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vendredi, septembre 25, 2015

"Stella Maris" de Frédérique Marthouret, bis !

L'été est la saison des flâneries, et à l'occasion de nos échanges autour des nouvelles de Sergi Pàmies au printemps, Rachel m'avait parlé des nouvelles du recueil Stella Maris qui a déjà fait l'objet d'un article dans ce blog en mars 2012 :Nous avons découvert Stella Mari.
J'ai donc exploré l'ouvrage et je partage l'avis de Michelle : l'écriture de Frédérique Marthouret est vraiment belle, légère et profonde… Alors pour partager et prolonger avec vous cette jolie découverte, voici quelques extraits choisis !



P. 35
« Le travail du poète
Les mots jouent très vite à saute-mouton si l'on n'y prend garde. Leur détente n'aboutit qu'à de faux rebonds hors de la page où ils se plaisent à disparaître avec une partie de votre sainte caboche. Pour bien faire, il faudrait les figer en plein vol et les rabattre avec autorité. Leur faire violence au risque de les rebuter. Je ne suis pas écrivain mais gardien de mots. Je ne trouve pas les mots, je les empêche de s'évanouir et les rappelle à l'ordre.
Tiens, encore un qui vient de passer au-dessus de cette table, il me narguait si je ne m'abuse ! Bien fait pour toi, tu ne feras rien de bon aujourd'hui !
Je dois vous dire que j'ai un sacré contentieux avec eux, un passif pour ainsi dire ! Je pourrais écrire dix volumes avec tout ce que j'ai laissé s'envoler.
J'ai très tôt affirmé à mon entourage que je serais écrivain alors même que je n'écrivais pas : tout petit déjà, à six ans, ce qui me valait quelques sourires que je prenais pour pour de l'encouragement, et puis plus tard, vers quinze ans. Je mentais, persuadé de ne pas mentir entièrement, porté par une intuition vitale qui ressemblait à de la prémonition. Tout ça me rendait intéressant et je me voyais briller dans les yeux des filles intriguées, d'autant plus titillées que je ne leur faisais jamais lire, bien entendu, les fruits de mon labeur ! En vérité, à mesure que je grandissais, je sentais les mots creuser leurs sillons, élaborer des réseaux secrets, vivre leur propre vie, en moi et indépendamment de moi, comme des locataires peu accortes, jaloux de leur liberté qu'en voisin trop présent, j'aurais pu mettre en péril mais dont j'attendais la visite prochaine. Ils s'étendaient en rhizomes, créant dans ma chair les fondations d'une bâtisse dont l'entrée me demeurait interdite. Nous cohabitions à des étages différents, sans jamais nous croiser, et je me suis mis à souffrir de cette situation en doutant de plus en plus, car je n'avais aucun talent particulier au collège et au lycée.(...) »
P. 64
« Un, deux, trois
Elle est morte sur le trottoir en allant chercher son journal comme tous les matins. Elle est tombée. Le temps que le médecin arrive et lui fasse un massage cardiaque c'était fini ! Ça, elle a eu une belle mort. Cette manie qu'ont les gens de parler d'une belle mort comme d'une belle bague de fiançailles(on en a eu pour son argent) ou d'un beau spectacle (on ne regrette pas d'être venu). Un dû à la hauteur de ce que le défunt méritait. Conforme à sa personnalité, comme appelé par elle, ou plutôt par l'image qu'elle souhaitait donner d'elle. Par ce que l'on était fermement convaincu de cerner, et qui s'avérait le plus souvent à côté, très au-delà, ou très en-deçà de ce qu'elle était fermement convaincue de renvoyer, qui en soi-même approchait très vaguement de ce qu'elle était vraiment. Ce qu'elle était vraiment au fond, tout au fond, la clé de son être le plus authentique, cachée dans les replis obscurs de chair et d'âme auxquels personnes n'aurait accès, retenue dans les arcanes qu'elle chercha toute une vie à préserver des présences inquisitrices, n'étais-ce jamais que l'imagequ'elle souhaitait donner d'elle… Qui elle-même n'approchait que très imparfaitement de ce qu'elle se sentait être au fod, tout au fond. Une vraie tragédie que cet éternel retour à l'envoyeur entre l'être et le paraître.(...) »


P. 75
« Nous entrerons dans la carrière
Guetteuse d'aube !
- Que dis-tu là ?
- Parfaitement, guetteuse d'aube…
- Mais enfin ce n'est pas un métier !
La conseillère d'orientation eut beaucoup de mal à cacher davantage son dépit. Une heure que cela durait ! La petite commençait à lui faire souci. C'était le moment du bilan annuel. Elle n'avait pas l'air de saisir que son avenir se jouait cette année, que ses notes étaient médiocres et qu'il fallait affiner son profil, cibler au plus près ses points forts, définir un projet. Le cas s'avérait atypique, on n'aurait su dire à quelle catégorie correspondait cette jeune fille : littéraire, scientifique, cérébrale, manuelle, conceptuelle…
- Mais enfin quel genre de fille es-tu ? Je sais bien que tu n'as pas encore treize ans, seulement, tout va tellement vite ! Tu n'auras pas eu le temps de dire ouf que ça sera terminé pour toi.
L'adolescente tiqua, quelques larmes perlèrent dans ses yeux, et la conseillère d'orientation qui avait jadis reçu une formation de psychologie s'empressa de le remarquer, jugeant opportun de cocher au passage la case « sensible » de son questionnaire d'aptitude. Bon et bien, c'était là une donnée à exploiter, la sensibilité. Il y avait matière à réflexion.(...) »


« Stella Maris » de Frédérique Marthouret, coll. Écriture, L'Harmattan, 2009 (nouvelles).

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