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jeudi, janvier 05, 2017

"La lengua de los ahogados", de Fernando Clemot (Espagne)

Comme Rimbaud, cité en exergue, qui souhaitait rapporter de l’or de ses voyages dans les profondeurs, Fernando Clemot, dans ce très beau petit livre, fait émerger des histoires oubliées qui s’entrecroisent et se répondent. Ces histoires, elles ressemblent aux vagues qui indéfiniment viennent mourir sur la grève, histoires humaines, venues d’un passé enfoui et qui refont surface : « Mi imagen de la memoria siempre ha sido la de unas olas batiendo en una playa….olas y memoria vienen de lejos. Ambas nacen de un impreso movimiento mar adentro y traen sedimentos y metralla del fondo » (p63) (ma vision de la mémoire a toujours été celle de vagues s’abattant sur la plage…. Les vagues viennent de loin. Elles naissent d’un mouvement initié en eaux profondes et rapportent des profondeurs des sédiments et des déchets). Et apparaissent, comme autant de vagues venues de loin, des lieux qui semblent avoir oublié le passé mais que le récit fait revivre : un barrage où un beau jeune homme aux yeux verts s’est noyé ; un appartement vide où le narrateur cherche à retrouver la trace des anciens locataires ; un train où il avait entendu un chanteur des rues à la voix d’ange ; une petite ville frontalière en Amérique du sud liée à un souvenir d’enfance douloureux ; un village en Bolivie qu’une compagnie minière a dépossédé de sa culture, le golfe de Finlande où une jeune femme triste croit voir à la surface de la mer un homme qui appelle au secours ; une maison où les armoires vides et le bruit des cintres qui bougent renvoient le narrateur à sa solitude….
Si les lieux sont importants parce que chargés de mémoire, les hommes le sont aussi et des silhouettes émergent également dont ce père disparu auquel le narrateur essaie de s’identifier puis qu’il recherche dans cette agence bancaire où celui-ci a travaillé toute sa vie ; ce mari odieux qui rappelle à sa femme un lourd secret de famille ; ce chanteur de flamenco qui a connu son heure de gloire et qu’on a oublié ; ce père et ce fils qui se retrouvent avant de se perdre définitivement ; cet homme de pouvoir qui, en un long monologue, impose sa loi à celui à qui la société a refusé la parole. Et puis il y a les noyés dont la présence est obsédante car ils reviennent à plusieurs reprises. C’est comme une phrase musicale, une respiration poétique qui rythme l’ensemble et lui donne sa cohérence. : « y a los ahogados se les vacía el alma pero no tanto el recuerdo… » (et aux noyés, on leur vide l’âme mais non le souvenir)
Un livre très fort, un univers très personnel, une langue claire, précise et poétique.
Fernando Clemot est né en 1970 à Barcelone. Auteur de contes reconnu, il a aussi écrit des romans dont « Polaris » (2015 Editions Salto de Página) qui va être traduit en français. Depuis 2013 il dirige la revue littéraire Quimera.
Françoise Jarrousse
La lengua de los ahogados, Fernando Clemot, menoscuarto Ediciones, 2016

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