Les
Collecteurs aiment bien les polars espagnols et parmi eux, tout
particulièrement ceux de Aro Sainz de la Maza qui nous emmènent découvrir Barcelone. Nous
avions eu le plaisir de partager avec lui une Comédie de Livre en 2015.
Bizarrement,
pas encore un article sur notre blog pour vous en parler ! En
effet, c’est sur celui de La Cause Littéraire que sévit aussi Marc Ossorguine,
co-lecteur gourmand animateur de notre émission Lectures par Tous. C’est donc là que de là que nous
reprenons deux de ses articles pour vous mettre dans le bain !
Car,
oui, le troisième volet des aventures du flic Milo Malart et de
Rebecca Mercader est enfin sorti en espagnol au mois de janvier 2020
et nous pressentons qu’il sera bientôt accessible en français.
Chouette ! Son titre est « Dócil »… à suivre !
En
attendant, voici l’article de Marc sur le premier opus de cette série, « Le
Bourreau de Gaudí ».
« Ce
qui est terrible avec un roman aussi magistralement mené que
celui-ci, c'est qu'il vous attrape par le col et ne vous lâche plus
avant la dernière ligne, vous amenant à devenir de plus en plus
asocial au fur et à mesure que vous vous enfoncez dans le récit. Et
même, le livre refermé, il vous faut encore du temps pour en sortir
vraiment et reprendre pied dans votre propre monde.
C'est
le premier roman de cet auteur barcelonais que nous découvrons. Si
celui-ci est sa première incursion dans le monde du noir, l'auteur
avait déjà publié une dizaine de titre auparavant. Depuis 1996, où
il publie son premier roman (Nada es azul, chez Montesinos), il a
aussi exploré le monde de la littérature pour la jeunesse (avec El
jugador de frontón en 2001) et le monde des contes (avec deux
anthologies, en 2004 et 2008).
Cela
s'ouvre sur un prologue énigmatique (dont on peut se douter qu'il
sera important) puis aussitôt l'on est pris dans une intrigue qui va
aller s'épaississant. Notre guide sera l'inspecteur Milo Malart, ou
plutôt l'ex-inspecteur, car Milo a été mis à pied pour n'avoir
pas su résoudre une affaire à temps, permettant à un tueur en
série de faire une victime de trop. De fait, c'est sans doute son
style trop atypique, trop « procéduralement » incorrect qui
dérange et le rend suspect de tout ce qui cloche, des erreurs comme
des fuites, aux yeux de ses collègues. Milo est plus qu'un peu au
fond du trou, car il n'y a pas que dans sa carrière que rien ne va
plus… Il y aussi Marc, le neveu dont il se reproche la mort. Il
s'en sent pleinement coupable car il n'a rien vu venir, lui qui
devinait et sentait venir les choses, qui pouvait s'identifier à
l'autre, aux autres, pour deviner leurs réactions, leurs projets
criminels, aussi tordus soient-ils.
Voilà
que dans une mise en scène des plus macabres, un notable est
retrouvé accroché à l'un des plus célèbres monument de Gaudi, la
Pedrera, brûlé vif. Au grand dam de ces anciens collègues, dont
certains ne cherchent même pas à cacher leur hostilité, voilà
Milo sommé par la juge Susana Cabot de reprendre du service car elle
pense qu'il est le seul à même d'appréhender un crime si
audacieux, si fou, si « hors-norme ». Vu la situation et réputation
de l’inspecteur, cela se fera tout de même sous conditions et sous
contrôle. Flanqué d'une sous-inspectrice, fan de série policière
made in USA (où elle a été en stage) censée le « chaperonner »,
Milo mène son enquête, avec ou contre les autres membres du groupe
des affaires criminelles. C'est que le crime de la Pedrera semble
d'un genre bien nouveau, par sa radicale et implacable cruauté, par
son audace et sa précision aussi. A peine ouverte, l'enquête patine
et va vite semer une vraie panique dans les services de police mais
aussi parmi les notables, les grands et les riches, ces quatre cents
familles qui entendent régner sur Barcelone et qui en en ont fait ce
qu'elle est aujourd'hui : une ville entièrement dévolue au tourisme
et à sa propre image, où les victimes de sa folie des grandeur ne
se comptent plus depuis les Jeux de 92. Tous cela à quelques jours
de la visite du Pape qui doit consacrer le grand œuvre de Gaudi, la
Sagrada Familia, et que l'on attend un exceptionnel afflux de
touristes. Pour compléter le tout, une chaîne de télévision avide
de sensationnel en rajoute, mettant la pression à tous et faisant
une publicité énorme à l'assassin qui sait déjà très bien faire
sa propre promotion via internet.
