Pages

dimanche, mars 28, 2021

"Des vies à découvert", de Barbara Kingsolver (Etats-Unis)

 


Deux familles, deux époques, un même lieu : Vineland dans le New Jersey.

Dans la première histoire, nous sommes aux prémisses de l’arrivée de Trump au pouvoir. Obama est là, et il a mis en place l’Obamacare. Mais les primaires du côté républicain laissent présager de la suite.

Willa, la véritable héroïne de cette histoire, est une femme de classe moyenne, qui voit les difficultés financières s’amonceler.

Elle est dotée d’un mari – Iano, un très bel homme d’origine grec – d’un beau-père, malade, mais qui n’a pas sa langue dans sa poche, et de deux enfants aussi dissemblables que possible : Zeke, le garçon, l’aîné, emprunte beaucoup d’argent pour suivre des études prestigieuses. Il vise le secteur des finances, où il pourrait créer sa Start up afin de reconvertir l’argent de puissants investisseurs vers des microcrédits pour des créateurs d’entreprise en panne de budget, un peu partout sur la planète. Rien à voir avec Tig la rebelle, sorte de « Greta Thunberg » avant l’heure, qui a une vision très précise de la catastrophe climatique à venir, et qui a adapté son mode de vie en conséquence.

Dans l’autre moitié du roman, on suit les aventures de Thatcher  Greenwood, un professeur de sciences dans la ville de Vineland en 1871. Farouche partisan de Darwin et de la théorie de l’évolution. Malheureusement pour lui, dans cette ville de Vineland, totalement acquise à son bienfaiteur, le fameux Landis, il subit les foudres du Directeur du collège où il enseigne, complètement rétif à toute idée d'évolution, contre laquelle il oppose la bible et ses récits.

A 150 ans d’écart, Thatcher et Willa habitent la même ville. Et peut-être même la même maison. C’est du moins ce que va découvrir Willa en faisant des recherches, avec un espoir très mince de trouver une qualité historique à son habitation, ce qui pourrait peut-être l’aider à payer des travaux faramineux nécessaires pour rendre la maison habitable.

L’histoire démarre sur les chapeaux de roue : on y voit Willa, devenue depuis peu grand-mère puisque Zeke vient d’avoir un bébé, se préparer à aller voir son petit-fils du côté de Boston, avec pour trophée un berceau qui a vu naître toute la famille. Mais Willa reçoit un coup de fil stupéfiant de Zeke, avant de se mettre en route. Il lui a apprend qu’un drame vient de se jouer : Hélène, sa compagne et mère de l’enfant, vient de se suicider.

Après un début aussi tonitruant, on aurait pu imaginer que le roman de 570 pages allait poursuivre sur ce rythme. Honnêtement il n’en est rien, et il faut avouer que dans le premier tiers l’écrivaine Barbara Kingsolver est à la peine, pour nous décrire d’une part les turpitudes de Willa, ancienne journaliste aujourd’hui au chômage, récupérant un bébé et un beau-père épuisant – il est un fervent supporter républicain, contrairement à l’ensemble de la famille – et se débattant dans des soucis financiers de plus en plus nombreux.

samedi, mars 27, 2021

"La République des femmes" de Gioconda Belli (Nicaragua)

 

Gioconda Belli, née en 1948 à Managua (Nicaragua), est poète et romancière. Elle a obtenu de nombreux prix et ses livres sont traduits en plusieurs langues.

Son roman El pais de las mujeres vient d’être traduit en français sous le titre La République des femmes chez Yovana. Je le découvre car je ne l’avais pas lu en espagnol !

Dans un pays imaginaire d’Amérique centrale nommé Faguas, un groupe de femmes crée un parti politique, le PIE (Partido de la Izquierda Erotica).

« nous lançons ce manifeste, afin de dire aux femmes et aux hommes de ne plus attendre l’arrivée d’un homme d’honneur mais de parler dès maintenant de nous, les femmes du PIE (Parti de la Gauche Erotique). Nous sommes de gauche car nous pensons qu’il faut asséner un bon direct du gauche à la pauvreté, à la corruption et au désastre qui règnent dans notre pays. Nous sommes érotiques parce qu’Eros signifie la VIE -notre bien le plus précieux- et parce que depuis toujours, nous les femmes, sommes non seulement chargées de donner la vie mais aussi de la préserver et d’en prendre soin ; nous sommes le PIE parce que ce qui nous pousse, c’est notre désir de faire avancer les choses, de tracer le chemin en marchant et d’aller de l’avant avec ceux qui veulent nous suivre. »

Suite au réveil du volcan Mitre qui a entraîné chez les hommes une perte provisoire de testostérone… elles parviennent au pouvoir par les urnes en promettant de créer une société du « félicisme ». Pour y parvenir, elles commencent par mettre en place une série de mesures révolutionnaires visant à instaurer l’égalité entre les sexes et entre les classes sociales.

« Azucena travaillait dans les Unités spéciales créées pour lutter contre les agressions sexuelles, les viols et les violences domestiques. Au moins à présent, les salauds, les brutes, les lâches ne pouvaient plus s’en prendre aux femmes sous leur propre toit. Autrefois, les gouvernements changeaient des choses qui ne se voyaient pas, que seuls les économistes comprenaient, pensa-t-elle, alors que ces femmes-là nous apprennent à vivre d’une façon différente. »

lundi, mars 22, 2021

« El hijo del Padre » de Victor del Arbol (Espagne)

Il faut se souvenir de la dédicace qui ouvre « Un millón de gotas » (« Toutes les vagues de l’océan ») : « À mon père et à nos murs de silence ». On pourrait dire que « El hijo del padre » est le moment, dans le parcours de Victor, où ces murs de silence ont été rompus.

