Il
n'y a pas beaucoup d'auteurs colombiens publiés en Europe, et encore
moins d'auteures colombiennes ! Alors quand l'une d'entre elle
apparaît dans le paysage - en Espagne donc -, on est curieux ! Enfin, moi je suis
curieuse…
Voilà
donc un autre des romans que j'ai emmenés cet été dans mes bagages
à la plage !
L'éditeur
Alrevés le présente ainsi :
« Diego
Almeida n'est pas courageux.
C'est
un gars ordinaire. Ou il l'était. Il a cessé de l'être le jour où
il a accepté l'invitation d'un type à cuver chez lui une cuite
monumentale. Ce jour-là, le monde lui
est tombé dessus. Ou bien a fini de lui tomber dessus parce que,
avant, déjà, ça prenait l'eau. Mais même comme ça, s'il devait
s'avancer,
s'il devait choisir entre les nombreux moments les plus désastreux
de son infortuné passé, sans hésitation c'est ce jour-là qu'il
désignerait comme celui où l'enfer a commencé.
Et
Almeida n'est pas bien préparé : avocat d'affaires (au
chômage), indécrottable pantin (selon sa mère) et amant passable
(selon lui-même), Diego n'a jamais vu de sa vie une livraison de
coke, ne sait rien du tout de la traite des blanches et n'a jamais
jamais assassiné personne.
Dans
cette mauvaise passe, il va
devoir apprendre - et vite ! - à se débarrasser des cadavres
qui commencent à embaumer
sérieusement, à en fabriquer d'autres avant que les vivants n'en
finissent avec lui, et à sauver sa peau sans pouvoir faire confiance
à quiconque. Pour cela, il
dispose de l'élasticité remarquable de ses scrupules et d'une
absurde et pathétique incapacité à croire en sa malchance.
« Misérablement
drôle,
parfois extravagant et non exempt d'une certaine tendresse – de
celle que réveillent les protagonistes toujours perdants et
incurables -, et, en prime, délicieusement écrit. » Ricardo
Bosque »
De
mon point de vue, ceci
est un livre qui se lit comme
on mange un paquet de bons bicuits. Le héro est un grand naïf au fond, et
surtout un incurable jouisseur ! Là où l'intrigue pourrait lui
permettre de trouver du repos en faisant profil bas, il repart dans
les excès de luxure
qui l'ont pourtant mené à sa perte… On le suit un peu comme on
suit un Pierre Richard dans un
film des années soixante-dix ou quatre-vingt ! Et
ça bouge, ça se passe à Madrid, mais on ne reste jamais longtemps
au même endroit, il y a de l'action ! C'est une sorte de polar burlesque.
Pour
vous mettre en appétit,
voici quelques extraits
en Version Libre
(traduction L. Holvoet donc) !
P.
16
« Pour laver leur honneur, les
mauvais payeurs comme Diego Almeida n'ont pas d'autre solution que de
s'acquitter
jusqu'à la dernière de toutes leurs dettes infamantes.
Mais, merde, comment Almeida
va-t-il payer ce qu'il doit s'il doit sept fois plus
qu'il ne
possède ?
Hein !
Comment ?
Pour la énième fois, il refit la
liste de ses biens
terrestres : il avait cinquante euros en
poche ; à l'appartement, cachés dans une taie d'oreiller,
deux-cent-trente-cinq de plus ; il avait aussi un mobile, un
stylo et deux semaines de répit hors de chez lui. Et toute une vie
pour comprendre, putain !, comment il en était arrivé là…
Le stylo, c'était un Monblanc, sans
doute son bien le plus
précieux, l'unique objet de
valeur qui avait survécu à la débâcle. Le mobile, c'était un
truc de plus de deux ans, mais avec caméra, Tétris, Solitaire,
carnet d'adresses et agenda. Et c'est
tout.
Dix ans de travail partis en fumée.
Ce qui lui avait fait le plus mal
c'est
qu'ils lui avaient embarqué
la télé, une
Bang & Olufsen qui lui avait coûté un bras – noire, plate,
plasma, accrochée au mur, douze
commandes, les enfants de
salop ! -, et sa collection de films, toute sa collection, du
premier au dernier DVD : westerns, Hitchcock, pornos… Argh !
Qu'on vienne donc lui dire quel est
le putain de banquier qui
a maintenant
tous ses pornos et ses
John Waynes !
Respirer
profondément.
Mesurer le mal.
Éviter la panique.
