L'été
est la saison des flâneries, et à l'occasion de nos échanges
autour des nouvelles de Sergi Pàmies
au printemps, Rachel
m'avait parlé des nouvelles du recueil Stella Maris qui a déjà
fait l'objet d'un article dans ce blog en mars 2012 :Nous avons découvert Stella Mari.
J'ai donc exploré l'ouvrage et je
partage l'avis de Michelle : l'écriture de Frédérique
Marthouret est vraiment belle, légère et profonde… Alors pour
partager et prolonger avec vous cette jolie découverte, voici
quelques extraits choisis !
P.
35
« Le
travail du poète
Les
mots jouent très vite à saute-mouton si l'on n'y prend garde. Leur
détente n'aboutit qu'à de faux rebonds hors de la page où ils se
plaisent à disparaître avec une partie de votre sainte caboche.
Pour bien faire, il faudrait les figer en plein vol et les rabattre
avec autorité. Leur faire violence au risque de les rebuter. Je ne
suis pas écrivain mais gardien de mots. Je ne trouve pas les mots,
je les empêche de s'évanouir et les rappelle à l'ordre.
Tiens,
encore un qui vient de passer au-dessus de cette table, il me
narguait si je ne m'abuse ! Bien fait pour toi, tu ne feras rien
de bon aujourd'hui !
Je
dois vous dire que j'ai un sacré contentieux avec eux, un passif
pour ainsi dire ! Je pourrais écrire dix volumes avec tout ce
que j'ai laissé s'envoler.
J'ai
très tôt affirmé à mon entourage que je serais écrivain alors
même que je n'écrivais pas : tout petit déjà, à six ans, ce
qui me valait quelques sourires que je prenais pour pour de
l'encouragement, et puis plus tard, vers quinze ans. Je mentais,
persuadé de ne pas mentir entièrement, porté par une intuition
vitale qui ressemblait à de la prémonition. Tout ça me rendait
intéressant et je me voyais briller dans les yeux des filles
intriguées, d'autant plus titillées que je ne leur faisais jamais
lire, bien entendu, les fruits de mon labeur ! En vérité, à
mesure que je grandissais, je sentais les mots creuser leurs sillons,
élaborer des réseaux secrets, vivre leur propre vie, en moi et
indépendamment de moi, comme des locataires peu accortes, jaloux de
leur liberté qu'en voisin trop présent, j'aurais pu mettre en péril
mais dont j'attendais la visite prochaine. Ils s'étendaient en
rhizomes, créant dans ma chair les fondations d'une bâtisse dont
l'entrée me demeurait interdite. Nous cohabitions à des étages
différents, sans jamais nous croiser, et je me suis mis à souffrir
de cette situation en doutant de plus en plus, car je n'avais aucun
talent particulier au collège et au lycée.(...) »
P.
64
« Un,
deux, trois
Elle
est morte sur le trottoir en allant chercher son journal comme tous
les matins. Elle est tombée. Le temps que le médecin arrive et lui
fasse un massage cardiaque c'était fini ! Ça, elle a eu une
belle mort. Cette manie qu'ont les gens de parler d'une belle mort
comme d'une belle bague de fiançailles(on en a eu pour son argent)
ou d'un beau spectacle (on ne regrette pas d'être venu). Un dû à
la hauteur de ce que le défunt méritait. Conforme à sa
personnalité, comme appelé par elle, ou plutôt par l'image qu'elle
souhaitait donner d'elle. Par ce que l'on était fermement convaincu
de cerner, et qui s'avérait le plus souvent à côté, très
au-delà, ou très en-deçà de ce qu'elle était fermement
convaincue de renvoyer, qui en soi-même approchait très vaguement
de ce qu'elle était vraiment. Ce qu'elle était vraiment au fond,
tout au fond, la clé de son être le plus authentique, cachée dans
les replis obscurs de chair et d'âme auxquels personnes n'aurait
accès, retenue dans les arcanes qu'elle chercha toute une vie à
préserver des présences inquisitrices, n'étais-ce jamais que
l'imagequ'elle souhaitait donner d'elle… Qui elle-même
n'approchait que très imparfaitement de ce qu'elle se sentait être
au fod, tout au fond. Une vraie tragédie que cet éternel retour à
l'envoyeur entre l'être et le paraître.(...) »
P.
75
« Nous
entrerons dans la carrière
Guetteuse
d'aube !
-
Que dis-tu là ?
-
Parfaitement, guetteuse d'aube…
-
Mais enfin ce n'est pas un métier !
La
conseillère d'orientation eut beaucoup de mal à cacher davantage
son dépit. Une heure que cela durait ! La petite commençait à
lui faire souci. C'était le moment du bilan annuel. Elle n'avait pas
l'air de saisir que son avenir se jouait cette année, que ses notes
étaient médiocres et qu'il fallait affiner son profil, cibler au
plus près ses points forts, définir un projet. Le cas s'avérait
atypique, on n'aurait su dire à quelle catégorie correspondait
cette jeune fille : littéraire, scientifique, cérébrale,
manuelle, conceptuelle…
-
Mais enfin quel genre de fille es-tu ? Je sais bien que tu n'as
pas encore treize ans, seulement, tout va tellement vite ! Tu
n'auras pas eu le temps de dire ouf que ça sera terminé pour toi.
L'adolescente
tiqua, quelques larmes perlèrent dans ses yeux, et la conseillère
d'orientation qui avait jadis reçu une formation de psychologie
s'empressa de le remarquer, jugeant opportun de cocher au passage la
case « sensible » de son questionnaire d'aptitude. Bon et
bien, c'était là une donnée à exploiter, la sensibilité. Il y
avait matière à réflexion.(...) »
« Stella
Maris » de Frédérique Marthouret, coll. Écriture,
L'Harmattan, 2009 (nouvelles).
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