jeudi, avril 22, 2021

"Tea rooms – Femmes ouvrières" de Luisa Carnés (Espagne)

Luisa Carnés (1905-1964) m’était complètement inconnue et il faut vraiment remercier la petite maison d’édition espagnole Hoja de lata établie à Gijón qui, en 2016, a décidé de republier l’un de ses romans, « Tea-rooms-Mujeres obreras » initialement paru en 1934. Il faut également remercier La Contre Allée, qui nous emmène toujours plus loin sur ses chemins de traverse, de nous en donner maintenant la version française.

Ce roman est une perle rare et Luisa Carnés une femme au parcours exceptionnel. Contemporaine de la fameuse Génération de 27 qui comptait en ses rangs, FG Lorca, Rafael Alberti, Luis Cernuda, Dámaso Alonso, Vicente Aleixandre, Jorge Guillen,… elle aurait dû être sur la fameuse photo des Sin sombrero, ces artistes féministes qui ont accompagné ces grands poètes. Elle aurait dû, mais elle n’était pas de leur monde et on l’a oubliée. Née dans une famille pauvre, elle a travaillé dès l’âge de onze ans et notamment, à un moment de sa vie, dans un salon de thé. Autodidacte, militante communiste et féministe, elle doit s’exiler quand éclate la guerre civile. Passée par l‘un des camps de réfugiés du sud de la France, elle embarque avec d’autres intellectuels républicains sur le fameux transatlantique Veendam, affrété par le président mexicain Lázaro Cardenas. Elle vivra et écrira au Mexique jusqu’à sa mort, accidentelle, en 1964.

lundi, avril 12, 2021

"Le Voyage de Nerval", de Denis Langlois (France)

 

Je l’avoue pour commencer : je n’avais jusqu’ici pas de sympathie particulière pour Gérard de Nerval.

Mis à part ses fameux vers –« Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé / Le prince d'Aquitaine à la tour abolie/ Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé / Porte le soleil noir de la Mélancolie» j’étais en peine de citer l’un des titres de ses écrits les plus connus. Je me souvenais juste qu’il avait traduit Faust et qu’il était contemporain de Balzac et de Victor Hugo, de Théophile Gautier,  et d’Alexandre Dumas.

Mais je ne savais pas particulièrement qu’il avait été voyagé au Liban.

Grâce à Denis Langlois, on va tout savoir sur ce voyage « en Orient », dans un pays que l’auteur connaît lui-même parfaitement – il faut relire son très bon roman « Le Déplacé » à ce sujet.

Et l’écrivain d’aujourd’hui a trouvé une forme originale pour parler de l’écrivain d’hier : il s’adresse à lui directement et d’emblée il le tutoie. Sans aucune flagornerie. Bien au contraire : le grand poète est démasqué à chaque fois qu’il travestit la réalité - (« Hypocrite ! Imposteur ! Comme si tu ne le savais pas, cela fait huit ans que tu es rentré ! ») - Celle d’un Liban de pacotilles que Denis Langlois n’a pas de mal à débusquer – à l’image de ce récit haut en couleur (un pseudo combat contre des Druzes) qui ne s’est sans doute jamais déroulé comme décrit par le poète. Pour tous ceux qui vénèrent Gérard de Nerval, attention, le risque est important de le voir tomber de son piédestal.

On comprend dès les premiers chapitres que le poète souffre de troubles psychologiques et qu’il a besoin de soins réguliers. Pourtant, quand l’occasion se présente, et grâce au fonds de son ami Fonfride, le « Voyage en Orient » - ce sera le titre de son récit à son retour publié en 1851 -  dont tous les Européens rêvent est à portée de main. Nous sommes en 1843 et nous allons suivre le poète dans son voyage, déchiffré par Denis Langlois.

Ce voyage commence par l’Egypte où nous découvrons les démêlées du poète au Caire : il doit absolument être marié, sous peine d’être condamné à quitter son logement.

