Ce
onzième roman de Laurence Biberfeld est à la hauteur des
précédents. Allez, on peut même dire qu'il les surpasse un brin !
L'écriture foisonnante et les descriptions très détaillées
auxquelles Laurence Biberfeld nous a habitués sont toujours bel et
bien là. En prime, ici, même les animaux parlent et décrivent ce
qu'ils voient, ce qu'ils vivent… Et ce n'est pas toujours rose, on
peut l'imaginer… car on sait dès le départ que l'intrigue se
déroule dans le huis clos d'une exploitation agricole, ou plus
exactement d'un élevage industriel, d'une porcherie-usine de
Bretagne…
La
4ème de couverture nous renseigne ainsi :
« Garance
se fait embaucher comme domestique par un couple d’éleveurs de
porcs. Dans un but précis. Les patrons, Marylène, une belle plante
jalouse et féroce, et Jean-Michel, un homme à femmes, sont
débordés, arrivistes : tout est bon pour nourrir leurs porcs et
leurs ambitions. À l’intérieur et autour de cet élevage
intensif, la présence obsédante des animaux s’ajoute à celle des
humains en un huis clos concentrationnaire. »
Comme
dans ses autres romans, présent et passé alternent et s’entremêlent
et Laurence Biberfeld s'attache à nous plonger dans la vie des
petits, des sans grade, des prolos et des taulards, tout en brossant
un portrait non exempt de tendresse d'un couple d'éleveurs
ambitieux, de patrons prêts à presque tout pour honorer leurs
rêves ! Elle décrit comme personne les états d'âme
contradictoires de ceux qui ont déjà tout perdu et donc plus rien à
perdre, de ceux qui n'espèrent plus rien mais qui s'empressent de se
réchauffer – sans illusion - à la moindre lueur de chaleur
humaine encline à les accueillir l'espace d'un moment. Ce qui est
pris est pris. Au bout du compte, au milieu de l'inhumanité de cet
élevage meurtrier et sans pitié, ce sont des portraits terriblement
humains que nous brosse Laurence Biberfeld. Il y a de la poésie dans
sa manière de nous amener à voir ce monde qui est là… en
l'occurrence, ici, juste derrière notre assiette !
A
noter que l'http://www.l214.com/
serait bien avisé de faire connaître ce roman !
Quelques
extraits de « Ce que vit le rouge-gorge » pour vous faire
une petite idée !
p. 57-58« Ça m'énerve, ça m'énerve, kh, je n'en peux plus d'attendre, d'attendre quoi, rrrrkh, la soupe, l'obscurité, qu'on me traîne d'une cage à l'autre, les baisers du verrat, errrkh, les petits qui me grouillent sur le ventre et que je ne peux pas flairer, rhoukhkh, je m'ennuie, quelle torture, j'ai mal partout, mon ventre pend sur les caillebotis trempés de merde, les fumées qui montent du lisier me piquent les yeux, me donnent des bourdonnements d'oreilles et me font tousser, orrrh, si ça pouvait s'éteindre, si je pouvais dormir ou simplement rêver, arhk, ronger ces barreaux jusqu'à ce que ma bave les dissolve, elle passe, elle passe, îîîrrkh, elle va me caresser les oreilles, rrrkh kh, tu vois bien que je tousse, je m'ennuie, ça m'énerve, si je pouvais seulement marcher un peu, îîîrrrh, elle s'en va, elle caresse d'autres oreilles, nous sommes des centaines ici, rrrh arh, je m'ennuie, je m'ennuie, ça m'énerve, ça me tueSophie passait dans les travées de l'unité de gestation, vérifiant la quantité de nourriture absorbée, l'état des lampes, l'efficacité de la ventilation, le bon fonctionnement des distributeurs automatiques. Les cochettes et les truies en période de saillie devaient subir un éclairage de dix-huit heures par jour, mais les truies gestantes bénéficiaient d'une obscurité réparatrice. Elle nota sur son micro-ordinateur portable les numéros des truies qui ne s'étaient pas alimentées dans la soirée et présentaient des signes d'inquiétude. Vingt-trois heures, elle quitterait bientôt la porcherie. Paco et Rémi devaient encore se trouver dans le bureau, ils avaient l'habitude de traîner, pas pressés de rentrer chez eux où les attendaient un poste de télévision et deux packs de bière pour l'un, une femme indifférente pour l'autre. »p. 68« Elle sort de la maison, allume une cigarette et se dirige vers les bâtiments de la porcherie en flânant. Elle s'accorde tous les jours vingt minutes de pause. Une vague odeur d'ammoniac lui fait froncer le nez. Elle croit sentir le désespoir des porcs, comme en longeant les murs d'une centrale la tristesse des prisonniers. Elle pense que l'homme est une sale bête, avec sa phobie maladive de la liberté, liberté des bêtes, des femmes, des malheureux, des fous, des enfants. Une hermine traverse le chemin, brune et souple, avec quelque chose d'indistinct dans la gueule. »p. 88« Il la porte dans ses bras. Elle a enfoui la tête dans le creux de son cou, le muscle de son épaule roule et elle goûte la douceur de sa peau, elle entr'ouvre la bouche, que c'est bon ce corps, tous les corps, elle se serre contre lui, essaie de l'embrasser de toute sa surface. Au moins, blottie comme elle l'est, elle évite son regard, mais il parle et parle encore.- Vous, j'ai toujours su que c'était autre chose, dès le début je l'ai su, c'était comme si je vous avais toujours connue…Qu'est-ce que ça peut me foutre, tais-toi, tais-toi je m'en fous, ferme ta gueule et laisse faire l'amour, l'amour n'a pas de nom, pas de visage, pas de voix, c'est un poids, une densité, une chaleur, c'est bon c'est aveugle je t'en supplie ferme ta gueule et laisse-moi jouir de ton corps qui est né et va crever avec mon corps qui est né et va crever. »
Bon,
j'arrête là parce que j'ai noté encore plus de vingt des passages
marquants… Alors finalement, un seul conseil : lisez donc ce
livre marquant !
Et
pour découvrir d'autres facettes de l'écriture de Laurence
Biberfeld, vous pouvez lire sur ce même blog :
Un
article sur « Les
Enfants de Lilith », un autre sur « La
Femme du soldat inconnu » (essai), et enfin le premier
écrit ici sur « La
Meute des honnêtes gens » !
Et
n'oubliez pas de noter dans vos calepins que nous la retrouverons en
compagnie d'Anne Bourrel le
vendredi 11 décembre prochain !
« Ce
que vit le rouge-gorge » de Laurence Biberfeld. Au delà du
raisonnable, 2015.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à nous faire part de votre avis !