L'intrigue
policière de « Coupable vous êtes » est
classique et ne m'a pas attrapée plus que ça, mais le style et la peinture sociale, eux, si ! L'écriture de Lunar est très poétique, très rythmée (et la traduction en français de Morgane Le Roy réussit à bien la transcrire !).
classique et ne m'a pas attrapée plus que ça, mais le style et la peinture sociale, eux, si ! L'écriture de Lunar est très poétique, très rythmée (et la traduction en français de Morgane Le Roy réussit à bien la transcrire !).
Ici,
le policier s'appelle Leo Martin, et les suspects sont tous des
personnes qu'il côtoie au quotidien
et dont il découvre les petits
et grands travers. Avoir
lu « Coupable vous êtes »
juste après « Pasado perfecto » a donné à ma lecture une résonance particulière,
j'ai aimé, c'était comme de
rencontrer un livre-frère à la hauteur de l'aîné, six ans les
séparant ! Deux écrivains, et surtout deux romans
complémentaires en somme…
Ici
aussi, le passé de l'enquêteur s'invite dans l'intrigue, ici aussi,
les masques tombent, ici aussi, la vie quotidienne cubaine des vingts
dernières années est peinte avec efficacité…
A
découvrir donc ! Et
je l'ai lu en une journée… A
noter que ce roman-ci est le troisième de la série des polars Leo
Martin, il me reste donc à découvrir les
deux premiers, « Boléro
noir à Santa Clara » et « La vie est un tango » !
Quelques
extraits pour la route…
P.
11
« Dans le quartier, la mort
est chose quotidienne.
Rien de plus naturel à ça.
Les gens meurent à n'importe
quelle heure, dans le quartier : le matin, l'après-midi, la
nuit.
Les gens meurent, tout simplement.
D'un cancer, d'une leucémie, d'une
cirrhose, de tuberculose, d'anémie, du sida…
D'une cuite, de froid, de
vieillesse…
Les gens se suicident, dans le
quartier : ils se coupent les veines, avalent de la mort aux
rats, se pendent, s'immolent par le feu, se jettent dans un puits…
Les gens du quartier se tuent à
coups de couteau. Se sabrent à coups de machette. S'affrontent à
coups de pierres, de briques, de feu.
Et personne ne s'en étonne, parce
que la mort, dans le quartier, est chose quotidienne. Un lieu
commun. »
Pp.
61-62
« Je rends parfois visite à
Tania.
Depuis l'affaire de Maikel et Pedro
Pechoemulo, dans laquelle Tania a été, d'une certaine manière,
impliquée, je me suis mis à aller la voir assez régulièrement.
Chaque fois que je vais chez elle,
elle me garantit deux choses : qu'on ait une bonne bouteille de
rhum, de marque, et que sa mère ne soit pas là.
« J'aime bien rester toute
seule avec toi », dit-elle.
Moi aussi, j'apprécie les têtes à
têtes avec Tania.
Elle met un disque, pas trop fort,
et nous buvons en silence, écoutant la musique.
On discute à peine. Tania et moi,
on n'a pas de sujet de conversation. On sait tous les deux que faire
allusion au passé est source de souffrance et que parler du présent
n'en vaut pas la peine. L'avenir, nous en avons peur. Il est
incertain. Alors, on parle peu.
On se regarde en écoutant des
boléros tristes. Des chansons désespérantes et d'un autre âge.
Presque chaque fois, on arrive à faire durer la bouteille plus
longtemps que la normale. On passe des heures ensemble, en silence.
C'est toujours moi qui finis le
dernier verre. Ensuite, je me lève et elle me raccompagne jusqu'à
la sortie.
Tania se met sur la pointe des
pieds et me dépose un baiser sur la joue, près de la bouche. Un
frôlement de ses lèvres qui me fait frémir jusqu'à la moelle.
« Reviens vite », me
dit-elle avant d'ouvrir la porte.
Je sors de chez Tania aussi
furtivement qu j'y entre. Tentant d'esquiver inutilement les regards
des vieux du quartiers. Ignorant les sourires entendus des vagabonds
qui ont improvisé une partie de chapa
avec des capsules de bouteilles sur le trottoir. Pensant déjà à la
prochaine fois. »
Pp.
73-75
« Il
fait déjà nuit lorsque je rentre chez moi. De la télévision sort
une voix guindée et teintée d'une passion par trop théâtrale.
Fela regarde le journal de vingt heures.
« Ils disent qu'ils vont
donner un demi-litre d'huile de soja par personne à partir du mois
prochain », me dit-elle quand je viens l'embrasser.
Depuis que la période spéciale a
commencé, ma mère ne pense qu'aux stratagèmes auxquels elle doit
recourir pour mettre quelque chose sur la table. Elle a déjà
expérimenté un tas de recettes alternatives – du hachis de peaux
de bananes, des écorces de pomelo panées aux allures d'escalopes.
Tous les deux jours et avec un stoïcisme olympien, elle fait la
queue devant la rudimentaire presse à hamburger pour pouvoir, carte
d'identité en main, acheter des steaks hachés à base de soja, de
sang de taureau et de viande maigre. (…)
« - Comment
tu te sens ? je lui demande.
- Je n'ai plus de fièvre. Mariela
est passée me dire qu'elle avait trouvé une solution pour que je
passe une radio demain. »
Trouver
une solution,
l'expression clef depuis le début de la période spéciale.
Trouver une solution pour bouffer.
Pour se saper, pour se chausser.
Pour dégoter des tickets, quelle
que soit la destination sur lîle.
Pour les rendez-vous médicaux.
Se casser le cul et la nénette,
trouver une solution à tout. Se démerder, à n'importe quel prix.
Et par tous les moyens.
Sous la douche, j'entends ma mère
me raconter, entre de brèves quintes de toux, le nombre de démarches
que Mariela a dû entreprendre afin de lui trouver une place en
radiographie. Que, grâce à Dieu, le chef de consultation externe de
l'hôpital provincial, un certain Charlie, était un camarade de
Mariela à l'université, et que le type est intervenu
personnellement dans l'affaire. »
« Usted
es la culpable », de Lorenzo Lunar, Almuzara, 2006.
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