Fort heureusement il va découvrir la belle Zeynab, une esclave rebelle et susceptible, qu’il va devoir emmener avec lui au Liban, où il découvrira la religion des Druzes. Et surtout la belle Salema, dont le père, un cheik druze, est emprisonné. Qu’à cela ne tienne : le poète va s’occuper de faire libérer le père … pour mieux demander la main de sa fille.

jeudi, avril 08, 2021

« Entre les rives » de Diane Meur (France)

 

En octobre dernier, je partageais avec vous quelques lignes du livre de la traductrice Corinna Gepner, « Traduire ou perdre pied » paru aux éditions La Contre-allée. Avec celui dont je vais vous parler maintenant, ce livre inaugurait la création d’une nouvelle collection baptisée « Contrebande » et consacré à la traduction : « Contrebande fait entendre la parole d’un traducteur ou d’une traductrice, un parcours, une réflexion, le bruit de la traduction » nous disent-ils.

Donc, « Entre les rives » est le témoignage de Diana Meur, traductrice de l’allemand et de l’anglais qui a la particularité supplémentaire d’être également auteure reconnue de romans.

Si l’on doit comparer les deux ouvrages, je dirais que celui de Corinna est une collection de sentiments, d’impressions, une peinture intime de ce qui l'a amenée et la mène à la traduction littéraire, tandis que celui de Diane est plutôt une somme de réflexions autour du travail d’écriture qui passe autant par ses expériences de traduction que celles d’écriture « pure ».

dimanche, mars 28, 2021

"Des vies à découvert", de Barbara Kingsolver (Etats-Unis)

 


Deux familles, deux époques, un même lieu : Vineland dans le New Jersey.

Dans la première histoire, nous sommes aux prémisses de l’arrivée de Trump au pouvoir. Obama est là, et il a mis en place l’Obamacare. Mais les primaires du côté républicain laissent présager de la suite.

Willa, la véritable héroïne de cette histoire, est une femme de classe moyenne, qui voit les difficultés financières s’amonceler.

Elle est dotée d’un mari – Iano, un très bel homme d’origine grec – d’un beau-père, malade, mais qui n’a pas sa langue dans sa poche, et de deux enfants aussi dissemblables que possible : Zeke, le garçon, l’aîné, emprunte beaucoup d’argent pour suivre des études prestigieuses. Il vise le secteur des finances, où il pourrait créer sa Start up afin de reconvertir l’argent de puissants investisseurs vers des microcrédits pour des créateurs d’entreprise en panne de budget, un peu partout sur la planète. Rien à voir avec Tig la rebelle, sorte de « Greta Thunberg » avant l’heure, qui a une vision très précise de la catastrophe climatique à venir, et qui a adapté son mode de vie en conséquence.

Dans l’autre moitié du roman, on suit les aventures de Thatcher  Greenwood, un professeur de sciences dans la ville de Vineland en 1871. Farouche partisan de Darwin et de la théorie de l’évolution. Malheureusement pour lui, dans cette ville de Vineland, totalement acquise à son bienfaiteur, le fameux Landis, il subit les foudres du Directeur du collège où il enseigne, complètement rétif à toute idée d'évolution, contre laquelle il oppose la bible et ses récits.

A 150 ans d’écart, Thatcher et Willa habitent la même ville. Et peut-être même la même maison. C’est du moins ce que va découvrir Willa en faisant des recherches, avec un espoir très mince de trouver une qualité historique à son habitation, ce qui pourrait peut-être l’aider à payer des travaux faramineux nécessaires pour rendre la maison habitable.

L’histoire démarre sur les chapeaux de roue : on y voit Willa, devenue depuis peu grand-mère puisque Zeke vient d’avoir un bébé, se préparer à aller voir son petit-fils du côté de Boston, avec pour trophée un berceau qui a vu naître toute la famille. Mais Willa reçoit un coup de fil stupéfiant de Zeke, avant de se mettre en route. Il lui a apprend qu’un drame vient de se jouer : Hélène, sa compagne et mère de l’enfant, vient de se suicider.

Après un début aussi tonitruant, on aurait pu imaginer que le roman de 570 pages allait poursuivre sur ce rythme. Honnêtement il n’en est rien, et il faut avouer que dans le premier tiers l’écrivaine Barbara Kingsolver est à la peine, pour nous décrire d’une part les turpitudes de Willa, ancienne journaliste aujourd’hui au chômage, récupérant un bébé et un beau-père épuisant – il est un fervent supporter républicain, contrairement à l’ensemble de la famille – et se débattant dans des soucis financiers de plus en plus nombreux.

samedi, mars 27, 2021

"La République des femmes" de Gioconda Belli (Nicaragua)

 

Gioconda Belli, née en 1948 à Managua (Nicaragua), est poète et romancière. Elle a obtenu de nombreux prix et ses livres sont traduits en plusieurs langues.

