victimes se mélangent. On tire en tremblant, car on sait qu'on tue la mort pour empêcher la mort de vous tuer. On se laisse porter, on vise, on touche dans le mille et on est rassuré. Mais derrière la mort viennent les traces de sang par terre, les supplications des blessés, les coups de grâce et un silence qui confirme que le boulot a été rondement mené. C'est alors que les morts commencent à peser lourd. »

J'ai lu ce livre dans sa traduction française car il était disponible en espagnol uniquement sur ebook. Non que j'aie quoi que ce soit contre les nouvelles technologies, mais je préfère encore lire un roman imprimé sur papier...
Je vais m'y mettre !

Rachel Mihault


dimanche, octobre 21, 2012

Juan Gabriel Vásquez, El ruido de las cosas al caer

El ruido de las cosas al caer
Juan Gabriel Vásquez
Santillana Ediciones, 2012
(Premio Alfaguara de novela 2011)




Después de haber estudiado Derecho en la Universidad del Rosario en Bogotá, Juan Gabriel Vásquez se mudó París a finales de los 90. Su estancia en la capital francesa tenía como objetivo adelantar estudios de doctorado en literatura. Sin embargo, su interés por la escritura surgió antes que la redacción de la tesis y desde entonces se dedica a la narrativa y al ensayo, perfilándose como uno de los escritores contemporáneos más prolíferos e innovadores de Colombia.
Hoy vive en Barcelona, pero Colombia y su historia son su principal obsesión como escritor. Su retórica invita a reinventar la manera de contar la historia nacional, lo que evidencia su reacción ante el realismo mágico, sugiriendo la hipérbole de la hostilidad que reina en la realidad colombiana como mecanismo de comprensión de la misma.


El ruido de las cosas al caer, de Juan Gabriel Vásquez, ahonda en la vida privada de ciudadanos que, a finales de los años 90, son herederos de la violencia ocasionada por el auge del narcotráfico de los años 70 y 80. Vásquez contribuye así a la comprensión del trauma nacional y a la identificación de un “yo” generacional.

La muerte de un hipopótamo relacionada con la de un enigmático personaje de ficción y con la figura de Pablo Escobar anuncia la partida del relato y desencadena una incertidumbre y un miedo de tal magnitud en el discurso del narrador, que se convertirán en el motor principal de su propia evasión. Es así como la voz de Antonio – el narrador – se ve entramada en un laberinto espacio-temporal en el que la única referencia será la oscuridad mecida por un conocido poema de José Asunción Silva. Sólo la consciencia de dicha oscuridad le permitirá al narrador viajar en el tiempo para resolver la intriga escondida detrás de las dos muertes.

¿Qué relación existe entre la muerte del hipopótamo y la de Ricardo Laverde? El viaje temporal propuesto por Juan Gabriel Vásquez no solo se convierte en herramienta de reconstrucción de la historia, sino que obliga al individuo a combinar el distanciamiento en el tiempo y el desplazamiento en el espacio para tratar de descubrir los secretos que la muerte no puede revelar. Cada momento histórico se convierte en eslabón de la experiencia personal y surge el testimonio de diferentes personajes como un llamado a la memoria y a la reconstrucción colectiva del pasado.

Junto con esta reconstrucción e identificación del pasado, la ficción sugiere un encaminamiento hacia nuevos senderos de vida y de creación. Aparte de desenmascarar lo que la bulla de la violencia escondió, la ficción permite el replanteamiento de un país otrora idealizado y la comprensión de la angustia de aquellos colombianos alguna vez atemorizados por el “ruido de las cosas al caer”. 

 Por : Carlos Tous



dimanche, octobre 14, 2012

Perder es cuestión de método, de Santiago Gamboa

El autor
Santiago Gamboa nació en Bogotá, Colombia, en 1965
Estudió literatura en la Universidad Javeriana y continuó sus estudios en Europa donde obtuvo una licencia en filología hispánica de la Universidad Complutense de Madrid y curso estudios de literatura cubana en la Universidad de La Sorbona en Paris. Ha sido periodista cultural, corresponsal y columnista en diferentes medios de comunicación de habla hispana. Su obra incluye diez novelas entre las que destacan Perder es cuestión de método (llevada al cine en 2005 por Sergio Cabrera) y El síndrome de Ulises, finalista del premio Rómulo Gallegos en el 2007. Gamboa ha ocupado cargos diplomáticos en la delegación colombiana ante la UNESCO y como consejero cultural de Colombia en la India.

