• CITY ON FIRE est un pavé (1244 pages en poche), et depuis
que j’ai mis à la poubelle un morceau de ma vie pour avaler « La
vérité sur l’affaire Harry Quebert », qui réussit à être
à la fois insipide et indigeste alors qu’il en compte environ la
moitié (670 p.), je cultivais la méfiance ! Mais je me suis
dit que « Belle du Seigneur » (1110 pages) ne m’avait
jamais pesé, au contraire, pour m’encourager à passer outre.
• L’un des arguments publicitaires, à l’époque du
lancement (2015) consistait à bramer : premier roman le plus
cher de l’Histoire ! Deux millions versés à l’auteur par
l’éditeur américain !! (Knopf). Hollywood a acheté les
droits avant même sa parution !!! Qui dit mieux ? (Plon,
pour l’édition française, n’a pas révélé le montant de son
offre). Ce n’est pas forcément un gage de qualité… sinon celle
du marketing, et celle de l’agent.
• La culture punk, le hard rock, les tourments adolescents,
l’alcool, la drogue tiennent une place importante dans la narration
(nous sommes en 1976-77) or ce ne sont pas des sujets qui figurent au
premier plan de mes thèmes favoris en littérature… ni dans la
vie.
Tant pis ! J’ai plongé.
Je ne l’ai pas regretté. A quoi bon tenter de résumer CITY ON
FIRE ? J’en suis incapable. Mieux vaut suivre le fil, sinueux
et ramifié, depuis « Un sapin de Noël remontait la 11e
Avenue » jusqu’à « Je vous vois. Vous n’êtes pas
seuls. » Mieux vaut l’habiter, comme Mercer, prof et
écrivain, provincial, noir, qui essaie de planter quelques racines à
New York et dans le cœur de son amant William, blanc, héritier
d’une famille opulente, les Hamilton-Sweeney, qu’il a fuie…
Comme Regan, sa sœur, pour qui la rupture avec Keith, mari épris et
infidèle, se traduit avant tout par la migration vers un autre
appartement, plus coquille que cocon, où la lumière sur un mur
peint blesse les yeux, où les rideaux sont dans un carton au lieu
d’occulter la grande fenêtre, où les enfants, Will et Cate, sont
déjà levés mais où les œufs qu’ils font frire sentent la mort.
Mieux vaut courir d’une vie à l’autre, au rythme des chapitres :
celle de Carmine, le fabricant de feux d’artifice, dont les fusées
parfaitement réglées explosent tous les ans dans le ciel du 4
juillet, fête nationale, mais qui vient de se faire ravir son rôle
de metteur en scène par un ordinateur. Celle de sa fille Sam, sur
qui l’on va tirer pendant une autre fête, lors du Nouvel An. Celle
de Nicky Chaos, le bien nommé, chef d’une inquiétante bande de
musiciens « post-humanistes » et de Frère Démon,
l’encore-mieux-nommé, la pièce rapportée, l’oncle
machiavélique et impassible qui a pris le pouvoir chez les
Hamilton-Sweeney. Il y en a bien d’autres. Le roman foisonne de
personnages : tendres et naïfs comme Charlie, amoureux de Sam ;
déjantés comme l’inspecteur Pulaski et son ami Richard, le
journaliste, tous deux essayant de résoudre par des voies
différentes le mystère de l’agression que celle-ci a subie ; ou
vulnérables comme Jenny, la voisine de Richard, elle aussi
déracinée.
On l’a beaucoup dit, parce que c’est vrai, le personnage capital,
c’est la ville de New York. GRH la chante, la dessine, l’étrille,
dans une langue irrésistible, même traduite. Mercer contemple « la
Ville telle qu’il l’imaginait depuis le coin ingrat où il était
né (…) De la neige (…) surgissaient des immeubles crénelés (…)
et à Central Park Sud, sur les hôtels en forme de pièce montée,
tombait du sucre glace ». Regan a l’estomac soulevé par « la
suspension gélifiée du taxi » et par son angoisse. « Elle
eut la vision soudaine d’une ville retournée à l’état sauvage.
La neige, en disparaissant, laisserait apparaître des lianes
grimpant aux maisons, des pumas rôdant à l’entrée des métros ».
Richard, le journaliste, voit « L’Histoire, le théâtre, le
destin, l’impermanence, le désastre, la politique, la ville, le
tout bien tassé dans une unique fusée promise à l’embrasement ».
Mais c’est encore et toujours Regan qui me bouleverse (mon cœur de
mère !) quand elle accompagne ses enfants jusqu’au métro
(« Maman, on prend tout le temps le métro tout seuls quand on
est chez Papa ») et qu’elle les suit à l’intérieur de la
station, puis sur le quai, jusqu’à la fermeture des portes… Bien
plus tard, les dernières centaines de pages du livre font revivre la
panne d’électricité géante, le « black-out » qui
frappa New York en juillet 1977, entraînant pillages, émeutes et
incendies. Charlie poursuit une hypothétique bombe, une fille en
patins à roulettes règle la circulation dans la lueur des phares,
Keith et Regan courent dans les rues obscures en criant les prénoms
de leurs enfants. Nous hurlons avec eux."
Hélène Honnorat
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