Son roman El pais de las mujeres vient d’être traduit en français sous le titre La République des femmes chez Yovana. Je le découvre car je ne l’avais pas lu en espagnol !

Dans un pays imaginaire d’Amérique centrale nommé Faguas, un groupe de femmes crée un parti politique, le PIE (Partido de la Izquierda Erotica).

« nous lançons ce manifeste, afin de dire aux femmes et aux hommes de ne plus attendre l’arrivée d’un homme d’honneur mais de parler dès maintenant de nous, les femmes du PIE (Parti de la Gauche Erotique). Nous sommes de gauche car nous pensons qu’il faut asséner un bon direct du gauche à la pauvreté, à la corruption et au désastre qui règnent dans notre pays. Nous sommes érotiques parce qu’Eros signifie la VIE -notre bien le plus précieux- et parce que depuis toujours, nous les femmes, sommes non seulement chargées de donner la vie mais aussi de la préserver et d’en prendre soin ; nous sommes le PIE parce que ce qui nous pousse, c’est notre désir de faire avancer les choses, de tracer le chemin en marchant et d’aller de l’avant avec ceux qui veulent nous suivre. »

Suite au réveil du volcan Mitre qui a entraîné chez les hommes une perte provisoire de testostérone… elles parviennent au pouvoir par les urnes en promettant de créer une société du « félicisme ». Pour y parvenir, elles commencent par mettre en place une série de mesures révolutionnaires visant à instaurer l’égalité entre les sexes et entre les classes sociales.

« Azucena travaillait dans les Unités spéciales créées pour lutter contre les agressions sexuelles, les viols et les violences domestiques. Au moins à présent, les salauds, les brutes, les lâches ne pouvaient plus s’en prendre aux femmes sous leur propre toit. Autrefois, les gouvernements changeaient des choses qui ne se voyaient pas, que seuls les économistes comprenaient, pensa-t-elle, alors que ces femmes-là nous apprennent à vivre d’une façon différente. »

lundi, mars 22, 2021

« El hijo del Padre » de Victor del Arbol (Espagne)

Il faut se souvenir de la dédicace qui ouvre « Un millón de gotas » (« Toutes les vagues de l’océan ») : « À mon père et à nos murs de silence ». On pourrait dire que « El hijo del padre » est le moment, dans le parcours de Victor, où ces murs de silence ont été rompus.

Dès la première page, tout s’est déjà accompli : Diego Martín, ce professeur d’université, spécialiste de Dostoïevski, qui semble avoir réussi sa vie, a torturé et tué Martín Pierce dans la Casa Grande et a appelé la police.

En même temps il nous est également dit que ce n’est pas l’essentiel de l’histoire, que l’essentiel est ailleurs et que le temps des héros est révolu : « Para ser hombre hay que negarse a ser Dios » (Albert Camus, « L’homme révolté ») est-il rappelé dans la préface.

dimanche, mars 14, 2021

"Aller simple", de Erri de Luca (Italie)

 


Magnifique offrande poétique que cette édition bilingue, avec l’ouverture « Aller simple » au cœur du sujet humanitaire en Méditerranée qui rejoint l’action de S.O.S. Méditerranée. 

 

Où la poésie permet d’alerter, informer et agir pour sauver des vies. Si il y a bien une fonction du langage de partager, c’est bien un élan vers la vie qui importe et ce salutaire élan de s’accomplir.

 

Six autres voix :

 

La mer était une bande en travers, caresse des pieds,

le plus aimable barrage de frontière.

 

Ce n’était plus à nous, mais au bateau d’aller,

le bagage déchargé des épaules, la mer était un soulagement.

 

Ce n’était plus aux jambes de monter,

pour nous, marcheurs, la mer est un chariot.

 

La mer pousse, confuse, un jour elle court vers l’est,

un autre elle veut le nord avec ses giclées de lait sur les vagues.

 

La mer est une girouette, les hommes marins sont des enfants féroces et amers, d’un orphelinat.

