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samedi, mai 29, 2021

"Le neveu d'Anchise", de Maryline Desbiolles (France)

 

Aubin est un jeune homme très attachant.

Son Grand Oncle, Anchise, était un apiculteur installé sur les hauts de Nice, tout comme toute la famille d’Aubin. Celui-ci garde un souvenir mémorable de la fois où les abeilles de son rucher avaient attaqué sa mère et lui, par un soir d’orage, sans que le Grand Oncle se décide à leur prêter main forte : il riait à gorge déployée devant le spectacle et ne voyait pas l’intérêt de lever le moindre petit doigt pour éviter l’attaque. De ce souvenir douloureux, dont Aubin conservera quelques jours un œil gonflé par une piqure d’abeille, sa mère gardera l’idée que son oncle est quelqu’un d’infréquentable, et il ne sera plus question de le revoir. Pourtant cet Anchise n’était qu’un original qui, quelques temps plus tard se suicidera en s’immolant par le feu, inconsolable de la mort de sa femme 60 ans plus tôt, une femme portant un prénom un peu désuet mais adorable : « Blanche » ….

Aubin grandit.

Entre une mère caissière et un père ripeur – on aurait pu dire aussi « agent de collecte des déchets » ou bien encore éboueur, mais le père préférait ripeur, plus chic – qui les quitta tous deux du jour au lendemain, sans coup férir, et remplacé un an plus tard par un dénommé Maxence dit Maxou, avec qui Aubin ne veut rien à voir à faire.

Ça tombe bien : Maxou joue aux jeux vidéo, tandis qu’Aubin grimpe dans la colline derrière chez lui. Il habite à proximité de son oncle et de sa tante : Tante Stefi est maître-chien et le beauceron loge dans sa niche à côté de la maison, tandis que leurs deux jumeaux passent leur temps à se goinfrer et que l’oncle regarde des films pornos. Un cadre charmant, quoi …

Il y a peu la maison d’Anchise a été rasée. Mais juste avant Aubin trainait souvent dans la maison désaffectée, une maison tout en fouillis et dans laquelle il a déniché une trompette. L’instrument trône maintenant sur une étagère au-dessus de son lit : trouvera-t-il une occasion de l’utiliser un jour ?

La maison d’Anchise rasée, la commune décide d’y installer une déchetterie. Des déchets, il en sera question tout au long de ce récit, et c’est un des thèmes de ce récit qui révèle plein de surprises

A l’image de cet Abdel, jeune gardien de la déchetterie, qu’Aubin va rencontrer : « Adel je ne sais pas le décrire, il a des yeux jaunes, et tout est dit ». Aubin est plein d’un sentiment nouveau pour cet Adel, un sentiment qu’il ne saurait nommer (trop dangereux) mais il cherche toutes les occasions de se rapprocher de lui, trainant autour de la déchetterie pour apercevoir son « ami ».

Adel va faire découvrir une musique à Aubin, une musique dont il n’a jamais entendu parler – chez lui on écoute « Chériefem » - une musique qu’il appelle Jazz. Alors Aubin fouille sur Internet et découvre l’histoire triste et belle de Chet Baker – très beau chapitre sur la vie de ce trompettiste hors norme et sur sa fin dramatique. Ce musicien lui donne envie de s’essayer à la trompette d’Anchise : « La trompette pourrait-elle être un leurre pour attraper Adel ? »

 

 

Je connaissais Maryline Desbiolles pour avoir lu plusieurs de ses livres, notamment « la Seiche » que je vous recommande si vous ne l’avez pas encore lu. Elle avait déjà brossé le portrait d’Anchise dans un livre qui avait pour titre ce seul nom, « Anchise ». Ici l’autrice poursuit et fouille encore la question de la mémoire, de la transmission, des restes que nous laissons derrière nous et de cette civilisation du déchet recyclé que nous connaissons aujourd’hui.

Et bien sûr, on croisera des migrants. Ils passeront comme des ombres sur la route qu’empruntera Aubin avec son père, et, tout comme nous le faisons, les deux hommes détourneront les yeux pour ne pas savoir ce qu’il adviendra de ses jeunes garçons, à peine plus vieux que lui, mais venus d’un ailleurs lointain dont on ne sait rien.

Maryline Desbiolles excelle aussi à décrire ces zones urbaines délaissées, bien loin de Nice et de ses beaux quartiers, et ses romans pourraient être des manuels de sociologie, s’il n’y avait surtout chez elle quelque chose de très fort : le style.

Le mieux pour en rendre compte est d’en lire quelques extraits, car il relève à la fois de la poésie, de la peinture aussi, qui a touché était très importante pour Maryline Desbiolles, et qui ressort dans sa façon de décrire ses paysages que plus personne ne regarde, mais encore de la mélancolie, avec ce regard tendre qu’elle porte sur des personnages qui ont tous beaucoup de profondeur.

Roman initiatique, qui verra Aubin passer d’une adolescence solitaire à l’entrée dans l’âge adulte par le désir, avec un état de tension qui nous conduira jusqu’au drame final, ce « Neveu d’Anchise » est vraiment une réussite.

Florence Balestas

Le neveu d'Anchise, Maryline Desbiolles, Seuil, 2021

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