La obra
El hallazgo de un cadáver empalado a orillas de la represa del Sisga es el punto de partida de Perder es cuestión de método, segunda novela de Santiago Gamboa. A lo largo de la obra, el lector acompaña al periodista Víctor Silampa, cronista judicial del Observador, en sus labores investigativas para identificar a la víctima y dar con el paradero de las personas que cometieron el horrendo crimen. Silampa, convertido en policía amateur, sigue las pistas que le va filtrando el capitán Moya, su fuente dentro de la institución, quien parece confiar más en el olfato del periodista que en las labores de inteligencia de sus propios agentes.
A medida que avanza la historia, el periodista va formando su propia unidad de investigación compuesta por Fernando Guzmán, un antiguo colega, quien se encuentra interno en una clínica de reposo debido a una sobredosis de realidad informativa, y Emir Estupiñan, un funcionario público con ínfulas de detective privado que busca a su hermano desaparecido hace un par de meses, el cual podría estar vinculado con el crimen.
Mientras las pesquisas llevan a Silanpa a recorrer los bajos fondos de Bogotá en busca de nuevas piezas para armar el rompecabezas, el relato toma distancia del protagonista para abordar las negociaciones entre un grupo de políticos y empresarios locales corruptos que pretenden adueñarse de unos terrenos y la narración en primera persona del capitán Moya, quien relata sus recuerdos de infancia, sus gustos, su vida amorosa, sus problemas de sobrepeso y su vida al servicio de la policía nacional.
Perder es cuestión de método es una novela negra entretenida, fácil de leer y con una buena dosis de humor negro que le permite al lector descubrir a Bogotá como escenario literario.
Por: María Inés McCormick

Perder es cuestión de método
Santiago Gamboa
Primera edición Editorial Norma 1997
Seix Barral (4 edición)
339 paginas 

Consultez également l'avis de Michèle : 

samedi, octobre 13, 2012

Mapuche

 Un roman
de Caryl Férey, série noire Gallimard, 2012

Rubén a connu et subi les années de la dictature en Argentine. Aujourd'hui détective, il enquête sur la disparition de la fille d'un homme d'affaires très influent.
Jana est mapuche (peuple indigène du Chili et d'Argentine). Elle recherche celui qui a tué son ami.
Cette recherche va les réunir et les amener à revisiter l'histoire de leur pays.
Suspens, aventure, action, amour : tous les ingrédients sont réunis pour ne pas s'ennuyer dans sa lecture ! Avec, en toile de fond, l'histoire de l'Argentine et celle des Mapuches.

« Susana serra fort la main de sa Duchesse de malheur. Le sort réservé à Daniel et à Elsa figurait fatalement sur une de ces fiches miniaturisées, mais Elena Calderón n'avait pas peur de l'affronter. Rubén croyait que la vérité achèverait de détruire sa mère, comme elle avait anéanti son père, il se trompait : Elena luttait parce qu'un pays sans vérité était un pays sans mémoire. Celle de son mari et de leur fille n'était qu'une partie du drame qui unissait le peuple argentin, victimes et bourreaux, passifs et complices. La Justice était là, entre leurs mains tremblantes. »

Rachel Mihault


vendredi, octobre 12, 2012

Los ejércitos, de Evelio Rosero

El autor
Evelio Rosero nació en Bogotá, Colombia, en 1958. Estudió Comunicación Social en la Universidad Externado de Colombia y está dedicado de lleno a la literatura. Su prolífica obra incluye narrativa, poesía, teatro, relatos y cuentos infantiles entre los que se destaca Cuchilla (premio Norma-Fundalectura 2000). En 2007 su obra Los Ejércitos fue galardonada con el premio Tusquets de Novela y su posterior traducción al inglés recibió el Independent Foreign Fiction Prize (2009) en el Reino Unido. Aunque se mantiene al margen de los círculos literarios y de la exposición mediática, Rosero hace parte de los escritores colombianos contemporáneos más destacados.

La obra
Novelas que abordan el drama de la violencia en Colombia hay muchas. Tantas que parecería imposible ser escritor en Colombia y no narrar de alguna manera la tragedia de la violencia representada en cualquiera de sus múltiples caras. Conflicto armado, guerrilla, paramilitarismo, narcotráfico, sicariato, desplazamiento, secuestro, delincuencia, corrupción, por citar solo algunos ejemplos, son temas recurrentes en la narrativa colombiana contemporánea.
Los Ejércitos, de Evelio Rosero, tiene el peculiar encanto de encararnos con el monstruo pero nos protege de su brutalidad al mostrarnos solamente su reflejo. La violencia, como la Medusa de la mitología griega, puede dejarnos de piedra si la miramos de frente y como Perseo, necesitamos un escudo que nos permita destruirla sin morir en el intento. Pero para aniquilarla hay que conocerla. Escudriñarla, examinarla, analizarla. Tratar de entender esa lógica irracional que lleva décadas arrastrando a Colombia hacia un abismo que parece no tener fondo.
Evelio Rosero hace una parada en esa inevitable caída al vacío para tomar una instantánea. Una fotografía del paso de los ejércitos –poco importa la ideología a la qué representen– donde vemos los destrozos materiales, sociales y psicológicos que deja la violencia en la población civil. Ya no se escuchan los tiros, ya no truenan las bombas, ya no se oyen los gritos, ya no se sienten las pisadas de las botas, ya no se desploman los cuerpos, ya no se ven los hilos de sangre, ya no ladran los perros ni se esconden los gatos. Tras el combate, solo quedan las víctimas. Hombres y mujeres recogiendo los fragmentos de unas vidas que no saben si podrán reconstruir. ¿Por qué a mí? ¿Por qué a nosotros? ¿Por qué a este pueblo?
Ismael, el protagonista, es un anciano profesor jubilado, que vive desde hace 40 años en San José con su esposa Otilia. Una mañana, al volver de un paseo, se entera de que uno de los ejércitos estuvo en el pueblo y se llevó a unos vecinos. Le cuentan que Otilia lo está buscando pero cuando se va para la casa a encontrarse con ella, ya no la encuentra. Entonces comienza el otro calvario, el de la incertidumbre. ¿Qué le pasó a Otilia? ¿Está viva o está muerta? ¿Quién se la llevó? ¿Por qué a ella? ¿Volverán los ejércitos a llevarse a los que quedan? ¿Qué camino coger: resistir o huir?
La obra de Rosero narra la incesante búsqueda de Ismael por hallar a su mujer, al tiempo que relata el día a día de una comunidad rural en plena zona de combate. San José es un pueblo como cualquier otro de Colombia con párroco, médico, alcalde, plaza de mercado, estación de policía y fiestas populares que de vez en cuando es arrasado por el huracán de la violencia. Y en el ojo de ese huracán está Ismael. Atrapado en una tensa calma intentando poner en orden su vida sin saber si tendrá el tiempo suficiente para hacerlo. Despertándose y acostándose todos los días esperando lo mejor y temiendo lo peor. 
 
