mardi, août 27, 2019

"77", de Marin Fouqué (France)

Livre étrange à l’écriture resserrée. Comme un coup de poing qu’on prend en pleine figure ; on a peur d’être étouffé par ces pages remplies de mots sans espace pour respirer. Mais on est fasciné, entraîné dans cette sorte de poème-confession sur un rythme de rap. Il y a beaucoup de souffrance et une urgence à libérer la parole.  «Et j’ai les mots dans ma tête. J’aime bien les mots tant qu’ils restent dans ma tête. Dangereux les mots. » (p. 26)
De quoi s’agit-il ? Dans un abribus, un adolescent dont nous ne saurons pas le nom, sinon le surnom plus tard dans le récit, décide de ne plus prendre le car de ramassage qui emmène les jeunes du village au collège ou au lycée et de rester là à fumer des joints. Et, dans cette espèce de légèreté due à la drogue, pendant que les voitures passent sur la nationale, les souvenirs défilent (« Dingue comme les souvenirs peuvent défiler » (p. 98) « des trucs qui remontent au fur et à mesure » (p. 113) et c’est tout un monde qui se dessine.

Nous sommes dans le 77, non pas dans la Seine et Marne de mon enfance de laquelle j’ai retrouvé là les odeurs, non pas dans le soixante-dix-sept, mais dans le sept-sept et plus précisément dans le sud sept-sept ; pas loin du village avec son monument aux morts, son lotissement, la nationale, le bois vert, la centrale électrique et la terre bien grasse avec toutes ses nuances de marron, le père Mandrin sur son tracteur. Nous sommes dans un lieu bien réel avec pourtant la sensation d’être dans un no man’s land angoissant et irréel où il ne se passe rien. (« Le silence du 77 il devient insoutenable la nuit » (p. 45)) Peu à peu, au fil de ses pensées, nous apprenons à connaître cet adolescent, sa famille dont il dit que « c’est compliqué », ses amis, Enzo avant qu’il soit le Traître, la fille Novembre et le grand Kevin.
C’est un dévoilement progressif, une histoire commencée au bord de la nationale et qui se termine là aussi dans une sorte d’envol vers les nuages (« Moi, j’écrirais sur les nuages »p199) ou vers le silence (« Le silence du 77. Certains y sont restés » p215)
Une histoire qu’il était sans aucun doute, pour son auteur, urgent d’écrire (en témoignent les remerciements à la fin du livre) et qui nous touche parce qu’elle est profondément humaine.
Françoise Jarrousse

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