 

La mer n’est pas un fleuve qui connaît le voyage, mais une eau sauvage,

au-dessous c’est un vide déchaîné, un précipice.

 

Une poésie de la conscience et de l’action !

Merci Erri de Luca !

François Szabó

Aller simple, Erri de Luca, traduit de l’italien par Danièle Valin, Edition bilingue Poésie Gallimard, 2021, 300 pages

samedi, mars 06, 2021

"Notes du ravin", de Philippe Jacottet (France)

 


La disparition récente du grand poète Philippe Jaccottet, et le démarrage de l’évènement « le Printemps des poètes » édition 2021 : deux bonnes raisons de parler de « Notes du ravin » de ce poète paru aux éditions Fata Morgana.

Dans ce cours opuscule, Philippe Jaccottet décrit les paysages de la Drôme qu’il habite et les pensées qu’elles suscitent en lui.

Il parle de l’absence, de ce vieillard qui a perdu « son compagnon de toute une vie », frappé par le cancer, et ce drame lui fait naître des mots qui touchent :

« Toute la misère humaine, quand on la touche du doigt, c’est comme une bête qui inspire une répulsion qu’il faut que le cœur endure et surmonte, s’il le peut. »

 

Dans ce poème en prose, on regarde avec lui le paysage qui l’entoure : le Mont Ventoux avec sa « couronne de pétales de rose », une buse monter « en lentes spirales dans la lumière dure de l’avant-printemps », la pluie, aussi, « froide comme du fer » ou des violettes au ras du sol : « ce n’était que cela », « rien de plus », « une sorte d’aumône, mais sans condescendance, une sorte d’offrande, mais hors rituel et sans pathétique ».

 On entend aussi le rossignol « sorti dans la brume d’avant le jour », on voit un engoulevent « dans le gris du matin, plus proche qu’il ne l’a jamais été de la maison, comme si ne pouvait plus l’effrayer quelqu’un d’aussi proche des ombres » ou encore un martin-pêcheur aperçu parmi les saules.

mardi, mars 02, 2021

"À la ligne" de Joseph Ponthus (France)

 


Joseph Ponthus était un homme fragile, extrêmement attachant, ses choix de vie en sont la preuve. Le cancer a eu raison de lui. Il avait 42 ans. Il nous laisse en héritage ce très beau livre poème paru il y a deux ans à La Table Ronde, À la ligne. À travers sa propre expérience c’est un magnifique hommage qu’il rend à tous les travailleurs de l’ombre :

Pour rejoindre la femme qu’il aime, cet homme au parcours atypique (hypokhâgne, khâgne puis éducateur en région parisienne) part pour la Bretagne et ne trouve pas de travail dans son domaine. Alors il embauche, « pour les sous » dit-il, comme intérimaire dans une conserverie de poisson puis dans un abattoir. Et il nous raconte cette expérience qui a été pour lui comme une déflagration de travail à la ligne, on ne dit plus à la chaîne.

lundi, mars 01, 2021

Apocalypse cognitive, de Gérald Bronner (France)


IL FAUT lire Apocalypse cognitive, de Gérald Bronner. Je lui sais un gré infini de mettre pour nous des mots et des chiffres sur une réalité contemporaine : « La dérégulation du marché cognitif – la capacité pour chacun d'intervenir sur le marché public de l'information, sur un blog, sur YouTube, Instagram ou Facebook – permet à tous de capter le temps de cerveau disponible d'autrui ».

L'auteur met en évidence cette sollicitation cognitive permanente ; le despotisme de l'événement ; celui de la comparaison frustrante à un autrui qui se pose en modèle idéal, libre de son destin et de ses désirs, répandu à des millions d'exemplaires sur les réseaux sociaux (mais nulle part il n'évoque René Girard et le « désir mimétique » ou « désir triangulaire » que ce dernier avait si bien analysés dans la littérature et la publicité, longtemps avant le déferlement d'Internet) ; celui des « boucles addictives » jouant sur les invariants de l'espèce humains (besoin de conflits, de colère, de peur, de sexe, etc.) et le fait que déjà, en 2010, selon l'Insee (p. 79), la moitié du « temps mental disponible » était dévorée par les écrans (TV, ordinateurs, téléphones).

jeudi, février 25, 2021

"Les Carpates" de Janet Frame (Nouvelle-Zélande)


Prenez une Américaine disposant d’une confortable fortune, et qui souhaite « connaître le monde ». Baptisez-la Mattina.