Por: María Inés McCormick

Los ejércitos, Evelio Rosero, Tusquets Editores, 2007, 203 p.
















lundi, octobre 08, 2012

Réservez votre place !

Vous pouvez dès maintenant réserver votre pass pour le festival Regards sur le cinéma de Colombie et d'Amérique du Sud, organisée par les Amitiés franco-colombiennes de Montpellier, qui aura lieu du vendredi 16 au dimanche 18 novembre prochains, salle Rabelais à Montpellier :
http://www.weezevent.com/regards-sur-le-cinema-de-colombie-et-amerique-du-sud
Prenez vos places, vous ne le regretterez pas !
Avec en ouverture le vendredi soir : Perdre est une question de méthode, de Sergio Cabrera, adapté du célèbre roman de Santiago Gamboa.
Le samedi 17 novembre aura lieu une table ronde autour du roman et du film.

jeudi, septembre 27, 2012

La capitana, de Elsa Osorio


Elsa Osorio est née à Buenos Aires en 1952 où elle vit actuellement. Elle est l'auteure de Luz ou le temps sauvage, Tango et Sept nuits d'insomnie, tous publiés aux éditions Métailié. Ses romans sont traduits en 18 langues.

Elle a écrit La capitana entre 2007 et 2011, mais elle avait depuis très longtemps l'envie d'écrire ce roman : tout a commencé en 1986 en Argentine, lorsque l'écrivain Juan José Hernández lui a parlé d'une femme argentine qui avait commandé des troupes pendant la guerre civile espagnole. Elle a tout de suite été fascinée par ce personnage, Mika Etchebéhère, qui vivait encore à l'époque, à Paris. Elle s'est appuyée sur différents documents historiques, et notamment sur des notes de Mika, pour écrire son roman. Et pendant des années elle a mené une véritable enquête : elle est allée sur les lieux où a vécu son héroïne et a recueilli des témoignages ;  à partir de là elle a inventé et écrit ce roman.

Mika quitte l'Argentine dans les années 1920 pour l'Allemagne, son compagnon et elle étant animés par de fortes convictions politiques et une envie de changer le monde :
« Lui aussi a caressé cette idée, bien sûr qu'il aimerait commencer à écrire ce livre et continuer de vivre comme ils le font, mais il a lu les journaux qu'on leur a envoyés et il a bien réfléchi, il est évident qu'ils ne peuvent s'éterniser en Patagonie ni à Buenos Aires. C'est en Europe qu'il existe de solides organisations ouvrières, avec une longue histoire, incomparable avec le caractère naissant de la classe ouvrière latino-américaine ; c'est en Allemagne que la lutte a lieu. Tu ne te rends pas compte, Mika ? La vie nous file entre les doigts, a milieu de ces arbres magnifiques.
Hipólito a raison, c'est en Europe que se joue le destin de la classe ouvrière mondiale, Mika le sait »

Le lecteur se trouve captivé par ce personnage : on a envie de suivre Mika à travers son combat, en Allemagne, en France, en Espagne. A travers elle nous revivons et comprenons mieux certains événements historiques marquants, comme la montée du nazisme en Allemagne, la guerre d'Espagne ou mai 68 à Paris.
Mais ce livre c'est aussi et surtout le combat d'une femme, qui se bat dans un monde où ce sont les hommes qui dirigent. :

« Et quand ils arrivèrent à destination, la proposition du commandant Barros allait aggraver les choses : elle devait laisser sa colonne à la charge de quelqu'un d'autre et venir avec lui, il la nommait capitaine-adjoint.
  • C'est une promotion ? Ironisa Mika sur le point d'exploser. Vous pouvez vous la garder.
Mais ce n'était pas elle qui commandait ce bataillon, c'était Barros, un militaire de carrière. Ou elle acceptait cette proposition ou elle devait s'en aller et abandonner le combat. Ca, jamais. Elle déglutit et s'efforça de paraître le plus aimable possible.
  • Excusez-moi, camarade commandant. Reprenons les choses. J'ai besoin de comprendre votre proposition : si c'est une manière de m'écarter parce que le fait que je sois une femme est un problème pour les autres officiers, vous n'avez pas besoin de m'indemniser avec un grade à rallonge aussi inutile. - Elle essayait de se contrôler mais la colère la gagnait – Je peux revenir dans ma colonne et demander à un camarade d'en prendre le commandement, je préfère ça à un titre ronflant mais administratif et absurde. »