Dès la première page, tout s’est déjà accompli : Diego Martín, ce professeur d’université, spécialiste de Dostoïevski, qui semble avoir réussi sa vie, a torturé et tué Martín Pierce dans la Casa Grande et a appelé la police.

En même temps il nous est également dit que ce n’est pas l’essentiel de l’histoire, que l’essentiel est ailleurs et que le temps des héros est révolu : « Para ser hombre hay que negarse a ser Dios » (Albert Camus, « L’homme révolté ») est-il rappelé dans la préface.

dimanche, mars 14, 2021

"Aller simple", de Erri de Luca (Italie)

 


Magnifique offrande poétique que cette édition bilingue, avec l’ouverture « Aller simple » au cœur du sujet humanitaire en Méditerranée qui rejoint l’action de S.O.S. Méditerranée. 

 

Où la poésie permet d’alerter, informer et agir pour sauver des vies. Si il y a bien une fonction du langage de partager, c’est bien un élan vers la vie qui importe et ce salutaire élan de s’accomplir.

 

Six autres voix :

 

La mer était une bande en travers, caresse des pieds,

le plus aimable barrage de frontière.

 

Ce n’était plus à nous, mais au bateau d’aller,

le bagage déchargé des épaules, la mer était un soulagement.

 

Ce n’était plus aux jambes de monter,

pour nous, marcheurs, la mer est un chariot.

 

La mer pousse, confuse, un jour elle court vers l’est,

un autre elle veut le nord avec ses giclées de lait sur les vagues.

 

La mer est une girouette, les hommes marins sont des enfants féroces et amers, d’un orphelinat.

 

La mer n’est pas un fleuve qui connaît le voyage, mais une eau sauvage,

au-dessous c’est un vide déchaîné, un précipice.

 

Une poésie de la conscience et de l’action !

Merci Erri de Luca !

François Szabó

Aller simple, Erri de Luca, traduit de l’italien par Danièle Valin, Edition bilingue Poésie Gallimard, 2021, 300 pages

samedi, mars 06, 2021

"Notes du ravin", de Philippe Jacottet (France)

 


La disparition récente du grand poète Philippe Jaccottet, et le démarrage de l’évènement « le Printemps des poètes » édition 2021 : deux bonnes raisons de parler de « Notes du ravin » de ce poète paru aux éditions Fata Morgana.

Dans ce cours opuscule, Philippe Jaccottet décrit les paysages de la Drôme qu’il habite et les pensées qu’elles suscitent en lui.

Il parle de l’absence, de ce vieillard qui a perdu « son compagnon de toute une vie », frappé par le cancer, et ce drame lui fait naître des mots qui touchent :

« Toute la misère humaine, quand on la touche du doigt, c’est comme une bête qui inspire une répulsion qu’il faut que le cœur endure et surmonte, s’il le peut. »

 

Dans ce poème en prose, on regarde avec lui le paysage qui l’entoure : le Mont Ventoux avec sa « couronne de pétales de rose », une buse monter « en lentes spirales dans la lumière dure de l’avant-printemps », la pluie, aussi, « froide comme du fer » ou des violettes au ras du sol : « ce n’était que cela », « rien de plus », « une sorte d’aumône, mais sans condescendance, une sorte d’offrande, mais hors rituel et sans pathétique ».

 On entend aussi le rossignol « sorti dans la brume d’avant le jour », on voit un engoulevent « dans le gris du matin, plus proche qu’il ne l’a jamais été de la maison, comme si ne pouvait plus l’effrayer quelqu’un d’aussi proche des ombres » ou encore un martin-pêcheur aperçu parmi les saules.

mardi, mars 02, 2021

"À la ligne" de Joseph Ponthus (France)

 


Joseph Ponthus était un homme fragile, extrêmement attachant, ses choix de vie en sont la preuve. Le cancer a eu raison de lui. Il avait 42 ans. Il nous laisse en héritage ce très beau livre poème paru il y a deux ans à La Table Ronde, À la ligne. À travers sa propre expérience c’est un magnifique hommage qu’il rend à tous les travailleurs de l’ombre :

Pour rejoindre la femme qu’il aime, cet homme au parcours atypique (hypokhâgne, khâgne puis éducateur en région parisienne) part pour la Bretagne et ne trouve pas de travail dans son domaine. Alors il embauche, « pour les sous » dit-il, comme intérimaire dans une conserverie de poisson puis dans un abattoir. Et il nous raconte cette expérience qui a été pour lui comme une déflagration de travail à la ligne, on ne dit plus à la chaîne.

lundi, mars 01, 2021

Apocalypse cognitive, de Gérald Bronner (France)


IL FAUT lire Apocalypse cognitive, de Gérald Bronner. Je lui sais un gré infini de mettre pour nous des mots et des chiffres sur une réalité contemporaine : « La dérégulation du marché cognitif – la capacité pour chacun d'intervenir sur le marché public de l'information, sur un blog, sur YouTube, Instagram ou Facebook – permet à tous de capter le temps de cerveau disponible d'autrui ».

L'auteur met en évidence cette sollicitation cognitive permanente ; le despotisme de l'événement ; celui de la comparaison frustrante à un autrui qui se pose en modèle idéal, libre de son destin et de ses désirs, répandu à des millions d'exemplaires sur les réseaux sociaux (mais nulle part il n'évoque René Girard et le « désir mimétique » ou « désir triangulaire » que ce dernier avait si bien analysés dans la littérature et la publicité, longtemps avant le déferlement d'Internet) ; celui des « boucles addictives » jouant sur les invariants de l'espèce humains (besoin de conflits, de colère, de peur, de sexe, etc.) et le fait que déjà, en 2010, selon l'Insee (p. 79), la moitié du « temps mental disponible » était dévorée par les écrans (TV, ordinateurs, téléphones).