« Rouge
Pute », ça commence comme ça :
«Pour X raisons
La violence tombe
Pour X raisons
Mon corps, une ombre
Pour X raisons
Ma vie, une tombe »
Ces
mots, ce sont ceux de toutes ces femmes battues, massacrées, que
Perrine Le Querrec a
rencontrées à Louvains, alors qu’elle était en résidence et qui
ont réussi à lui parler : « J’écoute. Je sais
faire cela écouter attentivement, de tout mon corps, aussi longtemps
qu’il m’est nécessaire. Ce que j’entends ne ressemble à rien
de connu ». Ces mots, elle les a scrupuleusement respectés
et ce sont autant de poèmes que l’on prend en pleine figure et qui
vous ébranlent physiquement.
Ces femmes
courageuses elles disent :
- l’engrenage :
«Et je vais mal répondre et
ça va recommencer »
- le silence autour
d’elles
« A travers les murs ça s’entend
ils entendent et quand ils me croisent
leur silence »
- l’appel au
secours qui reste muet
« Délivrez-moi de lui
Délivrez-moi de moi
De ses violences, de mes silences ».
- L’éternelle
peur que ça recommence
« Si un mot une syllabe de trop
Si un geste un sourire de trop
Si un euro, deux euros de trop
De trop, sera toujours de trop. »
- Et ce sentiment de
culpabilité
«La coupable c’est moi je l’ai bien mérité
La coupable c’est moi je suis une merde. »
- Et ces stigmates
que l’on tente de cacher
« Farder cacher on ne verra rien rien
on ne me voit pas
je ne sens rien rien rien »
- L’impression
d’être dépossédée de soi
« Où je suis passée ? Il n’y a personne. Perdue j’ai
perdu je suis perdue »
- Et puis peut-être,
avoir la force de partir pour tenter de renaître
« Ensuite, les enfants sous le bras
ensuite j’ai pris la fuite »
« Aujourd’hui si je te dis Tout va
bien, tu peux me croire
Même si à l’intérieur J’ai toujours peur. »
- Et enfin devenir,
si cela est possible une femme libre de ses choix, qui redessine son
visage, qui redessine sa vie avec ce beau rouge pute
« Du rouge à
lèvres, du rouge voyant du rouge- tu-
me - vois ?
Du rouge - c’est - moi ….
Je dessine mes lèvres, redessine ma vie
Visible
Vivante
Rouge Vif »
Mais le livre ne se
termine pas là. Dans la dernière séquence, cinq poèmes
exactement, nous sommes confrontés à l’innommable. Et les mots,
dans leur précision nue nomment le viol, le décrivent, et c’est
d’une violence vertigineuse :
« Pas un camion,
un corbillard
Derrière les vitres noires
Mon cercueil. »
C’est aussi d’une
justesse incroyable quand il s’agit d’évoquer les conséquences
du viol :
«Sachez
qu’il faudra sans cesse vous justifier…
Sachez
des années de procédure
Sachez
qu’il faut être riche pour être violée… »
Les mots disent
aussi l’extrême difficulté d’une renaissance :
« Dans un monde où tout s’arrange
Jamais dormir jamais
Si je ferme les yeux
Les vitres noires. »
C’est sur cette
image que se referme ce petit livre d’une beauté violente. Un
livre qui vous envahit, vous prend aux tripes et vous donne envie de
crier. Car la poésie de Perrine le Querrec est, elle le dit, une
« poésie violente », charnelle : « La
langue est mon corps, mon souffle » ; une poésie qui,
ajoute-t-elle, « convoque le corps entier du lecteur ».
Et en ces temps
troublés, il faut remercier La
Contre Allée d’avoir réédité ce livre paru pour la première
fois en 2018 chez Christophe
Chomant.
Françoise Jarrousse
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