Mika est une femme forte qui a décidé de lutter jusqu'au bout, et même dans ses vieux jours à Paris, elle reste une combattante. C'est ce qui nous fascine, je crois : on n'a pas envie de la lâcher... On la suit.
Après avoir porté cette histoire en elle tout au long des années, Elsa Osorio est parvenue lorsqu'elle l'a écrite à donner corps à son personnage. C'est l'art du récit qu'elle nous fait découvrir finalement.
D'une part elle entremêle les voix de différentes narratrices. Par moments nous entendons la voix de Mika, à d'autres celle d'Elsa Osorio-enquêtrice ; d'autres fois celle d'un témoin de la vie de Mika. D'autre fois encore c'est la voix de la romancière, qui parfois s'adresse à son personnage. Cette polyphonie permet au lecteur d'approcher différents aspects de la personnalité de l'héroïne.
D'autre part, Elsa Osorio a choisi de déconstruire la chronologie : cela donne une vraie force au récit. L'histoire prend sens à la fin du roman, ce qui nous pousse à en reprendre la lecture au début...

J'ai lu la traduction française mais j'ai eu très envie de lire le roman dans le texte original pour me rapprocher davantage de l'héroïne...

Rachel Mihault

La capitana, de Elsa Osorio, éditions Métailié, 2012

Vous avez aimé ce livre ? Vous souhaitez nous en parler ici ? N'hésitez pas à nous laisser un commentaire !

mardi, juillet 31, 2012

Le pianiste afghan


Pour son premier roman, Chabname Zariâb s'est inspirée de sa propre histoire. Vers l'âge de six ou sept ans, l'héroïne quitte l'Afghanistan, alors occupé par l'armée soviétique, avec sa famille pour venir vivre à Montpellier.


Elle nous offre son regard sur l'Afghanistan d'hier et d'aujourd'hui :


« Dans mon pays à moi, dans cette patrie que j'ai connue, dans ces courts souvenirs qui me sont si précieux, la vertu ne se mesurait pas à la longueur de la barbe ! Les femmes n'étaient pas des fantômes, et les hommes n'étaient pas des bourreaux ! J'ai honte d'appartenir à ce nouveau pays.

J'avais lu qu'une journaliste allemande, après la Deuxième Guerre mondiale, se disait suédoise lorsqu'elle voyageait. Je commence à la comprendre. Faudra-t-il un jour que moi, qui refuse d'appartenir à un autre pays que celui qui m'a vu naître, je me dise française ? Comment puis-je expliquer que moi, j'appartiens à l'Afghanistan d'avant ? Mais qui connaît l'Afghanistan d'avant ? »


Elle nous raconte le choc de l'arrivée à Montpellier, puis toutes les difficultés liées à l'intégration d'une enfant immigrée. Ainsi par exemple, l'adoption de la langue du pays d'accueil et la perte de la langue d'origine, et les conséquences qu'elles peuvent avoir au sein de la famille :


« Je commence à comprendre mon père, ce maniaque de la justesse de la langue, quand il nous faisait répéter toute une phrase en persan parce que nous y avions intégré un mot français. A l'époque, cela me gâchait tout le plaisir de lui raconter mes petites histoires. Son pointillisme m'énervait. Je préférais encore ne plus lui parler, et c'est comme cela que, petit à petit, nous nous sommes éloignés. Plus j'avançais en français, moins je maîtrisais le persan. Je mesure la dimension désastreuse de ces petites fautes suivies de ces corrections, et leurs ravages dans les familles d'origine étrangère. Ce sont elles qui créent le conflit, la distance puis le silence. Mais comment faire autrement ? »


Puis, après plusieurs années passées en France, la jeune fille décide un beau jour de retourner en Afghanistan pour tenter de retrouver son ami d'enfance. Nous la suivrons alors dans son voyage et sa découverte de l'Afghanistan d'aujourd'hui, à la recherche de son « pianiste afghan ».


Un récit très bien mené, qui tient le lecteur en haleine jusqu'au bout. Cette jeune auteure a bien mérité le prix Méditerranée des lycéens 2012.

Un roman à recommander à la traduction.


Rachel Mihault


Chabname Zariâb, Le pianiste afghan, Editions de l'Aube, 2011

samedi, juillet 07, 2012

Ce fut une belle rencontre















La rencontre organisée par notre Comité de Lecture, qui a eu lieu le 22 juin 2012 à l'Espace Martin Luther King à Montpellier, fut un franc succès ! Le public, venu nombreux, a beaucoup apprécié la lecture des textes de Frédéric Jacques Temple et de Rafael Cadenas, ainsi que l'échange qui a pu s'instaurer avec ces deux grands poètes.
Tout le monde a ensuite pu se réunir autour du buffet latino-américain préparé par l'association Amitiés franco-colombiennes de Montpellier.










