Comme Rimbaud, cité en
exergue, qui souhaitait rapporter de l’or de ses voyages dans les
profondeurs, Fernando Clemot, dans ce très beau petit livre, fait
émerger des histoires oubliées qui s’entrecroisent et se
répondent. Ces histoires, elles ressemblent aux vagues qui
indéfiniment viennent mourir sur la grève, histoires humaines,
venues d’un passé enfoui et qui refont surface :
« Mi imagen de la memoria siempre ha sido la de
unas olas batiendo en una playa….olas y memoria vienen de lejos.
Ambas nacen de un impreso movimiento mar adentro y traen sedimentos y
metralla del fondo » (p63) (ma vision de la mémoire a toujours
été celle de vagues s’abattant sur la plage…. Les vagues
viennent de loin. Elles naissent d’un mouvement initié en eaux
profondes et rapportent des profondeurs des sédiments et des
déchets).
Et apparaissent, comme
autant de vagues venues de loin, des lieux qui semblent avoir oublié
le passé mais que le récit fait revivre : un barrage où un
beau jeune homme aux yeux verts s’est noyé ; un appartement
vide où le narrateur cherche à retrouver la trace des anciens
locataires ; un train où il avait entendu un chanteur des rues
à la voix d’ange ; une petite ville frontalière en Amérique
du sud liée à un souvenir d’enfance douloureux ; un village
en Bolivie qu’une compagnie minière a dépossédé de sa culture,
le golfe de Finlande où une jeune femme triste croit voir à la
surface de la mer un homme qui appelle au secours ; une maison
où les armoires vides et le bruit des cintres qui bougent renvoient
le narrateur à sa solitude….
Si les lieux sont importants parce que chargés de mémoire,
les hommes le sont aussi et des silhouettes émergent également dont
ce père disparu auquel le narrateur essaie de s’identifier puis
qu’il recherche dans cette agence bancaire où celui-ci a travaillé
toute sa vie ; ce mari odieux qui rappelle à sa femme un lourd
secret de famille ; ce chanteur de flamenco qui a connu son
heure de gloire et qu’on a oublié ; ce père et ce fils qui
se retrouvent avant de se perdre définitivement ; cet homme de
pouvoir qui, en un long monologue, impose sa loi à celui à qui la
société a refusé la parole.
Et
puis il y a les noyés dont la présence est obsédante car ils
reviennent à plusieurs reprises. C’est comme une phrase musicale,
une respiration poétique qui rythme l’ensemble et lui donne sa
cohérence. : « y a los ahogados se les vacía el alma
pero no tanto el recuerdo… » (et aux noyés, on leur vide
l’âme mais non le souvenir)
Un livre très fort, un
univers très personnel, une langue claire, précise et poétique.
Fernando Clemot est né
en 1970 à Barcelone. Auteur de contes reconnu, il a aussi écrit des
romans dont « Polaris » (2015 Editions Salto de Página)
qui va être traduit en français. Depuis 2013 il dirige la revue
littéraire Quimera.
Françoise Jarrousse
La lengua de los ahogados, Fernando Clemot, menoscuarto Ediciones, 2016
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