Emmanuel
Merle Le chien
de Goya
Le
Chien de Goya fait
partie des Peintures Noires, ensemble de 14 panneaux peints
directement sur les murs de la Quinta del sordo, la maison de
l’artiste, sur les rives du Manzanares.
Ce
tableau [huile sur plâtre, transféré sur toile et qui se trouve
maintenant au Prado], le dernier de la série, réalisée entre 1820
et 1823, a inspiré voire fasciné bien des artistes à la fois au
niveau de la réalisation [entre abstraction et figuration] et de
l’interprétation [solitude de l’homme, angoisse métaphysique].
Il a notamment irrigué une grande partie de l’œuvre de Antonio
Saura qui y voyait l’expérience même de la création artistique.
La
beauté de la réalisation plastique – les différents plans, les
couleurs — est présente dans le poème d’Emmanuel Merle.
Mais
le poète, dans une langue épurée, s’attache surtout à traduire
l’inexprimable, et à saisir dans un mouvement fluide et
enveloppant l’homme-Goya [enfermé dans sa surdité], son geste de
peintre, le chien [à moitié enseveli], nous qui le regardons, et,
comme dans un miroir, nous ne nous voyons plus que dans son œil qui
exprime tout le tragique de notre condition humaine.
Je
ne peux que vous engager à lire et à relire en boucle, comme je
l’ai fait, ce magnifique poème. Il va à l’essentiel et il a un
souffle qui nous emporte avec force et émotion jusqu’au dernier
vers.
Emmanuel
Merle a publié des nouvelles et des articles dans différentes
revues [en France et à l’étranger]. Il est surtout l’auteur de
recueils de poésie édités entre autres chez Gallimard, Pré Carré
Sang d’Encre, La Passe du vent. Certains ont été primés :
Prix Théophile Gautier pour Amère Indienne [2007], Prix Rhône-Alpes
pour Un Homme à la mer [2008].
Le
Chien de Goya vient d’être édité en octobre 2014 par les
Éditions Encre et Lumière de Jean-Claude Bernard.
Le
livre-objet, beau et sobre, est en harmonie avec la parole du poète,
sur les pages le poudroiement d’or faisant écho à la lumière du
tableau et la ligne brune à ses sables obscurs.
Avec
l’autorisation du poète et celle de l’éditeur, je vous cite
quelques extraits pour vous donner envie de découvrir le Chien de
Goya d’Emmanuel Merle.
Le chien
de Goya n’aboie plus,
son
maître est sourd.
Ne plus
entendre - le son est noir -
le cri
du chien, c’est renoncer
à
prononcer l’espoir.
L’aboi
s’est dissous dans le brun,
il
colore le tableau, et le ciel
est aux
abois sombres de la nuée.
Sur le
mur il y a des traces,
des mots
difformes qu’un sourd
a jetés
comme des crachats,
des mots
de brute.
[page 7]
Peintre
de chasse, comme on le dit d’un chien,
que
chasses-tu qui maintient ta tête en arrêt
au-dessus
du rien noir et mouvant ?
Le corps
se débat, et c’est le cœur qui bat.
Mais
l’œil guette, se tend toute la tête.
Corps
sous la vase, peintre sourd,
que
vois-tu, de ton regard simple ?
Le corps
se débat,
le cœur
bat,
l’œil.
[page 15]
On
croirait que le soleil a trahi,
que la
promesse de vie qu’abritait
la
couleur irradie de la douleur
du feu
le plus brûlant.
Qui
tient ce pinceau qui étouffe
d’or
nocturne, et qui en épaissit
le
monde ?
Ce brun
d’or, cet orage.
Rideaux
sonores d’un déluge intérieur.
[page 23]
Animal,
d’où vient que ni le mal ni le bien
ne font
signe autour de toi, qui te noies
presque,
toi qui juste avant n’aboies pas ?
Au fond,
peut-être ne fais-tu que naître,
et ce
cri que l’on attend
un autre
l’a poussé que l’on n’entend plus.
Le ciel
est un pan de mur jaune,
sans
jugement, sans murmure.
[page 43]
Rythme
sur le mur, musique intérieure,
voici le
chant du sang, violoncelle
étrangement
palpitant dont le son
d’or
violent entoure la main qui peint.
Enfermé
dans le tombeau du corps,
voici un
bruit excisé comme une pierre,
et qui
résonne là, dehors,
La
couleur se fait entendre,
un
chien, aussi bien une âme
sous
l’archet.
[page 47]
Simple
comme la nuit,
sans
mots,
Le chien
de Goya,
seul
regard humain
sur les
murs de la maison du sourd
[page 53]
Par Josiane Gourinchas, Traductrice