Vidéo: cliquez ici


dimanche, juin 17, 2012

Découvrons Rafael Cadenas avec Daniel Bourdon...

L’incessante confrontation
(Rafael Cadenas et l’autre)

Daniel Bourdon*

Rafael Cadenas est poète, mais il est aussi bien lutteur. Cet homme ne cesse de se battre. Avec le soi, avec les mots, avec le monde. On me dira que c’est le lot de tout poète. Certes, mais ils ne sont pas légion ceux qui mettent autant d’énergie dans ce combat incessant, quotidien, épuisant, dont l’issue reste toujours douteuse et qu’inlassablement il leur faut réitérer. Que le poète soit insaisissable pour lui-même et qu’il doive construire son identité en assemblant à joints vifs ces pierres que l’on appelle des mots n’étonnera personne, c’est là monnaie courante et après tout c’est son métier. Mais qu’il doive se débattre contre une multiplicité apparemment originelle est moins commun. Le cas le plus fréquent est que l’on naît entier et qu’on se multiplie ensuite. La situation de Cadenas est à l’inverse : naissant d’emblée multiple, héritant d’une cohérence éparpillée, diffuse, éclatée en morceaux et ne s’y retrouvant pas, s’il veut parler d’une seule voix il lui faut constamment se rassembler. Il y a quelque temps, j’avais coutume de me diviser en d’innombrables personnages.i

Dans le meilleur des cas notre homme est simplement scindé en deux. Mis en présence de l’autre, de cet autre qui lui est propre, irrémédiablement sien, il ne sait discerner qui des deux conduit le bal. Est-ce l’autre, est-ce lui ? D’ailleurs qui est cet autre dont il est peut-être seulement l’ombre portée ? Est-ce celui-là qui le poursuit, le persécute, l’accule, le transperce de ses questions, de ses reproches et à qui il choisit de faire droit en lui donnant raison systématiquement ? Tous les deux nous nous regardons sans comprendre… Si tous deux nous étions réels, nous ne nous poursuivrions pas jusqu’à épuisement… Sans le vouloir nous nous confondons, nous entremêlons, nous enchevêtrons. Nous allons même jusqu'à nous perdre de vue et ne plus savoir qui, des deux, poursuit l’autreii. L’autre est-il vraiment cet autre ?

Cet ennemi intime qu’il soigne et qu’il nourrit peut à la fin tout de même l’excéder. C’est rare, mais cela lui arrive. Le poète se résout alors à aller contre son tempérament. Je ne suis pas très doué pour le combatiii. Il se force. Se résigne à l’affrontement. Il attrape l’adversaire, le bat, le tord, le coupe en deux du tranchant de la main, mais en fin de compte le vaincu lui glisse entre les doigts et s’évanouit à la manière d’un mirage. Mais lui n’est nulle part et je me désespèreiv.

Le poète regarde ses mains vides. Son adversaire s’est joué de lui. Le combat n’a servi de rien. Restent les exorcismes. La multiplicité se jetait sur moi. Et je la conjuraisv. Le poète ne peut pas annuler la dispersion mais sa voix, pour autant qu’elle veuille bien lui être fidèle, peut tenter de la conjurer. Le poème se met en œuvre. Il conjure, exorcise, recompose, à l’aide des quelques outils que l’auteur sait manier – des mots coupants, comiques, rudes, qu’il lance contre les ombres qui ne le quittent pas. Je sais me réunir patiemment, en usant de rudes procédés de montage.vi. Entreprise de longue haleine à ses commencements : c’est à la pénultième page de Los Cuadernos del destierro que l’auteur peut enfin écrire : J’ai recouvré mon nomvii.

Il retrouve son nom après avoir convoqué les mots et bâti sa défense. Non sans mal car la tâche est rude. Les mots ont été abîmés à force d’avoir servi à tout, certains sont hors d’usage depuis longtemps. Le poète doit faire en sorte que chaque mot porte ce qu’il ditviii. Après la langue de Los Cuadernos del destierro (Les cahiers de l’exil) qui était, en 1960, une langue riche, au rythme convulsif, Falsas Maniobras (Fausses manœuvres) en 1966 est écrit dans un langage simple, modeste, économique. J’ai incendié les faux témoignagesix.Je tremble quand je crois me falsifierx. Voix ancienne, tu occultais la routexi. Changement radical. Cette fois, nulle recherche dans les mots ou, plus exactement, une seule recherche, celle d’une précision clinique. C’est que l’opération est délicate, qui consiste à juxtaposer, tout en se défiant d’eux, des mots banals pour à partir de leur simplicité - de leur fausse naïveté - restituer l’extraordinaire. C’est-à-dire l’effrayante complexité de l’ordinaire.

Cadenas, du reste, a dénoncé dans un essai la faillite du langage face à laquelle il défend une morale de la parole. Une position éthique autant que poétique. Son souci est profond : Quelle langue livrera les trésors sans les toucher ?xii Réalité, une miette de ta table me suffitxiii. Il rêve de rendre compte de ce que le langage peine à ne pas travestir. Réalité, instant, ou ce qui resplendit – qui vient de resplendir. Il s’achemine vers l’instant… Il congédie l’irréalitéxiv. La langue peut-elle mettre en présence de la réalité d’avant le mot, peut-elle dire l’instant qui met la parole en mouvement ? Immédiatement, non, car La parole n’est pas le lieu de l’éblouissement, mais nous insistons, nous insistons, personne ne sait pourquoixv. Mais peut-être de biais. Il faut ruser pour user des mots simples.

