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lundi, décembre 09, 2024

"L’agrafe" de Maryline Desbiolles (France)

Florence apprécie l’œuvre de Maryline Desbiolles et vous trouverez d'autres articles sur notre blog.


"Ceux qui me connaissent savent que j’apprécie l’écriture de Maryline Desbiolles, publiée aux Éditions Sabine Wespieser (un très bon éditeur). Depuis « La seiche », un récit qui m’avait marqué à sa sortie, la série des « Anchise » avec «Le neveu d’Anchise », ou encore « Les draps du peintre » où elle évoque le travail de peinture qu’elle connaît très bien. Ses récits sont emprunts du lieu où elle vit, dans l’arrière-pays niçois, une terre proche de l’Italie.

Mais avec « Il n’y aura pas de sang versé » que j’ai déjà chroniqué ici, elle se confronte à l’Histoire avec un grand H et c’est très réjouissant.

Ici il est question d’Emma Fulconis, une jeune femme qui adore courir. Pas forcément pour gagner des compétitions sportives, simplement pour le plaisir de sentir la sensation de la course dans son corps. On la surnomme d’ailleurs « L’athlète ».

Elle est issue d’une famille dont elle ne sait que peu de choses.

lundi, juillet 01, 2024

"Et ils dansaient le dimanche" de Paola Pigani (France)

 « Et ils dansaient le dimanche » brosse le portrait de cette population ouvrière de l’est de Lyon dans les années 1930, juste avant l’arrivée du Front Populaire en 1936.
C’est Szonja qui va incarner ce récit : d’origine hongroise on la découvre alors qu’elle s’apprête à quitter son pays natal pour Lyon Perrache, attirée par les offres d’emploi industriels qui viennent drainer toutes sortes de nationalités : italiens, polonais, Arméniens … tous rêvent d’un logement indépendant dans l’une des cités de Vaulx-en-Velin. Il faut dire que « La SASE (Soie Artificielle du Sud-Est) est attirée par la ligne ferroviaire de l'est lyonnais, le canal, la proximité de l'usine hydroélectrique de Cusset, la présence d'une nappe phréatique abondante et pure et le relatif éloignement de Lyon » comme nous l’apprend Wikipédia à propos de l’industrialisation de Vaulx-en-Velin et de son usine TASE.
Pour l’instant il n’y a encore ni congés payés, ni comité d’hygiène et de sécurité dans les usines, les syndicats commencent à se former, et bien sûr pas de sécurité sociale. Un brevet a été déposé pour fabriquer des fils de viscose par un procédé chimique, afin de détrôner le fil de soie bien connu (c’est pourquoi on l’appelle aussi « soie artificielle »), et peu importe les émanations qui peuvent très rapidement dégrader la santé des ouvriers : la main d’œuvre est bon marché, elle est souvent d’origine étrangère, et c’est encore mieux quand ce sont des femmes puisqu’on peut les payer encore un peu moins.

mardi, juin 06, 2023

" Il n’y aura pas de sang versé" de Maryline Desbiolles (France)

C’est toujours un plaisir pour moi de retrouver l’écriture de Maryline Desbiolles, une grande styliste injustement méconnue selon moi.

« Tout se passe entre 1868 et 1869, d’abord en Italie, au Piémont, puis en France, enfin dans la seule ville de Lyon. Les personnages sont essentiellement des femmes. » Ainsi commence Il n’y aura pas de sang versé, et ce récit va raconter un pan d’histoire tout à fait méconnu : la première grève officielle de femmes ouvrières sur les pentes de la Croix Rousse.

La première femme s’appelle Toia, elle vient du Piémont, et on lui a proposé un travail qui ne peut pas se refuser : elle ira dans un atelier à Lyon, sera logée et nourrie avec d’autres bonnes filles comme elle. On les appelle les ovalistes : elles vont garnir les bobines des moulins ovales, où l’on donne au fil grège la torsion nécessaire au tissage.  Elle va gagner un franc quarante, 1.40 Frs, par jour pour les ovalistes, 2 Frs aux ouvriers moulineurs.

samedi, mai 29, 2021

"Le neveu d'Anchise", de Maryline Desbiolles (France)

 

Aubin est un jeune homme très attachant.