Expédiez-la en Nouvelle Zélande, pour qu’elle découvre « la vraie vie » ou « les vrais gens », dans une petite ville, à Puamahara, qui a vu naître la légende maorie de la « Fleur du Souvenir ». Faites-la résider rue Kowhai, d’où elle pourra rencontrer ses voisins pendant deux mois.

Il y a l’accordeur de piano, sa femme et leur fille autiste, il y a le veuf qui tond sa pelouse, il y a le dépanneur informatique qui teste des simulateurs de vol chez lui, l’ancien prisonnier de la guerre qui se croit encore dans les camps (voir l’extrait en fin de chronique) et il y a enfin une femme qui se dit écrivain mais surtout « impostrice ». Toutes ces personnes ne sont plus toute jeunes – et c’est une caractéristique qui aura son importance pour la suite.

Et des fleurs. Beaucoup de végétation dans ce petit village de Nouvelle Zélande, où le jardinage semble être un passe-temps très commun.

Et des souvenirs ? Que signifie cette légende de la « Fleur du souvenir » dont on voit les pancartes un peu partout ? Un simple « attrape-touriste », piège dans lequel Mattina serait tombée ?

Pas si simple.

Derrière la vie de quartier dans les années 70 d’une province qui se modernise peu à peu, derrière les façades propres et coquettes il ne se passe pas grand-chose. Tout cela ne serait sans doute que très banal – la vie paisible d’une rue d’une petite ville de Nouvelle-Zélande – si l’autrice n’introduisait pas à partir de la page 220 un élément insolite : « l’Etoile de la gravité ». Cet astre fictif, distant d’environ 7 Milliards de kilomètres, provoque des effets étranges comme la désintégration du langage.

mardi, février 23, 2021

"Les Orages" de Sylvain Pruhomme (France)

 


À
la fin de Par les routes, Sylvain Prudhomme évoquait longuement « The famous blue raincoat ». Parlant à la radio de son dernier livre Les orages, c’est une autre ballade de Leonard Cohen qu’il convoque, Anthem et ces mots précisément : « There is a crack in everything/ That’s how the light gets in ». Dans chaque chose il y a une fêlure/Et c’est par là que passe la lumière.

Et c’est bien de cela qu’il s’agit, de fêlures et de lumière, dans les treize nouvelles de ce nouvel opus, Les Orages paru en janvier chez Gallimard dans la collection L’Arbalète.

Les orages, ce sont ceux que la vie parfois nous réserve, les moments de bouleversements intimes, les moments où tout bascule ou peut basculer. Et c’est ce que racontent ces treize nouvelles. Treize, nombre symbolique, ce qui fait que l’on ne peut s’empêcher de penser à Nerval, même si cela n’a rien à voir (« La Treizième revient…c’est encore la Première »).

lundi, février 22, 2021

"L'Odeur d'un père" de Catherine Weinzaepflen (France)

 


Son père lui avait fabriqué un album relié en peau de serpent, dont la couverture portait en lettres d'or : Souvenirs d'Afrique… et même si ce titre s'accompagnait d'un millésime, on a le sentiment, à la lecture de L'Odeur d'un père, que les photos s'en sont envolées par poignées, comme ces papillons orange, jaunes, turquoise qu'il lui avait appris à capturer. Les photos éparpillées se chevauchent, on est toujours de plain-pied avec le présent : Quand j'ai onze ans, je découvre que l'odorat est mon sens de prédilection… Quand j'ai trois ans, je suis seule dans la grande cour… Quand je ne suis pas née… Quand j'ai seize ans, tu me gifles… Quand j'ai trente ans et plus, tu tombes malade… avec une occurrence dominante, celle des onze ans, l'âge clé.

samedi, février 06, 2021

"Un père étranger" de Eduardo Berti, traduction J.-M. Saint-Lu (Argentine)



C’est avec grand plaisir qu’on retrouve Eduardo Berti,écrivain argentin né en 1964, auteur d’une œuvre déjà conséquente, membre de l’Oulipo et qui nous entraîne, dans ce nouvel opus, en Amérique du sud, en France, en Europe centrale et en Angleterre.

