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mercredi, avril 20, 2022

"La bonne chance" de Rosa Montero (Espagne)

 


Après « la chair » del’autrice espagnole Rosa Montero, voici qu’est sorti « La bonne chance » à l’automne 2021 : l’occasion de retrouver celle qui nous a déjà régalés avec sa « Folle du logis » ou bien avec « Le roi transparent » ou bien d’autres encore.

Qu’est-ce qui peut pousser ici Pablo, architecte mondialement reconnu, en route depuis Madrid par un train qui dessert les petites gares jusqu’à la ville où il est attendu pour y donner une conférence, à chercher à revenir sur ses pas en direction du petit village de Pozonegro, à acheter sur le champ un appartement miteux donnant sur la ligne de chemin de fer, et à s’y installer sans donner de nouvelles à qui que ce soit ?

Pablo a un comportement curieux. C’est aussi ce que se dit Raluca, l’autre protagoniste principale de cette histoire, sa voisine dans cet immeuble sans goût ni grâce, dans cet endroit sans absolument aucun intérêt, mais qui décide malgré tout d’aider Pablo dans une sorte de solidarité naturelle : elle va le guider dans le seul supermarché de la ville, où elle est caissière, à effectuer de premiers achats indispensables, et puis ensuite va même lui trouver un travail de mise en rayon dans ce même supermarché – une activité incroyable pour qui jusqu’ici dirigeait un grand cabinet d’architecte avec des commandes venant de partout.

Pablo cache de curieux secrets. Plusieurs hommes sont à ses trousses, et n’auront de cesse de le pister dans ce lieu complètement perdu, jusqu’à un final qui mettra en scène Raluca, leur voisin Felipe, un vieil homme asthmatique bien sympathique, une petite chienne trouvée par hasard, mais aussi des mauvaises personnes qui en veulent à Pablo .

Je n’en dirai pas plus, pour ne pas divulgacher le plaisir du lecteur, car il y a un côté passionnant dans ce récit de Rosa Montero. L’autrice espagnole traite ici, sous couvert d’une belle histoire entre Pablo et Raluca que tout oppose par principe, des questions du bien et du mal, mais aussi de celles de la culpabilité, de la peur et de la lâcheté, de la haine et de la passion.

Pablo est fasciné par le mal sous toutes ses formes : le récit est ponctué de rappels de faits divers tous plus horribles les uns que les autres, dans lesquels un homme terrorise sa famille ou d’autres récits qui mettent en scène la cruauté humaine sous toutes ses formes. « Les monstres se cachent dans le ventre lugubre du silence domestique »  écrit Rosa Montero, et elle décrit une situation de maltraitance quotidienne avec la question de la lâcheté avec laquelle nous observons ses situations qui nous fait réfléchir nous aussi.

Elle dépeint aussi ces territoires abandonnés par les politiques, bien loin de la capitale et des grandes villes, où les commerces s’éteignent les uns après les autres, et où les jeunes n’ont aucun avenir et où la vie elle-même est des plus difficiles.

Mais il y a un véritable rayon de soleil dans ce récit : Raluca, abandonnée dans son enfance, cumulant tous les handicaps possibles dans son enfance, est lumineuse sous la plume de l’autrice – elle est vraiment « sa » bonne chance. Pablo est un homme blessé, qui a vu sa femme mourir d’un cancer, et qui a refermé en lui toute possibilité de tendresse – saura-t-il s’ouvrir à ce que la vie lui propose ?

« Raluca est une planète, Raluca est la Terre flottant dans l’espace, bleue et verte et blanche de la crème fouettée des nuages, une boule ensoleillée et fulgurante, aussi belle que la plus belle des perles dans la noirceur solitaire du cosmos, et Pablo est un météore qui tombe frénétiquement vers elle, piégé par l’inexorable loi de la gravité. L’architecte n’est même pas capable de s’interroger sur l’opportunité de ce qui est sur le point de se produire, étant donné que les morceaux de roche en feu n’abritent que la conscience de leur destin, qui consiste à s’abattre sur la planète. »

Elle qui souffre d’un handicap physique qu’elle tente de dissimuler, cache une véritable grandeur d’âme, et pourrait rivaliser avec bien d’autres personnes issues de couches sociales supérieures, comme semble l’indiquer l’autrice espagnole, qui dénonce au passage l’hypocrisie ambiante, cet « entre-soi » qui caractérise ceux qui ont réussi … et qui laissent de côté tant de belles personnes qui n’ont pas accès à leur rayon de soleil.

Un roman qui fait du bien dans une période aussi sombre, pour peu qu’on sache regarder autour de nous, bien loin des réseaux sociaux et des actualités des grandes villes, et remarquer tous ceux qui ne font pas la Une des journaux mais méritent qu’on parle d’eux, eux aussi. 

Florence Balestas

La bonne chance, Rosa Montero, traduit en français par Myriam Chirousse, éditions Métailié, 2021

1 commentaire:

  1. Merci Florence ! Tu nous en as très bien parlé aussi en réunion "Collecteurs"... quelle belle couverture, et quelle belle critique ! HH

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