Javier
Cercas, né en 1962, est un écrivain et traducteur espagnol,
professeur de littérature à l'université de Gerona. Il a publié
huit romans, des nouvelles, plusieurs essais et quelques chroniques
(il est chroniqueur pour le journal El País). Soldados de
Salamina, publié en 2001, fut un vrai succès éditorial en
Espagne et dans d'autres pays.
Le
titre du roman, Les soldats de Salamine, est une allusion à
la défaite navale perse, en 480 avant JC, qui symbolise la douleur
des vaincus devant la puissance athénienne.
Un
narrateur nommé Javier Cercas mais qui n'est pas le véritable
Javier Cercas auteur (il s'en distingue par les détails qu'il
fournit sur lui), décide de faire une recherche pour écrire
l'histoire de l'un des fondateurs de la Phalange, nommé Rafael
Sánchez Mazas, qui s'était retrouvé, dans les derniers jours la
guerre civile espagnole, parmi un groupe de franquistes fusillés par
des Républicains mais avait réussi à s'échapper dans la
forêt. Un petit groupe de soldats partirent alors à sa recherche et
il se retrouva face à l'un d'entre eux ; mais lorsque l'un de
ses compagnons lui demanda de loin s'il avait trouvé quelqu'un, il
répondit en regardant Sánchez Mazas dans les yeux « non, ici
il n'y a personne ».
Le
narrateur Javier Cercas, s'improvisant historien, va faire des
recherches pour, d'une part, en savoir plus sur la vie de Sánchez
Mazas, et d'autre part tenter de découvrir qui pouvait bien être ce
jeune soldat de l'autre camp qui l'a épargné ce jour-là, afin de
comprendre pourquoi il a pris cette décision.
Le
roman est structuré en trois parties. Dans la première et dans la
troisième, le narrateur raconte ses recherches à la première
personne, et dans la deuxième il nous raconte la vie de Sánchez
Mazas après cet événement, notamment la période où il a été
caché par des paysans du village voisin.
Dans
la troisième partie, le narrateur retrouve un vieux soldat
républicain, nommé Miralles, qu'il veut croire être celui qui a
sauvé la vie de Rafael Sánchez Mazas. Pour le rencontrer il se rend
en France, à Dijon, où Miralles est pensionnaire d'une maison de
retraite. Il a un long échange avec lui et peu à peu il se rend
compte que le fait qu'il soit ou non ce fameux soldat a moins
d'importance : ce qu'il souligne est la solitude et l'abandon de
cet ancien soldat, réfugié en France, qui après la guerre civile
espagnole a combattu contre le fascisme sous la bannière de la
France durant la seconde guerre mondiale, et qui lui parle de ses
compagnons morts très jeunes au combat et dont il est le seul à
garder les noms et les visages en mémoire.
Le
narrateur décide alors de les sortir de l'oubli en les citant dans
son récit : par là il évitera que ne s'efface complètement
la trace de ces jeunes soldats républicains, comme s'ils n'avaient
jamais combattu, comme si la guerre n'avait jamais existé en
Espagne :
« Y
allí, sentado en la mullida butaca de color calabaza del vagón
restaurante, acunado por el traqueteo del tren y el torbellino de
palabras que giraba sin pausa en mi cabeza, con el bullicio de los
comensales cenando a mi alrededor y con mi whisky casi vacío
delante, y en el ventanal, a mi lado, la imagen ajena de un hombre
entristecido que no podía ser yo pero era yo, allí vi de golpe mi
libro, el libro que desde hacía años venía persiguiendo, lo vi
entero, acabado, desde el principio hasta el final, desde la primera
hasta la última línea, allí supe que, aunque en ningún lugar de
ninguna ciudad de ninguna mierda de país fuera a haber nunca una
calle que llevara el nombre de Miralles, mientras yo contase su
historia Miralles seguiría de algún modo viviendo y seguirían
viviendo también, siempre que yo hablase de ellos , los hermanos
Garcias Segués -Joan y Lela- y Miquel Cardos y Gabi Baldrich y Pipo
Canal y el Gordo Odena y Santi Brugada y Jordi Gudayol, seguirían
viviendo aunque llevaran muchos años muertos, muertos, muertos,
muertos, hablaría de Miralles y de todos ellos, sin dejarme a
ninguno, y por supuesto de los hermanos Figueras y de Angelats y de
Maria Ferré, y también de mi padre y hasta de los jóvenes
latinoamericanos de Bolaño, pero sobre todo de Sánchez Mazas y de
ese pelotón de soldados que a última hora siempre ha salvado la
civilización y en el que no mereció militar Sánchez Mazas y si
Miralles, de esos momentos inconcebibles en que toda la civilización
pende de un solo hombre y de ese hombre y de la paga que la
civilización reserva a ese hombre. »
L'intention
de Javier Cercas auteur est de raconter un épisode d'une période
essentielle de l'Histoire de l'Espagne, qui avait été occultée
durant la transition démocratique afin de reconstruire une vraie
paix dans le pays, mais que les Espagnols ont maintenant besoin de
connaître et d'intégrer comme une partie d'eux-mêmes et de leur
passé. C'est aussi, en écrivant une fiction, de transcender cet
épisode en mettant en avant l'héroïsme de Miralles, qui en sauvant
Sánchez Mazas sauve tous les Espagnols et met en quelque sorte un
point final à cette boucherie. A travers le récit de cet épisode,
il montre l'humanité de Miralles et de ses compagnons et leur
redonne une place dans l'Histoire.
Au
premier abord, j'ai été assez déroutée par la structure du roman
et par le mélange entre réel et fiction. La volonté de Javier
Cercas est en effet de faire bouger les règles du roman, qui permet
selon lui d'aller plus loin que la vérité historique. En effet, en
mettant en scène son alter-ego de fiction, Javier Cercas met en
scène les tâtonnements de l'écrivain et tout le travail de
reconstruction de l'historien. Il nous livre donc une réflexion sur
la fabrique de la fiction et sur la fabrique de l'Histoire.
Une
belle recherche donc, et de nombreux lecteurs ont été séduits, qui
ont su comprendre que la littérature peut être la meilleure source
de vérité historique.
Comme
le dit le dicton, « la realidad mata, la ficción salva » :
ce roman l'illustre parfaitement !
Rachel
Mihault
Soldados
de Salamina, Javier Cercas, Tusquets Editores, 2001
Traduction
française par Elisabeth Beyer et Aleksandar Grujicic, Les soldats
de Salamine, Javier Cercas, Actes Sud, 2002
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