Ce « Père étranger » qui vient de paraître à la Contre Allée est un étonnant jeu de miroirs qui met en scène un fils écrivain, l’auteur lui-même, qui cherche à comprendre son père qui vient de mourir et lui a laissé en héritage un roman inachevé, « La Dé
route ». Dans le même temps le fils écrit ou tente d’écrire une biographie romancée de Joseph Conrad et pour ce faire se rend dans le Kent, à Pent Farm, où ce grand écrivain a vécu à une période de sa vie avec sa femme Jessie et son fils Borys.

mercredi, février 03, 2021

"Comme un empire dans un empire", de Alice Zeniter (France)

 

Prenez deux personnages principaux.

Prenez un assistant parlementaire, prénommez-le Antoine et décrivez sa vie (à vous dégoûter pour toujours de postuler sur ce genre de fonction).

Prenez une hackeuse, ne lui donnez pas de prénom, seulement la première lettre d’un prénom – L – (elle ?).

Faites- les se rencontrer. Mais pas trop vite (attendez la page 122 pour qu’ils se croisent à une soirée) et ensuite la page 230 pour qu’ils se voient à nouveau dans un bar.

Essayez de tisser un roman avec tout ça.

Chacun a un « dedans » : L vit essentiellement au travers d’Internet, et fuit le monde du « dehors ». Antoine vit dans le monde du politique, tout aussi enfermant.

Qu’est-ce qui les relie ? Un âge similaire – ce sont des trentenaires – et sans doute un milieu parisien, même si ni l’un ni l’autre n’en sont issus. Mais aussi une forme de désillusion (plus d’idéaux dans lesquels s’engager aujourd’hui) et surtout une profonde lassitude, même si L a rencontré Elias, son double hacker. Mais celui-ci s’est fait arrêter et il lui manque profondément. Une forme de dépression les unit donc tous les deux.

Quant à Antoine, il se rêve écrivain – bien sûr, parce que comme de très nombreux Français (on les estime à 10% de la population, ce qui fait tout de même près de 6 Millions de Français) il voit en rêve son nom en tête de gondole de toutes les bonnes librairies parisiennes. Mais il peine à écrire.

Tout le problème provient du choix de ces deux personnages : si, comme moi, vous n’êtes pas très au fait du monde du dedans d’un hacker, l’auteur va bien devoir vous expliquer comment ça fonctionne. D’où un  long développement plutôt didactique pour qu’on arrive à suivre les aventures de L.

Un peu plus facile pour le monde politique, l’auteur va tout de même passer du temps à nous expliquer ce que fait un Assistant parlementaire, profession qu’on ignorait jusqu’ici jusqu’à ce qu’un candidat à la Présidentielle ne fasse irruption sur la scène médiatique, au sujet de sa prétendue assistante parlementaire qui n’était autre que son épouse.

Sur le plan sociologique, tout y est : on se replonge aussi dans une période très proche du point de vue du calendrier (tiens, Nuit Debout! ah oui on avait un peu oublié) ou la révolte des Gilets jaunes, mais lointaine depuis de nos préoccupations quotidiennes. La question du déterminisme social est aussi très bien traitée (Antoine n’en sortira pas si facilement, à l’image de « Leurs enfants après eux », de Nicolas Mathieu, Goncourt 2019).

C’est documenté, il n’y a rien à dire de ce côté.

 

mercredi, janvier 27, 2021

« Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce : réflexions sur l’effondrement » de Corinne Morel Darleux (France)

 


Je viens tout juste de terminer un petit bijou ! C’est tout bêtement le titre qui m’a interpellée : « Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce : réflexions sur l’effondrement » C'est écrit par Corinne Morel Darleux, qui est une femme politique que je ne connaissais pas et, en lisant son livre, je comprends pourquoi : elle ne semble pas être du genre à se mettre en avant pour le seul plaisir d’occuper la place…

Elle développe dans ce texte – défini par l’éditeur, Libertalia, comme un essai philosophique et littéraire rédigé à la première personne – une notion libertaire, anarchiste, qui est le refus de parvenir, à laquelle elle associe l’idée plus écologiste de cesser de nuire.

