lundi, septembre 28, 2020

"L'intimité", de Alice Ferney (France)

 


La vie est une succession de drames.

Lorsque Alexandre vient déposer Nicolas, son beau-fils, chez sa voisine Sandra, parce qu’il conduit sa femme Ada à la maternité pour accoucher, il ne se doute pas qu’il reviendra avec le bébé prénommé Sophie, mais sans Ada morte d’un empoisonnement amniotique.

Alexandre va se torturer de culpabilité : c’est lui qui voulait absolument un fils de sa compagne, avec qui il n’était même pas marié, imposant son avis de « mâle » à Ada pour qu’elle porte son enfant.

Ensuite Alexandre va se morfondre : Sandra la libraire a beaucoup d’attrait et il la verrait bien remplacer Ada. Mais Sandra est une femme libre, indépendante et féministe, qui ne veut ni de vie de couple, ni d’enfants à porter. Même si elle porte un réel attachement désormais à Nicolas et Sophie, depuis le tragique accident de l’accouchement, elle ne prendra pas la place d’Ada.

Alors Alexandre va connaître un troisième drame.

Cherchant sur les réseaux sociaux à rencontrer une jeune femme pour refonder une famille, il va rencontrer Blanche, autrement dit Alba, qui va lui plaire dès le départ.

Au bout de six mois de fréquentation culturelle agréable, elle va lui révéler sa position concernant le sexe et l’enfantement.

Vont commencer alors de longues pages pendant lesquelles Alba va se perdre dans les méandres de la toile pour explorer tout ce que la science peut produire aujourd’hui sur ce thème.  A l’image de ces lignes :

« Avec méthode, au fil des jours, Alba entra dans la barre de Google tous les sigles qu’elle connaissait. PMA, IA, IAC, IAD, FIV, ICSI, GPA. Ils étaient les abstractions de gestes précis et concrets qu’elle ne connaissait pas. Leur éventuelle violence se trouvait édulcorée en deux temps. Premier mouvement, les mots et leur aura d’évocations disparaissaient, emportant avec eux cette signification immédiatement perçue lorsqu’on les prononce. Deuxième mouvement, les mots étaient sélectionnés. La grammairienne reconnaissait ce mécanisme, un vocable technique se substituait à un mot de la vile réelle, l’expérience se trouvait alors vidée des sentiments et du sens qu’elle recélait communément. »

Chacun joue sa partition : Alexandre, le mari amoureux, sûr de son droit. Sandra, la féministe compréhensive, défenseur des droits de la femme. Alba, la femme moderne, séduite par ce que les sirènes de la science laissent entrevoir comme pouvoir sur le corps humain. Et Sandra (la voix d’Alice Ferney ?) semble la plus posée dans cette histoire.

« L’intimité » pose beaucoup de questions. Et les bonnes. Sa perception de l’intimité des corps, féminins et masculins, est très fine.

 

D’où vient alors ce sentiment de malaise qui m’a gagnée, en avançant dans le roman ? Et d’ailleurs est-ce vraiment un roman ? Un roman à thèse peut-être ? Du côté de la forme on suit les méandres des interrogations, des errances, des doutes de chacun. Des dialogues permettent d’argumenter et de défendre les positions.

Roman dense, détaillant tout ce qu’il faut savoir sur les nouvelles techniques de procréation (avec trop de détail ?) on retrouve néanmoins la finesse de l’écrivaine de « La conversation amoureuse », que j’avais tellement aimé, de  «L’élégance des veuves », ou encore des « Bourgeois ».

Un peu trop didactique à mon goût pour présenter ses arguments – chaque personnage incarne une position sans céder au manichéisme - au détriment parfois de l’action et de l’histoire, mais on pardonnera à Alice Ferney parce qu’au final, si elle maîtrise parfaitement l’art de la dialectique, elle pose aussi ici de vraies questions sans apporter de réponses toutes faites – la fin étant une pirouette finale qui pose au final un coup de projecteur … sur Alexandre, l’homme qui avait un peu été effacé dans ces questions d’intimité, et qui a le fin mot de cette histoire moderne et complexe.

Florence Balestas

L'intimité, Alice Ferney,  Actes Sud, 2020

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