Pour la millième fois, il contempla
les options qui lui restaient :
Option numéro un : il pouvait
rentrer en Colombie, bénéficier du plan d'aide au retour, toucher
l'indemnité de chômage – quarante pour cent ici, soixante
pour cent là-bas – et ouvrir un cabinet d'avocat à Bogotá.
Ah !
Option numéro deux : il
pouvait appeler Isabel, baiser avec elle sur le lit qui était encore
le sien, et attendre un miracle.
Hummmm…
Option
numéro trois : il pouvait se jeter par la fenêtre et en finir
avec toutes ces merdes
en essayant au passage de s'écraser sur l'une des BMW qui
continuaient à se garer en bas. L'option numéro trois pouvait être
combinée avec la numéro deux – excepté pour la partie miracle -,
ce qui la rendait infiniment plus attractive. Infiniment.
Il découvrit qu'au fil des jours
l'option numéro trois avait gagné en consistance et perdu de
son caractère repoussant. Pour la première fois, l'idée ne lui
paraissait plus ni
effrayante ni grotesque. C'était une option, tout simplement, comme
les deux autres. Moins désespérée que la première et moins
optimiste que la deuxième. »
P.
40
« Avec une boîte contenant cent
cinquante mille euros dans l'armoire…
(…)
Cent cinquante mille euros…
…
Il n'allait pas y toucher. Il ne
manquerait plus que ça.
…
Bien sûr qu'il allait y toucher, qui
s'en rendrait compte? Prenons, disons, deux milles, ranger la boîte…
Non !
Mille ?
S'il te plaît !
Il prit mille.
Si Materile ne s'en rendait pas
compte, il le lui dirait. C'était un emprunt qu'il faisait. Ce
n'était pas un vol. Il ne volait pas. Et encore moins un gars comme
Materile, son ami d'enfance, son putain d'ami mouillé dans dieu sait
quel merdier. Sans aller plus
loin, il avait chez lui déjà de quoi en rembourser une partie. Bon.
Une partie.
Mille. A quoi servent les amis ?
« J » lui-même l'avait dit. Il avait besoin de
vêtements. Il n'allait pas perdre sa première cliente faute de
vêtement. Et il ne pouvait pas aller chez lui pour ramener des
affaires car sinon il ramènerait aussi le pingouin qui viendrait bousiller sa nouvelle vie ! Qui
donc donnerait du boulot à un avocat chaperonné, hein ?
Mille euros. Pour se relancer. »
P.
43
« Pour six-cents euros, il
laissa sa veste au pressing – il avait payé le triple du prix pour
la récupérer en quatre heure -, il acheta une chemise et un
pantalon, il améliora le tableau en empruntant les chaussures Hermès
du gars et il invita Isabel à déjeuner.
Isabel. Enfin.
Cela faisait deux semaines qu'il ne
l'avait pas vue. Il commençait à ressentir des picotements sur la
peau, à éprouver des difficultés à trouver le sommeil et un
manque d'appétit… Le syndrome de l'abstinence. Mais sans fric en
poche, pas de remède pour lui sur cette terre. Comme tous les vices,
Isabelle avait un coût. Ah, comme ça lui coûtait de ne pas l'avoir
près de lui ! Comme ça lui coûtait…
Son besoin d'Isabel ne connaissait ni
limite ni répit : c'était une soif impitoyable, exigeante,
incisive. Et c'était une soif compliquée. Il était presque sûr de
l'aimer, même si ce n'était pas vraiment ça l'important. Ce qui
était important, c'est qu'il ne pouvait pas, ne voulait pas vivre
sans elle. Isabel était comme ses chemises Armani : un luxe
auquel il n'avait pas fini de s'habituer. »
P.
101
« Dans
la vie d'un détective privé,
il
n'y
a pas de place pour les doutes.
Les doutes, c'est pour les autres. Que les avocats apprennent à
vivre avec. Les détectives, eux, sont sur terre pour tout éclaircir,
pour tout renifler,
pour tout dévoiler. Il gara la Fiat à trois mètres de
l'immeuble d'Isabel et se mit à
attendre. Sans hamburger ni
sauce. Avec des lunettes de soleil. Professionnel. Les lunettes, il y
était déjà habitué : il les portait jour et nuit depuis le
jour de la cuite, par pudeur. Cette fois-ci, il les avait mises pour
se déguiser, mais il doutait de leur utilité : Isabel était
génétiquement incapable de s'intéresser à un conducteur de Fiat
Punto.
