En cette période de confinement et d’empêchement à voyager,
la lecture de ce petit opuscule à propos des bagages a de quoi réjouir les
esprits les plus grincheux.
C’est brillant.
C’est enlevé, c’est vif, c’est drôle, et c’est très agréable
à lire.
Il faut dire qu’Hélène Honnorat a collectionné une quantité extraordinaire
de récits à propos des bagages : ce recensement exhaustif de récits de
voyages accompagnés de tous ses impedimenta est digne d’un encart dans
Wikipédia !
Malles, coffres, sacs à dos, balluchon ou autres besaces destinés
à accompagner les voyageurs, voilà une anthologie de tout ce qui peut devenir
bagage pour son propriétaire, qu’il soit explorateur, aventurier, globe
trotter, aristocrate ou simple bourlingueur.
On y croise le Dieu Mercure, le dieu des voyageurs, Scot
Fitzgerald, Georges Marchais, Mary Kingsley dans la jungle africaine, Albert
Londres, qui séparait les individus en deux catégories (ceux qui avaient des
meubles et ceux qui avaient des valises), Umberto Eco et un très curieux saumon
fumé, mais aussi des crabes échappés d’une soute à bagage, Sarah Bernhardt à la
douane américaine, Phileas Fogg, Georges Perec, les passagers à bord du vol
« Air Cocaïne », Landru, le voleur de la Joconde, Yvan Colonna,
Albert Camus, Antonio Machado et bien d’autres encore, l’auteure faisant ici
montre d’une grande érudition.
Cet ouvrage passionnant nous dit beaucoup de nous-mêmes :
la valise dit beaucoup de nous. Parmi les voyageurs, il y a les minimalistes,
et les maximalistes. Selon que vous voyagez léger, avec un baluchon rudimentaire
pour simple bagage, ou comme la Reine Élisabeth, avec un fourniment de première
classe, vous appartenez à une catégorie ou à une autre.
Que celui ou celle qui ne s’est jamais assis sur sa valise
pour la boucler jette la première pierre à Hélène Honorat. Et ce ne sera
sûrement pas moi !
« Sois sage ô mon bagage » est aussi un superbe
florilège de citations, à l’exemple de celle-ci : « Vais-je rester
là, dans la poussière, à contempler la vieille peau de cochon de ma chère
valise, ma douce compagne ? ». On aimerait toutes les citer. Comme
celle-ci aussi : « Qui dit bagage, dit nouvelles racines. Je vis avec
et dans mon balluchon comme l'enfant dans ses langes. J'emporte, je recrée ma
maison, j'habite ce lieu fantôme installé dans ma valise ou mes malles.
Chambre, salle de bains, cuisine, bureau, bibliothèque... L'objet qui paraît le
plus spécifiquement pensé pour s'en échapper, conçu pour le nomadisme, est
encore un reflet du bercail que j'ai quitté."
On aimerait aussi raconter ce mot que Desdemona fait porter à
son amoureux pour qu’il lui apporte un petit lion plutôt que des lévriers
afghans – lion qui se transformera à la dernière minute en tigre, avec de fâcheuses
conséquences. Ou parler de très belles histoires de bagages, comme celle de la
« malle d’Evangelia » qui va retrouver sa véritable destination 80
ans plus tard, ou celle de cette valise mexicaine pleine des négatifs que
Robert Capa, Gerda Taro et Chim prirent pendant la guerre d’Espagne, retrouvées
bien des années après.
« Je hais les voyages et les voyageurs ». La
citation est de Claude Levi Strauss, bien sûr, au début de Tristes Tropiques, tout le monde le sait. Mais on sait moins le
penchant de l’ethnologue pour choisir de la verroterie de bonne qualité
destinée aux cadeaux et au troc avec les indiens.
Je ne crois pas que Hélène Honnorat, membre de notre confrérie
des « Collecteurs » haïsse vraiment les voyageurs et leurs bagages
accompagnés. Je crois même qu’elle réussit le tour de force de nous captiver en
156 pages à propos d’un objet qu’on croyait jusque là purement utilitaire.
Vraiment réjouissant.
En période de confinement, quel régal de s’évader ainsi par
l’esprit… le livre d’Hélène Honnorat en poche !
Florence Balestas
Sois sage, ô mon bagage..., de Hélène Honnorat, éd. Yovana, 2020
Merci, Florence pour cette pétillante analyse ! Bien sûr que non, "je ne les hais point", comme aurait dit Chimène : oui, j'aime les voyages, les voyageurs et les bagages... La seule chose que je déteste, c'est préparer MA valise, et en temps de confinement, ce n'est plus un problème ! Je suis ravie de pouvoir réconcilier les minimalistes et les maximalistes en les faisant sourire, pour l'instant, dans leur canapé. Amitiés ailées à tous.
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