Non loin de là, à l’écart du poème, dédaigneux de la langue qu’il maltraite car il est avant tout bavardage, hâte désordonnée, paraître, agression, le monde trône en masquant le réel. A l’époque des Cuadernos del destierro, Cadenas n’hésite pas pour le restituer à élever la voix. Il recourt à l’imprécation, à quoi l’autorise l’exil, lequel se changera en éloignement intérieur au retour de l’île de Trinidad où la dictature l’a banni et sa voix a mué. Mais le changement de timbre fait que le monde ne peut plus être convoqué. Dès sa densification dans Falsas Maniobras, à laquelle plus tard s’ajouteront la concision de Intemperie (Intempérie) et le dépouillement de Memorial, le langage ne peut plus s’opposer frontalement à l’agression du monde. Mais il peut la conter, la décrire, la comprendre, quasiment l’approuver et ainsi la désamorcer. Le poète ne veut plus résister au monde. Il ne discute pas. Au contraire même, il lui cède tous ses biens, plaide coupable à tous les chefs d’accusation et va jusqu’à exhiber ses désastreux ratés dont il dira plus tard qu’ils l’auront protégé en l’écartant du champ - Un jour les persécuteurs ne trouvèrent pas leur victime, car elle assuma tout, se plia à leurs accusations, même les plus absurdes.xvi. Echec, tu es toujours intervenu à tempsxvii.

Est-ce un aveu de faiblesse, l’expression d’un manque de caractère ? Pas du tout : c’est une stratégie. Ayant longuement mis au point une méthode d’évitement, de feintes à demi conscientes, de sincères faux-semblants, et recourant à un vocabulaire qu’il s’est patiemment forgé pour son usage propre, Rafael Cadenas s’efforce d’épargner son énergie. Le monde est bien trop lourd et impossible à affronter. Face à la masse qui se jette sur lui d’un bloc et sans pitié, notre homme ne tente pas d’opposer une quelconque résistance. Il plie, consent, épouse l’inévitable puis, d’un glissement subit qui passe pour une maladresse – une de ces fausses manœuvres dont il est coutumier et qu’il dit déplorer – il se dérobe au moment même où le monde allait justement l’écraser. Emporté par un élan stupide et monocorde, ce monde malin qui ne rencontre plus aucune opposition, déséquilibré tout à coup, s’affaisse, bute contre sol et se brise en morceaux à deux pas du visage du lutteur, lequel, couché confortablement sur le sol car depuis bien longtemps il a appris à tomber sans se faire de mal, scrute sa feuille de papier et en deux ou trois mots dit la morale de l’histoire. Du calme. Nous y sommes. Je rentre dans la formexviii. Il y a du judoka chez ce lutteur et du laconique chez ce poète.


Janvier 2012


    Daniel Bourdon a habité un an à Caracas, en 1980, où il a fait la connaissance de Rafael Cadenas dont il a par la suite traduit quelques poèmes pour des revues (Obsidiane, NRF, Poésie), puis une anthologie personnelle - Fausses Manœuvres - publiée en 2003 par Fata Morgana (Montpellier). Il a épisodiquement lu et quelquefois traduit d’autres poètes – Alejandra Pizarnik, Oliverio Girondo – pour une revue intitulée Amérique Latine, aujourd’hui disparue. L’éditeur Monte Avila (Caracas) a publié en 2008 sa traduction de Y todo lo demás (Et ce qui reste), du poète Alfredo Chacón.
    Il a également publié de petits livres de prose brèves chez Fata Morgana (Les gardiens du territoire, La dispersion, L'opuscule, Abécédaire, L'extase du dilettante).


REFERENCES
Les citations sont traduites de l’espagnol par D. Bourdon
i Falsas Maniobras,
ii El enemigo, in Memorial.
iii Anotaciones.
iv Combate, in Falsas maniobras.
v Falsas maniobras
vi Rutina, in Falsas maniobras.
vii Los Cuadernos del destierro.
viii Ars Poética, in Intemperie.
ix Reconocimiento, in Falsas maniobras.
x Ars Poética, in Intemperie.
xi Notaciones, in Memorial.
xii Nuevo Mundo, in Memorial.
xiii Inmediaciones, in Memorial.
xiv Despedida, in Una isla.
xv Recuento, in Memorial.
xvi Entronizamiento, in Memorial.
xvii Fracaso, in Falsas maniobras.
xviii Rutina, in Falsas maniobras.


Quelques poèmes de Rafael Cadenas

Fausses manœuvres. Antholologie personnelle.

Traduite par Daniel Bourdon

Fata Morgana, Montpellier, 2003.



