À l’aube de ses 80 ans, J.M.G. Le Clézio, cet éternel voyageur,
ce citoyen du monde, retourne sur les terres de son enfance et nous
raconte deux histoires qui se répondent. Ce ne sont ni des
confessions, ni un album de souvenirs, c’est comme un air qui
revient, comme une chanson douce qui par petites touches parle de
l’enfance. Le Clézio dit qu’il se méfie de la mémoire parce
qu’elle est incertaine, qu’elle est faite de beaucoup
d’imagination.
Ses souvenirs sont faits d’émotions, de sensations d’abord liées
à la Bretagne dont il dit que c’est elle qui lui a apporté le
plus d’émotions et de souvenirs. Il évoque ses vacances d’été,
le Sainte Marine des années 50, la mer, la lande, les fêtes au
château de madame de Mortemar, la fête de la moisson où « nous
ressentions quelque chose, il me semble, qu’aucune leçon
d’histoire ou de géographie ne pouvait nous enseigner, quelque
chose qui nous reliait à notre passé lointain (puisque avant
de partir pour l’île Maurice, notre famille avait appartenu
totalement au monde fermier) et même au-delà, nous reliait au passé
de l’humanité » (p. 51).
Il parle aussi de cette
Bretagne qui change, qui entre dans l’ère de la modernité, de la
langue bretonne qu’il faut maintenir, mais ce sans nostalgie. « La
nostalgie n’est pas un sentiment honorable », dit-il,
« elle est une faiblesse, une crispation qui distille
l’amertume. Cette incapacité empêche de voir ce qui existe, elle
renvoie au passé alors que le présent est la seule vérité »
(p. 86). Il en parle enfin comme d’une terre infinie qui lui a fait
comprendre la fragilité des choses « sans doute parce que
je venais d’ailleurs, que je n’étais chez moi nulle part,
ballotté, baladé entre la Maurice de mon père, la Bretagne de mes
ancêtres et la Nice de mon enfance…les ajoncs me disaient qu’il
y avait un autre monde avant le mien, que j’étais juste de
passage » (p. 81).
Le second conte, « L’enfant et la guerre » nous ramène
à Nice et plus précisément dans l’arrière-pays niçois, à
Roquebillière où il a passé les années de guerre avec son frère,
sa mère et ses grands-parents. Il ne sait pas précisément s’il
se souvient, « la mémoire est un tissu fragile »
(p. 125) mais des images, des sensations remontent, celle notamment
de la faim que son corps n’a jamais pu oublier, « Non pas
un creux mais un vide au centre de mon corps, tout le temps, à
chaque instant, un vide que rien ne peut combler, que rien ne peut
rassasier »(p. 128) « Cela fait partie de
mon être ce vide que les années de guerre ont creusé dans mon
ventre, dans ma tête » (p. 132). Et puis il y a la
violence, les bombardements, la mort de Mario, ce jeune résistant
italien tué par l’explosion de la bombe qu’il transportait et
dont on ne retrouvera qu’une mèche rousse. Il dit que la guerre
lui a volé son enfance, que son premier souvenir est une bombe qui
explose et que cela a fait naître en lui une violence qui perdurera
longtemps. « La guerre tue les enfants. On ne peut pas
vraiment être un enfant quand on est né dans une guerre »
(p. 135).
Dans ce beau livre, Le Clézio continue de s’interroger sur le
monde, qui suscite en lui de l’inquiétude, et sur lui-même. Ne
dit-il pas, répondant à la question d’un journaliste qui lui
demande pourquoi il écrit : « J’écris pour savoir
de quoi je suis fait ». Et c’est en cela qu’il est
universel.
Françoise Jarrousse
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