Son Grand Oncle, Anchise, était un apiculteur installé sur les hauts de Nice, tout comme toute la famille d’Aubin. Celui-ci garde un souvenir mémorable de la fois où les abeilles de son rucher avaient attaqué sa mère et lui, par un soir d’orage, sans que le Grand Oncle se décide à leur prêter main forte : il riait à gorge déployée devant le spectacle et ne voyait pas l’intérêt de lever le moindre petit doigt pour éviter l’attaque. De ce souvenir douloureux, dont Aubin conservera quelques jours un œil gonflé par une piqure d’abeille, sa mère gardera l’idée que son oncle est quelqu’un d’infréquentable, et il ne sera plus question de le revoir. Pourtant cet Anchise n’était qu’un original qui, quelques temps plus tard se suicidera en s’immolant par le feu, inconsolable de la mort de sa femme 60 ans plus tôt, une femme portant un prénom un peu désuet mais adorable : « Blanche » ….

Aubin grandit.

Entre une mère caissière et un père ripeur – on aurait pu dire aussi « agent de collecte des déchets » ou bien encore éboueur, mais le père préférait ripeur, plus chic – qui les quitta tous deux du jour au lendemain, sans coup férir, et remplacé un an plus tard par un dénommé Maxence dit Maxou, avec qui Aubin ne veut rien à voir à faire.

Ça tombe bien : Maxou joue aux jeux vidéo, tandis qu’Aubin grimpe dans la colline derrière chez lui. Il habite à proximité de son oncle et de sa tante : Tante Stefi est maître-chien et le beauceron loge dans sa niche à côté de la maison, tandis que leurs deux jumeaux passent leur temps à se goinfrer et que l’oncle regarde des films pornos. Un cadre charmant, quoi …

Il y a peu la maison d’Anchise a été rasée. Mais juste avant Aubin trainait souvent dans la maison désaffectée, une maison tout en fouillis et dans laquelle il a déniché une trompette. L’instrument trône maintenant sur une étagère au-dessus de son lit : trouvera-t-il une occasion de l’utiliser un jour ?

La maison d’Anchise rasée, la commune décide d’y installer une déchetterie. Des déchets, il en sera question tout au long de ce récit, et c’est un des thèmes de ce récit qui révèle plein de surprises

A l’image de cet Abdel, jeune gardien de la déchetterie, qu’Aubin va rencontrer : « Adel je ne sais pas le décrire, il a des yeux jaunes, et tout est dit ». Aubin est plein d’un sentiment nouveau pour cet Adel, un sentiment qu’il ne saurait nommer (trop dangereux) mais il cherche toutes les occasions de se rapprocher de lui, trainant autour de la déchetterie pour apercevoir son « ami ».

Adel va faire découvrir une musique à Aubin, une musique dont il n’a jamais entendu parler – chez lui on écoute « Chériefem » - une musique qu’il appelle Jazz. Alors Aubin fouille sur Internet et découvre l’histoire triste et belle de Chet Baker – très beau chapitre sur la vie de ce trompettiste hors norme et sur sa fin dramatique. Ce musicien lui donne envie de s’essayer à la trompette d’Anchise : « La trompette pourrait-elle être un leurre pour attraper Adel ? »

 

 

Je connaissais Maryline Desbiolles pour avoir lu plusieurs de ses livres, notamment « la Seiche » que je vous recommande si vous ne l’avez pas encore lu. Elle avait déjà brossé le portrait d’Anchise dans un livre qui avait pour titre ce seul nom, « Anchise ». Ici l’autrice poursuit et fouille encore la question de la mémoire, de la transmission, des restes que nous laissons derrière nous et de cette civilisation du déchet recyclé que nous connaissons aujourd’hui.