Il commença à monter la garde à
sept heures.
A huit heures, il avait examiné tous
les CD d'Ignacio. Il n'en aimait aucun. Ignacio était resté jeune :
tout ceux qu'il avait avaient été composés après 1996. Almeida, lui,
n'écoutait jamais rien ayant vu le jour après 1987.
A neuf heures, il découvrit qu'il
avait besoin de pisser. Ah... Le grand problème. Comment les
détectives le résolvent-ils en vrai ? Il regarda de part et
d'autre : des murs blancs, une rue éclairée, des cafteurs
partout. Impossible de se soulager dans ce quartier. Il s'efforça de
penser à autre chose.
Dans la boîte à gants, il trouva un
paquet de cigarettes. Almeida avait arrêté de fumer depuis quatre
ans, mais il considéra que la situation méritait bien une clope. Ou
deux. Ou une vie entière de clopes, et merde !
A onze heures, il les vit entrer. Il
était tôt. Ils venaient prendre le dessert à la maison. Un homme
de son âge, plus ou moins, mais mieux coiffé, mieux habillé et
dans une plus belle voiture : une BMW bleu foncé qu'il laissa
juste devant l'immeuble. Une BMW presque noire, de laquelle ils
sortirent, lui et Isabel, très contents.
Avant d'entrer dans l'immeuble, Isabel
prit l'homme par le bras. Comme un parapluie. Son parapluie.
Almeida savait comment elle se
sentait : légère et tendre. »
P.
155
« Derrière le zinc, étonnamment
propre et brillant, German le Cubain officie. Entouré de bouteilles
et de carafes de toutes formes et de toutes tailles, aussi
étincelantes que le zinc du bar, German est capable de préparer les
meilleurs cocktails du monde dans le bar le mieux pourvu de toute
l'Espagne, au beau milieu d'une cave pourrie.
C'est un alchimiste du bonheur le
Cubain, le seul homme heureux de l'Amparo, le seul qui n'a pas
compris que l'Amparo partait en couille. Je ne sais pas si c'est un
crétin ou un saint, mais c'est un génie. Il ne fait pas de plan,
comme Gardel au-dessus, en esquivant la crasse et la tristesse :
il n'a pas besoin de ça. German ne voit pas la décadence, la ruine
se dérobe à lui. Le bar se met à briller dès on l'approche et
l'idée d'être indéfiniment heureux paraît alors presque
accessible. Une happy hour près de lui, ça ne sonne pas
comme de la propagande, ça sonne comme un miracle. Il suffit d'un de
ses tours de poignet, du son de la glace dans le shaker, d'une giclée
argentée emplissant un verre poli, et le prodige se produit :
tu pars à Cuba.
L'odeur de vomi disparaît comme par
enchantement, l'endroit commence à sentir la mer, le poisson et la
menthe. L'Amparo s'évapore. Sans me demander ce que je voulais ni me
laisser le temps de m'égarer dans la liste interminable des
cocktails proposés, German me prépara le meilleur mojito que j'ai
jamais goûté de ma vie, en fredonnant doucement et avec plaisir
« Bésame mucho ». Il n'aurait rien pu m'offrir de
mieux. »
P.
184
« Sur la Gran Via, je suis entré
dans le premier restaurant que j'ai trouvé. J'ai commandé un
hamburger pour passer le temps en attendant que la peur et la honte
me quittent. Je ne sais pas laquelle des deux me faisait le plus mal.
Quand ils me sont tombés dessus, ma
virilité s'était déjà barrée. La virilité, cette institution si
sympa que nous, les hispanophones, essayons de maintenir en vie à
coup de massages cardiaques, de respirations artificielles et de
paires de baffes sur nos femmes. Pas moi, évidemment. Les autres
hispanophones : les incorrigibles romantiques. Pour moi, c'est
une bénédiction d'être né de ce côté du Rubicon : je n'ai
jamais tué une blatte, je ne déboucherai jamais les toilettes tant
que je vivrai, je ne porte pas les valises gratuitement, je ne cède
jamais ma place, la moustache ne me va pas, et tout ce qui me passe
par la tête au sujet des culs et des nichons que je croise, je le
garde pour moi. La virilité, ce n'est pas mon truc. »
« Este
muerto, no le cargo yo » de María Clara Rueda, Alrevés
Editorial, 2015, 242 p.
A noter que Sophie Savary, agent littéraire est votre interlocutrice pour négocier les droits pour la France...
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