vendredi, avril 01, 2022

"La fille qui aimait les nuages" de Patrice Montagu-Williams (France)

 

On peut lire La fille qui aimait les nuages, (suivi de L’impératrice Rouge ; Le royaume de Nina) pour le plaisir de l’architecture des intrigues politico-policières, et c’est un plaisir légitime : elles sont bien documentées, et (hélas) tout à fait d’actualité : « Mettre tout le monde devant le fait accompli en faisant régner la loi du plus fort » s’applique certes à la politique extérieure chinoise, mais pas seulement ! Et l’axiome « Chez nous, c’est le Parti qui décide souverainement si une information est crédible ou non », lequel, dans le texte, se réfère au Viêtnam, trouve ailleurs de sanglantes illustrations. Quant à la bataille féroce pour l’énergie à l’échelle internationale, elle figure en bonne place dans Le royaume de Nina, avec le groupe Total en premier rôle. Sans parler des oligarques russes, des « usines à trolls » et des armées privées.

Cependant, ce qui rend à mes yeux les récits de Patrice Montagu-Williams particulièrement attachants, c’est le tissage entre ces péripéties contemporaines – dignes, comme le dit la préface, des romans-feuilletons à l’ancienne – et les images issues des légendes, des souvenirs ou de l’art : les bâtons d’encens brûlant devant le portrait d’Oncle Hô ; les pièces de monnaie glissées dans la bouche des défunts, en Asie comme chez les Romains, pour assurer leur passage vers l’au-delà ; les trois âmes des Hmong, dont l’une demeure, après la mort, parmi les vivants ; Bangkok, ses taxis violets, roses, jaunes, ses anciennes maisons de teck ; les esprits qui virevoltent autour des humains, comme les dragons asiatiques, pourtant souvent dépourvus d’ailes… Sont présentes aussi les références aux œuvres sans doute chères à l’auteur, où l’on croise entre autres Conrad, Kessel, Nathalie Barney, Miller, Cocteau, Toulouse-Lautrec et le Douanier Rousseau. Malgré quelques grincements dans sa pratique de la concordance des temps, avec laquelle je ne suis pas toujours d’accord, et quelques clichés un peu machistes mis (comme les sapèques !) dans la bouche de ses héros, j’ai aimé son style ; on sent que Patrice Montagu-Williams se meut à l’aise entre littérature, journalisme, peinture…

Le bestiaire, exotique ou non, se manifeste également : au malheureux Crapaud (surnom d’un personnage, Anh Hung) répond la petite grenouille adoptée et enterrée 7 ans plus tard par celle qui deviendra sa femme. Un féroce chat de Temminck saute sur les genoux de l’impératrice Rouge, dont il vengera la mort d’atroce façon. Un chaton se blottit dans le cou de Nina, la fille adoptive de Martin, en état de choc post-traumatique… et c’est sous la forme d’une éléphante que cette dernière se réincarnera et prodiguera ses consolations à Martin ! Chez P. Montagu-Williams, on ne se limite pas à compter les coups échangés aujourd’hui entre grands de ce monde : on voyage dans le passé, dans la mythologie, on rêve aussi… et en couleurs.

Hélène Honnorat

La fille qui aimait les nuages, de Patrice Montagu-Williams, GOPE éditions, 2022




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