Les
Collecteurs se préparent à la
32è
Comédie du Livre
qui invite notamment La
Contre Allée. Alors Marc nous réinvite à lire Frictions dont
il avait parlé sur son très bon blog !
« Les
humains sont épris d'ordre. Les humains passent le plus souvent leur
temps - quoi qu'ils en disent ou pensent par ailleurs - à mettre le
monde et les choses en ordre, à les ranger, les classer, les
catégoriser... à les nommer et les renommer sans cesse. Le langage
lui-même n'est-il pas autre chose qu'une activité de classement, de
mise en ordre des sons qui font des signes ou des mots, que l'on
arrange pour faire des phrases? Je ne sais plus quel linguiste ou
sémiologue disait que c'est de la combinaison que naît le sens. Que
se passe-t-il alors quand vient le désordre? Quand les mots
n'obéissent plus aux phrases? Quand les évènements brouillent les
récits, quand les idées et les images vagabondent sans avoir cure
du sujet ou du thème? C'est une des choses que nous fait explorer et
expérimenter Pablo Martín Sánchez, en bon OuLiPien et dans un
certain désordre.
Ces
FrICTIONS, le titre nous le suggère avec un ironique surlignage,
semblent jaillir à l'endroit où la fiction et la réalité se
frottent l'une à l'autre. Une vague rigueur philosophique nous
pousserait même à dire que ces divers textes - qu'il ne faut
pas forcément prendre pour des récits ou des nouvelles au sens
habituel des termes (pour ceuces qui se targuent de causer
littérature) - ont été engendrés par les contacts frictionnels,
les frotti-frottas entre le réel et la fiction. Dans une telle
affaire, il vaut peut-être mieux renoncer à savoir qui dépasse
l'autre, du réel ou de la fiction. Il se pourrait d'ailleurs bien
que l'une et l'un soient également dépassés par l'écriture, par
les jeux de l'écriture... Une écriture qui leur impose de se
frôler, puis de se caresser pour finalement s'étreindre au fil du
volume et des pages. Pas sûr que réel et fiction soient totalement
consentants et ils se pourraient qu'auteur et lecteur s'amusent sur
leur dos... C'est que pour le lecteur témoin de ces étranges
amours, il y de quoi lire, de quoi rire, de quoi dire peut-être
aussi. C'est qu'il suffit d'un tout petit effort de l'écriture pour
nous faire passer de l'un à l'autre: juste une lettre. On pourrait
aussi craindre le pire, mais rassurons le lecteur, tout le monde se
porte bien à la sortie de l'ouvrage. Et peut-être même un peu
mieux qu'à l'entrée.
Nous
avons ainsi droit à un récit où les notes de bas de pages
envahissent les dites pages jusqu'à réduire le texte à une espèce
de note de haut de page que l'on peut se dispenser de lire, comme le
font bien des lecteurs. Juste revanche des appendices que l'on
néglige et qui sont bien souvent plus que de simples commentairesi.
Nous découvrons le curieux destin de Rodolfo, l'homme qui n'écrivait
qu'avec ses doigts, ceux-ci étant des crayons qu'il pourra même
tailler si besoin. On pourrait être tenté de deviner des sources à
ce que nous lisons, mais s'il y a ombre de plagiat ce ne sera que de
plagiat par anticipation car dans ce que nous croyons être le
désordre du monde, on apprend que Socrate, Descartes et Einstein ne
sont pas si nets que ça et que les plagiaires ne sont peut-être pas
ceux qu'on pense. Si les contes sont des mensonges qui disent la
véritéii
cela se vérifie aussi avec les récits littéraires fussent-ils des
témoignages "objectifs" à l'occasion d'un accident. Dans
le désordre des mots tout peut alors faire récit, toute phrase,
toute page peuvent réfléchir le monde, même un texte en forme de
notice pharmacologique, même un texte à la syntaxe gravement
perturbée, et bien d'autres...
Nous
ne saurions trop conseiller aux amateurs de papousiii
de se réjouir de ce recueil réjouissant avant que l'entropie - qui
peut toucher le monde du langage comme celui de la thermo-dynamique -
n'en disperse irrémédiablement les pagesiv.
[Une
présentation pas trop
en désordre de l'auteur sur le (?) site de l'OuLiPo.] »
Marc
Ossorguine
i
L'auteur de cet article ayant un goût prononcé pour la note de bas
de page et son péri-texte, cette petite revanche de la trop
méprisée note de bas de page le réjouit au plus haut point.
ii
Il paraît que c'est qui se dit du côté de l'Afrique de l'ouest
m'avait un jour appris un anthropologue africain de l'ouest lui
aussi.
iv
"En thermodynamique, le mot désigne une fonction définissant
l'état de désordre d'un système, croissante lorsque celui-ci
évolue vers un autre état de désordre accru." Entropie du
réel quand il évolue vers la fiction, de l'écriture quand la
lecture s'en mêle...
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