Laurence
Biberfeld
n’est pas une inconnue pour Les Collecteurs : quatre
de ses livres sont déjà chroniqués sur notre blog, et
voici le
cinquième, et
elle fut également notre invitée, en compagnie d’Anne Bourrel,
lors de la première rencontre publique de notre association, il y a
un peu plus de quatre ans au Gazette Café.
Elle
a vingt-et-un titres à son actif, principalement des romans, mais
aussi quatre essais. Son domaine de prédilection est le roman noir,
et si je me fie aux cinq titres que j’ai lus, ce qui l’occupe, la
préoccupe le plus, c’est le sort des individus et des communautés
les plus déshérités de notre société.
Elle
décrit crûment leur vie et les nombreux obstacles et mécanismes
qui leur rendent l’existence impossible. Et chaque fois, pour les
sortir de là, de ces impasses, il reste l’explosion, l’évènement
de trop qui les conduit à la résistance, à la rébellion, à
l’irréparable.
« Péter
les boulons » (éditions
in8), la dernière parution en date, est un concentré de tout
cela, une sorte de feu d’artifice. Voici comment l’éditeur la
présente :
« Lucien,
opéré pour une simple hernie, se réveille amputé de deux mètres
d’intestins. La surprise n’est pas vraiment au goût d’Irène,
sa fille, qui décide de punir de façon définitive le chirurgien
zélé. C’est qu’Irène est très famille. En cavale, elle se
réfugie dans un squat multiculturel et y retrouve tous ses
compagnons de galère, des laissés pour compte, des boulons trop
serrés qui ne demandent qu’à faire dérailler le rouleau
compresseur du système. Ce petit monde s’engage bientôt dans une
vengeance collective radicale. Assistantes sociales, psys, comme
agents pôle emploi feraient bien de se mettre aux abris. Car c’est
le système social entier que le gang d’Irène veut déboulonner.
En
matière de colère, la radicalité est signe de franchise. Laurence
Biberfeld a toujours été engagée, dans la vie, dans ses romans.
Elle livre un polar punk déjanté, excessif, et jubilatoire qui
questionne notre système social. »
La
première moitié du roman nous raconte l’émergence de ce
processus de vengeance et sa propagation fulgurante dans l’entourage
d’Irène qui découvre très vite qu’elle est loin d’être
seule et isolée dans sa galère et sa rage. La violence de chaque
épisode de suppression nous évoque le cinéma de Tarantino, mais
elle est très vite contre-balancée par l’immense tendresse et la
belle solidarité de la tribu - de plus en plus large au fil du récit
- qui entoure Irène, son père et ses filles.
Le
style de Laurence Biberfeld contribue lui aussi à rendre cette
hécatombe vraiment très fun. Ça commence par la topographie
réinventée de Montpellier. Ainsi, le récit se déroule à
Montperrier, on y traverse Sellevieille, Aiguecourte, La Paillasse,
La Fantaisie, La Moisson, Maudio et enfin le Pic Saint Ours. Tous les
protagonistes ont une verve assez succulente et un sens de la
répartie qui nous les rend très immédiatement sympathiques !
Pour
vous en donner un aperçu, voici les deux premières pages du
deuxième chapitre…
Et
puis, un petit passage au milieu du récit sur les avantages des
inconvénients de ne pas avoir de boulot !
Dans
la seconde moitié du roman, la configuration change un peu et
Laurence Biberfeld nous emmène dans des actions de groupe cette
fois, où toutes les générations se rassemblent pour rendre justice
aux enfants. En effet, le sort que réserve l’aide sociale à
l’enfance (ASE) aux enfants de pauvres est l’un des sujets les
plus révoltants. L’actualité nous a récemment ramené à cette
réalité sordide : les enfants sont une marchandise aux yeux de
certains organismes sans scrupule. Et en prétendant les sauver du
grand péril de leur famille, on leur fait vivre des infamies.
On
aura là l’occasion de goûter à la dépravation d’une haute
bourgeoisie flirtant de trop près avec un comportement maffieux et
prostituteur. Et enfin, c’est le sort des enfants autistes retirés
d’office à leur famille qui clôturera cette fresque sociale
unique en son genre !
Vraiment,
cette lecture est jubilatoire, l’éditeur a trouvé le bon mot !
Laurence Biberfeld a une écriture transgressive qui paraît bien
salutaire par les temps qui courent…
A
lire !
Laurence
Holvoet
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