Échec
Tout ce que j'ai cru victoire n'est que fumée.
Échec, langue de fond, piste d'un autre espace plus exigeant, difficile de lire entre tes lignes.
Quand tu mettais ta marque sur mon front, jamais je n'aurais imaginé que tu m'apportais un message plus précieux que tous les triomphes.
Ta face flamboyante m'a poursuivi et moi je n'ai pas su que c'était pour me sauver.
Pour mon bien tu m'as remisé dans les coins, refusé les succès faciles, fermé les issues.
C'est moi que tu voulais défendre en m'empêchant de briller.
Par pur amour pour moi tu as modelé le vide qui, durant des nuits enfiévrées, m'a fait parler à une absente.
Si tu as toujours donné priorité aux autres, si tu t'es arrangé pour qu'une femme me préfère un homme plus décidé, si tu m'as licencié de postes suicidaires, c'était pour me protéger.
Tu es toujours intervenu à temps.
Qui, ton corps couvert de plaies, de crachats, ton corps odieux m'a reçu dans ma plus simple forme pour me livrer à la transparence du désert.
C'est folie de t'avoir maudit, maltraité, de t'avoir blasphémé.
Tu n'existes pas.
Un orgueil délirant t'a inventé.
Je te dois tant !
En me nettoyant avec une éponge rêche, en me lançant sur mon vrai champ de bataille, en me donnant les armes que le triomphe dédaigne, tu m'as levé au dessus de la mêlée.
Tu m'as pris par la main et conduit à la seule eau qui puisse me refléter.
Grace à toi je ne connais pas l'angoisse de jouer un rôle, de m'accrocher à tout prix à un échelon, de me faire pistonner à la force du poignet, de me battre pour arriver plus haut, de me gonfler jusqu'à éclater.
Tu m'as fait humble, silencieux, rebelle.
Je ne te chante pas pour ce que tu es, mais pour ce que tu ne m' as pas laissé être. Pour ne m'avoir donné que cette vie-Ià. Pour m' avoir restreint.
Tu m'as seulement offert la nudité.
Tu m'as élevé à la dure, c'est vrai. Mais toi-même apportais Ie cautère. Et Ie bonheur de ne pas te craindre.
Merci de m' enlever de l' epaisseur en l' échangeant contre des caractères gras.
Merci à toi de m'avoir privé d'enflures.
Merci pour la richesse à laquelle tu m'as contraint.
Merci d'avoir construit ma demeure avec de la boue.
Merci de m'écarter.
Merci.


*

Il y a quelque temps, j’avais coutume de me diviser en d’innombrables personnages. Sans que cela leur occasionne la moindre gêne, j’ai été tour à tour voyageur, équilibriste, saint.

Pour plaire aux autres et à moi-même, j’ai conservé une image double. J’ai été ici et en d’autres lieux. J’ai élevé des spectres maladifs.

Chaque fois que j’avais un moment de repos, les images de mes métamorphoses m’assaillaient, m’acculaient à l’isolement. La multiplicité se lançait contre moi. Et je la conjurais.

C’était le défilé des habitants séparés, les ombres de nulle part.

En fin de compte il s’avéra que les choses n’étaient pas ce que j’avais cru.

Parmi les fantômes, m’a surtout fait défaut celui qui chemine à mon insu.

Peut-être le secret de la sérénité est-il là, entre les lignes, comme une splendeur innommée. Mon orgueil sans fondement céderait alors le pas à une grande paix, une joie sobre, une justesse immédiate.

Jusqu’alors.



*

MON PETIT GYMNASE

Il consiste en un coussinet sur lequel je frappe avec un accompagnement musical.

Un sac de sable où je décharge tout le poids de la rue.

Une natte où je me contorsionne pour obtenir l’oublie.

Un trou triangulaire où je me cache pour ne pas voir.

Une corde dont je me châtie pour toutes les prudences du jour.

Un engin en forme de O où je me plie en deux pour esquiver les reproches de ma conscience.

Une barre fixe où je me ris de mes intentions.

Une planche où je cogne inutilement –je pourrais mieux viser.

Un petit extenseur idiot qui m’étire pour chaque fruit que je n’ai pas pris, chaque action que je n’ai pas faite, chaque parole que je n’ai pas osé dire.

Une lanière qui m’abîme le bras droit pour chacun de mes oublies, de mes revirements, pour chaque indécision.

L’équipement courant du sportif ordinaire s’ajoute à tout cela. Les exercices s’effectuent dans l’obscurité. le public n’est pas admis (ma honte ne me le permet pas, et d’ailleurs le sourd mécontentement étoufferait celui qui oserait entrer)

De toutes façons je ne suis qu’un débutant. Je n’ai pas encore réussi à toucher les genoux avec le front, m’arquer en arrière jusqu’à toucher le sol m’est encore impossible et je ne sais pas non plus me dresser sur les mains.

Parfois mon excessive lourdeur me rend ridicule. (j’ai le souvenir de postures lamentables, et cela me fait mal). Malgré mes efforts je suis toujours charnel, rude, indiscipliné.

Dans le fond, ces exercices tendent à faire de moi un homme rationnel, qui vive avec précision et se joue des labyrinthes. En secret, ils poursuivent ma transformation en Homme Numéro Tant. J’espère seulement au fond de moi qu’un jour, grâce à eux, je cesserai d’être absurde.


Quelques poèmes de Frédéric Jacques Temple...

