mercredi, avril 28, 2021

"Heures rapiécées", de Avrom Sutzkever (Pologne-Lituanie),

 

Le très regretté Charles Dobzynski dans son Anthologie de la poésie yiddish, Le Miroir d’un peuple en Poésie Gallimard, avait déjà traduit et présenté la poésie de Avrom Sutzkever et de cette somme poétique jaillissait l’œuvre éblouissante de Sutzkever.

Heures rapiécées : poèmes en vers et en prose sont de la vie sauvée de la destruction, de la terreur. 

Ces heures rapiécées sont la trace discrète et miraculeuse d’existences aimantes, chéries qui perlent chaque matin telle une inouïe rosée défiant l’horreur mais cette rosée est-elle de sang ou d’eau ? 

Vies sauvées par les égouts avec une foi en la poésie acte de survie impliquant tout son être, Avrom Sutzkever et sa poésie, miraculés, à nous désormais de brandir sa flamme et veiller à ce qu’elle ne s’éteigne jamais.

François Szabó

Heures rapiécées, de Avrom Sutzkever, Poèmes en vers et en prose, traduits du Yiddish et préfacé par Rachel Ertel, Editions de l’éclat, 2021, 530 p

nocturne

 

source jaillie du cœur de la terre

ma vie s’élance vers la lumière.

dans les profondeurs de mon moi

rugit le cri d’un lion – la douleur

de sa plaie

 

j’inscris de mon sang

sur les tables de la nuit, couché

sur une meule de foin

toute ma solitude.

je vois au-dessus de ma tête

monter telle une harpe

la demi-lune

et quelqu’un en jouer

de ses doigts ensanglantés.

jeudi, avril 22, 2021

"Tea rooms – Femmes ouvrières" de Luisa Carnés (Espagne)

Luisa Carnés (1905-1964) m’était complètement inconnue et il faut vraiment remercier la petite maison d’édition espagnole Hoja de lata établie à Gijón qui, en 2016, a décidé de republier l’un de ses romans, « Tea-rooms-Mujeres obreras » initialement paru en 1934. Il faut également remercier La Contre Allée, qui nous emmène toujours plus loin sur ses chemins de traverse, de nous en donner maintenant la version française.

Ce roman est une perle rare et Luisa Carnés une femme au parcours exceptionnel. Contemporaine de la fameuse Génération de 27 qui comptait en ses rangs, FG Lorca, Rafael Alberti, Luis Cernuda, Dámaso Alonso, Vicente Aleixandre, Jorge Guillen,… elle aurait dû être sur la fameuse photo des Sin sombrero, ces artistes féministes qui ont accompagné ces grands poètes. Elle aurait dû, mais elle n’était pas de leur monde et on l’a oubliée. Née dans une famille pauvre, elle a travaillé dès l’âge de onze ans et notamment, à un moment de sa vie, dans un salon de thé. Autodidacte, militante communiste et féministe, elle doit s’exiler quand éclate la guerre civile. Passée par l‘un des camps de réfugiés du sud de la France, elle embarque avec d’autres intellectuels républicains sur le fameux transatlantique Veendam, affrété par le président mexicain Lázaro Cardenas. Elle vivra et écrira au Mexique jusqu’à sa mort, accidentelle, en 1964.

lundi, avril 12, 2021

"Le Voyage de Nerval", de Denis Langlois (France)

 

Je l’avoue pour commencer : je n’avais jusqu’ici pas de sympathie particulière pour Gérard de Nerval.

Mis à part ses fameux vers –« Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé / Le prince d'Aquitaine à la tour abolie/ Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé / Porte le soleil noir de la Mélancolie» j’étais en peine de citer l’un des titres de ses écrits les plus connus. Je me souvenais juste qu’il avait traduit Faust et qu’il était contemporain de Balzac et de Victor Hugo, de Théophile Gautier,  et d’Alexandre Dumas.

Mais je ne savais pas particulièrement qu’il avait été voyagé au Liban.

Grâce à Denis Langlois, on va tout savoir sur ce voyage « en Orient », dans un pays que l’auteur connaît lui-même parfaitement – il faut relire son très bon roman « Le Déplacé » à ce sujet.

Et l’écrivain d’aujourd’hui a trouvé une forme originale pour parler de l’écrivain d’hier : il s’adresse à lui directement et d’emblée il le tutoie. Sans aucune flagornerie. Bien au contraire : le grand poète est démasqué à chaque fois qu’il travestit la réalité - (« Hypocrite ! Imposteur ! Comme si tu ne le savais pas, cela fait huit ans que tu es rentré ! ») - Celle d’un Liban de pacotilles que Denis Langlois n’a pas de mal à débusquer – à l’image de ce récit haut en couleur (un pseudo combat contre des Druzes) qui ne s’est sans doute jamais déroulé comme décrit par le poète. Pour tous ceux qui vénèrent Gérard de Nerval, attention, le risque est important de le voir tomber de son piédestal.

On comprend dès les premiers chapitres que le poète souffre de troubles psychologiques et qu’il a besoin de soins réguliers. Pourtant, quand l’occasion se présente, et grâce au fonds de son ami Fonfride, le « Voyage en Orient » - ce sera le titre de son récit à son retour publié en 1851 -  dont tous les Européens rêvent est à portée de main. Nous sommes en 1843 et nous allons suivre le poète dans son voyage, déchiffré par Denis Langlois.

Ce voyage commence par l’Egypte où nous découvrons les démêlées du poète au Caire : il doit absolument être marié, sous peine d’être condamné à quitter son logement.

Fort heureusement il va découvrir la belle Zeynab, une esclave rebelle et susceptible, qu’il va devoir emmener avec lui au Liban, où il découvrira la religion des Druzes. Et surtout la belle Salema, dont le père, un cheik druze, est emprisonné. Qu’à cela ne tienne : le poète va s’occuper de faire libérer le père … pour mieux demander la main de sa fille.

jeudi, avril 08, 2021

« Entre les rives » de Diane Meur (France)

 

En octobre dernier, je partageais avec vous quelques lignes du livre de la traductrice Corinna Gepner, « Traduire ou perdre pied » paru aux éditions La Contre-allée. Avec celui dont je vais vous parler maintenant, ce livre inaugurait la création d’une nouvelle collection baptisée « Contrebande » et consacré à la traduction : « Contrebande fait entendre la parole d’un traducteur ou d’une traductrice, un parcours, une réflexion, le bruit de la traduction » nous disent-ils.

Donc, « Entre les rives » est le témoignage de Diana Meur, traductrice de l’allemand et de l’anglais qui a la particularité supplémentaire d’être également auteure reconnue de romans.

Si l’on doit comparer les deux ouvrages, je dirais que celui de Corinna est une collection de sentiments, d’impressions, une peinture intime de ce qui l'a amenée et la mène à la traduction littéraire, tandis que celui de Diane est plutôt une somme de réflexions autour du travail d’écriture qui passe autant par ses expériences de traduction que celles d’écriture « pure ».