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jeudi, novembre 19, 2020

"L'autre moitié de soi", de Brit Bennett (Etats-Unis)

 

Desiree et Stella sont deux jumelles noires.

Nées dans une petite bourgade, Mallard, peuplée de personnes noires, à une époque où les noirs st les blancs ne se mélangent pas.

C’est un drame familial (le père, tué par des Blancs, pour d’obscures raisons) qui est à l’origine de leur histoire. Adolescentes, elles fugueront ensemble à la Nouvelle Orléans.

Mais là, leur destin va bifurquer. Desiree la plus sage en apparence, restera parmi les siens, épousera un homme très noir et aura une fille avec lui – Jude. Battue par ce mari violent, elle le quittera sur un coup de tête, pour rejoindre Mallard et retrouver sa mère, ainsi que le chasseur de primes, embauché par son mari pour la retrouver, mais lui-même amoureux de Desiree dans le passé, qui deviendra son compagnon et un père de remplacement pour Jude.

Quant à Stella, elle réussit, parce que sa couleur de peau le lui permet, à se faire passer pour une blanche. Et vivre une vie de blanche, épouser son patron, un riche business man, et même avoir une fille totalement blanche, prénommée Kennedy.

De la couleur de peau il est vraiment question dans tout ce roman trépidant, où l’on suit tour à tour l’histoire de Desiree qui revient à la maison, puis Jude jeune adulte fuyant sa mère et sa grand-mère, puis la quête de Desiree pour retrouver sa sœur – en vain.

Peut-on vivre en permanence sur un mensonge ? Ce roman pose bien sûr la question de l’identité.

Stella devra en permanence user de duplicité, nier avoir une famille (elle prétend qu’ils sont tous morts dans un accident) et jouer tous les codes des « White mens and womens » de cette époque.

L’un des moments les plus savoureux de ce récit, c’est lorsque la famille Sanders, composée de Stella, Blake son mari et Kennedy sa fille, résident dans un luxueux quartier peuplé de blancs uniquement. Mais o scandale ! un couple de riches noirs projette de s’y installer. La réponse des blancs ne tarde pas : ils doivent s’allier pour qu’un tel évènement n’arrive pas, et Stella, qui n’a qu’une seule peur – être reconnue par « les siens » - doit donner des gages et hurler au scandale à l’unisson.

Pourtant lorsque le couple, accompagné d’une petite fille de l’âge de Kennedy, s’installent en face de chez les Sanders, Stella sera très tentée de faire connaissance avec eux.

« Vous me faîtes penser à ma sœur jumelle », dit-elle-même à la jeune mère, alors qu’elle sirote un cocktail chez sa voisine, ce que ne peut comprendre son interlocutrice, qui ne voit pas de rapport entre cette blanche bien installée dans sa caste, et elle-même qui a réussi à se hisser à ce niveau grâce à l’argent gagné par son mari acteur de série.

Mais le drame n’est jamais loin, et le couple de noirs devra fléchir devant la violence du rejet des voisins blancs.

Brit Bennett maîtrise son sujet. Elle sait sans doute de quoi elle parle, et les passages sur une chronique de la haine ordinaire sont savoureux.

Le salut viendra de la nouvelle génération. Les deux « cousines » feront connaissance, l’une sachant à quoi se tenir (Jude) tandis que l’autre ne peut croire à une histoire aussi incroyable (sa mère ne serait pas la femme blanche bourgeoise qu’elle fait semblant d’être). Pourtant les problèmes d’identité se reporteront sur Kennedy, qui n’aura de cesse de chercher qui elle est, trouvera un répit lorsqu’elle endossera le rôle d’un personnage sur scène, ou quand elle voyagera de ville en ville, incapable de se fixer quelque part.

L’autrice nous donnera le loisir d’assister à une scène de retrouvailles entre les deux sœurs, retrouvant dans leur village natal pour un instant leur complicité d’enfance, mais ce ne sera que de courte durée, et Stella retournera à son rôle de blanche, abandonnant définitivement son passé à jamais.

« L’autre moitié de soi » fait penser à « la Tâche » de Philip Roth – un autre cas de dissimulation de ses origines – et plus globalement à tous ceux qui doivent troquer leur identité de naissance contre une autre qui leur permette de vivre différemment.

Avec Brit Bennett on a ici un grand roman contemporain, sans manichéisme, et une excellente chronique de l’Amérique des dernières années, avant la prise de conscience – enfin ! – que « black lives matter ».

Les vies noires comptent, et « L’autre moitié de soi » en est une excellente illustration.

Florence Balestas

L’autre moitié de soi, de Brit Bennett, traduit par Karine Lalechère, éd. Autrement, 2020

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