« Tout le sens du progrès social devrait consister à donner à chacun non pas l'égalité des chances, cette fable inventée pour conforter la compétition entre individus, mais la possibilité du choix.

Celle-ci ne dépend pas uniquement des conditions matérielles, même si elles sont bien entendu structurantes, mais aussi des constructions culturelles, de la formation d’un esprit critique, des capacités de raisonnement autonome : en un mot de l’éducation au sens large du terme. Il faut au moins ça pour résister aux normes sociales qui entravent la capacité à se conduire en esprit libre. Que vous soyez pauvre ou riche, tout est fait pour vous assigner une tâche de reproduction ou d’ascension sociale. Dans les deux cas, vous n’avez pas à construire vos propres critères de réussite : les conventions sociales les fournissent clé en main, assorti d’un petit manuel de développement personnel. En terme d’organisation sociale, il est plus sûr pour le pouvoir en place de fournir les rails que de laisser chacun glisser à sa guise, réfléchir à ce qu’il veut faire de sa vie et risquer ainsi de prendre des chemins de traverse. Imaginez que les pauvres choisissent de le rester, les travailleurs de ne plus perdre leur vie à la gagner, les consommateurs d’arrêter d’acheter !

mardi, janvier 19, 2021

"Lumière", de Christelle Saïani (France)


Ils sont deux. Deux qui souffrent, mais pour des raisons différentes. Deux qui a priori n’ont rien de commun, si ce n’est qu’ils se croisent parfois dans l’escalier.

Ambre, jeune femme au cœur tendre, croit avoir rencontré l’amour de sa vie en la personne de Léo. Mais quand celui-ci rompt brutalement, sans un mot d’explication, elle sombre.

Olivier a tout pour être heureux : la cinquantaine épanouie, une femme aimante, des enfants charmants, et des amis fidèles. Ambre les observe de la fenêtre de son appartement, qui donne sur leur jardin : une famille parfaite comme on en rêve et ça l’agace prodigieusement.

Sauf que.

Sauf que Olivier est atteint d’un cancer des poumons, et que le combat contre la maladie est très rude.

Entre ces deux personnages qui n’ont rien à faire ensemble, va se tisser une amitié inopinée, sans raison apparente, solide, profonde. Et les conduira à une traversée sans pareille.

Dans « Lumière », il est notamment question des corps : ceux qui maigrissent et déclinent, par dépression, mais aussi des corps avalés par la maladie : on suit pas à pas la descente du corps d’Olivier sous les coups du cancer qui dévore.

Mais qui fait toucher du doigt l’essentiel. Telle cette rencontre avec un père à côté de qui on est passé sans l’avoir jamais vraiment rencontré : ne pourrait pas ce saisir de ce moment exceptionnel pour se réconcilier ?

dimanche, janvier 10, 2021

« Initiations orientales » de Claire Escoffier et « Dernier virage ! » de Vincent Fauveau (France)

 

Je vous ai déjà parlé il y a quelque temps du « Pays de Mal au Cœur », premier titre d’une toute nouvelle petite maison d’édition montpelliéraine, Les Éditions des Quatre Seigneurs. Le catalogue s’étoffe vite, ils en sont à six titres déjà ! Proche des auteurs, je pourrais déjà vous parler de cinq d’entre eux, mais d’abord, surtout, de leur projet.

Bon, en fait, ils en parlent très bien eux-mêmes :

« Les Éditions des Quatre Seigneurs s'engagent à faire connaître les auteurs d'œuvres de qualité de tous les styles (fiction, témoignage, enquête, récit) et tous les genres (romans, théâtre, poésie, illustration). Sa ligne éditoriale privilégie les expériences personnelles et l'ouverture à l'Autre et aux différentes cultures. »



Ce que j’aime vraiment à la lecture de leurs publications, c’est le parti pris récits de vie, histoires de famille, mosaïques intimes ; c'est à la fois sans prétention et très honorablement écrit, ce qui fait que cela se lit avec plaisir et intérêt. Plaisir parce qu'on est touché par des éléments qui font écho à notre propre vie et intérêt parce qu'on plonge au cœur de cercles de famille et de milieux assez divers dont on ne connaît souvent que la surface.