C’est un récit assez décousu comme semble l’être la vie de la narratrice et protagoniste principale. Il s’agit d’une mère d’un très jeune enfant qui vient vivre dans une région rurale du Danemark où son mari est prof dans une école qui constitue une communauté aux liens assez forts. Sa vie et son récit sont une succession réitérée de moments de ses journées : les moments avec son amie, mère elle aussi mais aussi business woman ; les moments où elle dépose son fils à la crèche ; les leçons de conduite où elle est calamiteuse ; et enfin les échanges assez marrants de la rubrique « courriers des lecteurs » qu’elle a en charge en guise d’activité professionnelle… Sa vision des choses est souvent percutantes et fait immanquablement écho à des choses que bien des femmes vivent et ont vécu...
Laurence Holvoet
Un extrait pour donner un exemple du style et du propos :
Pages 44-45
« Krisser nous a inscrites au Loop, une salle de sport qui propose un entraînement en circuit. En fait, elle n’aime ni faire de l’exercice ni avoir un rythme de vie sain, mais elle pense que nous devons nous remettre en selle. Lorsque nous nous sommes rencontrées pour la première fois dans le groupes des mamans, Krisser et moi nous sommes regardées comme si nous avions été jetées en pleine mer et ne découvrions que maintenant que d’autres flottaient autour de nous, en se débattant et en gémissant. Nous avons mangé des montagnes de gâteaux, qui s’empilaient devant nous comme autant de munitions mises à notre disposition. Des feuilletés au beurre, des bretzels briochés, des croissants aux amandes, des mille-feuilles de biscuits au chocolat, des roulés à la cannelle, des gâteaux au massepain et au chocolat, et des truffes. Nous parlions de nos bas-ventres, comparions nos vergetures, sortions nos seins et disions, désolée j’ai une fuite. Mon chéri était à la hojskole. Karsten était à l’hôtel, et les enfants ouvraient leurs yeux et nous regardaient pleins d’attente. Google avait fait faillite et nous avait laissée seules dans un monde rempli de corps. Nos longues conversations auraient pu se résumer à une seule question brûlante : est-ce normal ? « Normal » était la tendance du moment, normal était une liane avec laquelle on pouvait se balancer au milieu de la jungle pour traverser une rivière infestée de crocodiles. Nous nous souhaitions des pleurs moyens, ni trop, ni trop peu, et essayions d’atteindre le stade juste entre les coliques et la surdité. Même si les enfants n’arrêtaient pas de grandir, nous ne nous en rendions pas compte, nous n’imaginions pas qu’il y aurait une fin aux nuits d’allaitement. Qu’un jour il se mettraient debout et marcheraient, qu’ils attraperaient un couteau et une fourchette pour manger dans une assiette, qu’ils s’assiéraient sur des toilettes et tendraient la main vers le papier. Nous étions fondues dans un présent sans fin, nous étions trop fatiguées pour nous rappeler un avant ou pour croire en un après. Les fluides coulaient, le lait, la sueur et les larmes. Nos points de suture étaient serrés et nos seins tendus. Nous étions des corps en arc, nous inspirions et tout tremblait, et soudain nous expirions et tous nos contours disparaissaient. Pas du tout préparées, nous avions été aspirées dans un univers rempli de motifs joyeux et de nounours chantants. Krisser n’était pas heureuse, mais elle était drôle et nous résolvions nos problèmes de la même manière. »
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