Il y
a quelque chose du conte dans le Bourreau de Gaudí, d'un conte noir
et cruel. Cruellement contemporain aussi. On y rencontre en effet des
enfants livrés à la férocité d'un ogre, un héros qui doit
racheter ses erreurs passées au travers d'une véritable quête
d'une sorte de parcours initiatique ou rédempteur où il croisera un
sage qui détient quelques-unes des indispensables clés, quelques
frères ennemis à force d'être jaloux, un allié fidèle qui ne lui
demande rien, des génies déchus, malfaisants et moqueurs. Tout cela
dans une ville qui se révèle aussi une ogresse qui dévore ses
enfants et se nourrit de leurs malheurs, un métropole qu'un célèbre
architecte trop génial pour n'être pas aussi un peu fou, a
transformée en spectaculaire énigme.
A
l'ombre des inquiétantes cheminées-soldats de la Pedrera – celles
sur lesquelles s'écrit le premier crime et dont l'image accompagne
la figure la plus sombre du récit, mais qui a aussi accompagné
l'auteur dans l'écriture de cet impressionnant conte-roman noir –
l'écriture d'Aro Sáinz de la Maza nous entraîne dans un univers
tendu qui dérape parfois dans un imaginaire fantastique et effrayant
où les plus souterraines obsessions menacent le fragile équilibre
des apparences. L'écriture du roman se fait par ailleurs dans un
troublant parallèle avec celle du crime, élaboré avec un souci de
l'esthétique, de la plastique, qui démultiplie le malaise et le
trouble, installant une morbide fascination à laquelle il faut
savoir s'arracher au risque d'en devenir malgré soi complice. Un
risque qu'encourt le principal personnage, Milo, mais aussi –
peut-être – le narrateur et écrivain, voire les lecteurs que nous
sommes. Nous croisons dans le récit deux troubles personnages dont
l'un se dit écrivain, et l'autre correcteur… et l'auteur de
remercier tout ceux qui l'ont aidé dans l'écriture de ce crime...
littéraire.
La
victime ? Sans nul doute l'image de la ville phare, de la cité
devenue un jour olympique, puis plus que jamais capitale touristique,
cachant ses secrets sous les marbres et ferronneries d'un architecte
trop génial et visible, trop ambitieux et démesuré pour ne pas
avoir ses parts d’ambiguïté et de mystère. Au sortir de ce
roman, qui n'est, bien sûr, qu'une fiction… on se dit que l'on ne
pourra peut-être plus admirer la ville de Barcelone avec le même
œil. L'auteur est amateur de contes et a même publié en Espagne
plusieurs recueils de récits collectés à travers le monde. Or, des
contes, il se dit aussi que ce sont des mensonges qui disent la
vérité...
Comme
cela arrive parfois, l'éditeur a choisi de ne pas être fidèle au
titre original. Lors d'une rencontre, l'auteur nous a dit nettement
préférer le titre français, le titre original lui ayant été
imposé par son éditeur espagnol. Le vrai titre de ce roman aurait
en fait dù être une des phrases clés du roman : "Tu peux
m'appeler majesté". La couverture de la version originale porte
la mention "Un caso del inspector Milo Malart", nous
laissant supposer que nous retrouverons le personnage de Milo dans un
prochain volume... Et c'est bien le cas, le deuxième titre paraîtra
sous peu en Espagne et le troisième est en cours d’écriture ! A
suivre..."
Marc
Ossorguine
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