Merry-go-round


à David Gascoyne




Un train aux lumières aveugles

franchit des forêts invisibles.

J'emporte

cent boîtes d'allumettes

mille cigares noirs

cinquante pipes de merisier sauvage

un calumet en pierre-à-savon

gravé par un Indien de l'Ontario

la pipe-calebasse

à cou d'oiseau-serpent

cadeau d'Archuleta-de-la-Terre-des-Trembles

le tambour sacré de Taos

dans ma poche un éclat d'obsidienne

et mon vieux Laguiole à manche d'ivoire...


Tandis que le train glisse

longue chenille spasmodique

à travers la Forêt Noire

je reviens à mon premier lointain voyage...


J'avais vingt ans

avec encore dans mes cheveux le sable du désert

en ce matin léger où le canon s'est tu

dans les vergers du Würtemberg.

Et ce fut le printemps du Paradis après l'Enfer :

les truites de la Mürg

les chevreuils du Lac Noir

et la grosse Hildegarde

qui nous versait du vin d'Uberlingen.

Nous achetions des pendules de Triberg

et des couteaux de chasse

oubliant l'enfant nu de Fribourg méditant sur un crâne

qui avait assombri notre adolescence

à jamais.


Soudain le chant des rossignols

déchira les ténèbres

l'Hymne à la Joie déferla des terrasses

sur l'eau verte et muette

à Heidelberg.

Ici vécurent les poètes

Achim d'Arnim et Clemens Brentano.

Il ne reste que la plaque.

J'habitais là rêvant que montait de l'auberge voisine

la voix mâle de Zarah Leander :

Schlafe mein Geliebter

Du darfat mir nie mehr rote Rosen Schenken


crépusculaire et vaginale

et derrière la vitre

le coiffeur recousait des visages

couverts de sang...


Un train aux lumières aveugles

franchit des plaines disparues.

Il pleut des escarbilles

et l'odeur des mélèzes envahit la nuit.


Dans ma valise il y a :

Fenimore Cooper

un vieux catalogue de la Manufacture

des Armes et Cycles de Saint-Etienne

une lettre originale du Capitaine Nemo

et la photo de ma mère

jouant du violoncelle

pour toujours...


Tandis que le train glisse

longue chenille spasmodique

à travers la Forêt Noire

je reviens à mon premier lointain voyage...


J'avais vingt ans

avec encore dans mes oreilles

la sauvage accélération de la mort

haut très haut dans le ciel mauve

sur les clochetons d'or du Monte Cassino

et les cris de fin du monde

qui giclaient avec le sang

de la gorge béante d'un mulet

hérissé de douleur

et d'éternelle surprise...


Je garde le parfum du vin noir

et du porcelet rôti

sur la plage vespérale du lac de Bolsena

où Dante pêcha des anguilles

et j'entends turluter des alouettes

massacrées


Soudain la ville ivre de feu

la vomissure des soufrières

le ciel en deuil

et des rivières en fusion

se noient en beuglant dans la mer...

Je suis à Pompéi dans les marques de Pline

qui fut ici sous le gris de la mort

et ce n'est alentour qu'exode débandade

vers des lieux saufs

d'où voir la bête et l'adorer :

O bello, bello, bello com'un dio !

Et la cendre en neige sur le Pausilippe

où règne Virgile en sa grotte.

Ici le volcan tonne et les canons

là-bas sur les Abbruzzes...


Un train aux lumières aveugles

franchit des palus oubliés.

Voici le vol ralenti des hérons

brassant l'air de leurs ailes de cendre

la volée de flèches des sarcelles

les guêtres fauves du garde-chasse

à travers les roseaux broyés

et moi de loin criant au vent de mer :

Natty Bumppo ! Natty Bumppo !

Sur les chutes de Glenn

ou les palissades du Fort William-Henry

lorsque j'avais douze ans

parmi les Delawares

pour toujours...


Tandis que le train glisse

longue chenille spasmodique

à travers la Forêt Noire

je reviens à mon premier lointain voyage...


J'avais vingt ans

avec encore sur mes lèvres de miel

la grégorienne plainte du Vendredi-Saint

et les vingt-deux lettres de l'Alphabet

qui fut au commencement de l'Attente.

De mon lit je voyais sur le mur du dortoir

défiler les fantômes de mes rêves.

J'entends toujours

la voix grave du kappelmeister

le choeur final de la Passion

que troublaient les folles clameurs des paons

et mes larmes

à jamais...


Soudain le claquement des livres

sur les stalles à Ténèbres

les lampes s'éteignent et c'est la nuit

sur le monde qui bascule

la fin de l'ancien héritage

la Nouvelle Attente

Flectamus genua... levate...

les dieux sont morts

Dies irae dies illa

le sang remplace l'eau du Déluge...


Un train aux lumières aveugles

franchit des forêts invisibles.

C'est un manège

et les chevaux de bois tournent encore

me ramenant sur le quai de départ

et le train glisse toujours

à jamais

vers mon premier lointain voyage...


Aujourd'hui

je suis plus âgé que ma mère.



Extrait de :

Frédéric Jacques Temple

La chasse infinie

Frontispice de Claude Viallat

éd. Jacques Brémond, 2004