lundi, février 22, 2021

"L'Odeur d'un père" de Catherine Weinzaepflen (France)

 


Son père lui avait fabriqué un album relié en peau de serpent, dont la couverture portait en lettres d'or : Souvenirs d'Afrique… et même si ce titre s'accompagnait d'un millésime, on a le sentiment, à la lecture de L'Odeur d'un père, que les photos s'en sont envolées par poignées, comme ces papillons orange, jaunes, turquoise qu'il lui avait appris à capturer. Les photos éparpillées se chevauchent, on est toujours de plain-pied avec le présent : Quand j'ai onze ans, je découvre que l'odorat est mon sens de prédilection… Quand j'ai trois ans, je suis seule dans la grande cour… Quand je ne suis pas née… Quand j'ai seize ans, tu me gifles… Quand j'ai trente ans et plus, tu tombes malade… avec une occurrence dominante, celle des onze ans, l'âge clé.

Les maisons et les animaux sont bien sûr des personnages à part entière : maison toute en longueur de Bangui, où elle découvre, à son arrivée chez son père et sa nouvelle épouse, qu'elle va dormir derrière un rideau, dans la cuisine. Plus tard, celle du Roussillon, abolie : « J'ai peu de souvenirs de cette maison où tu me déçois à jamais ». Ailleurs, la lune plonge sous la vérandah du planteur chez qui on petit-déjeune en pleine nuit pour guetter la floraison des caféiers. « Vérandah avec un h », comme chez Claude Ollier et comme dans le poème de Claudel.

Le bestiaire, chez CatherineWeinzaepflen, est un support privilégié des souvenirs et des émotions. Animaux qu'on lui interdit, animaux qui la mettent en échec, animaux qu'on massacre. L'image de l'éléphant tué à la chasse, dans le corps duquel les Africains pénètrent lors du dépeçage, se retrouve dans un autre de ses ouvrages, un tout petit livre à la couverture bleu nuit, qui s'intitule… Les Maisons. Elle met aussi en abyme, dans ces deux livres, ses souvenirs et ceux du père : tout comme Proust respirait l'odeur d'invisibles et persistants lilas, lui évoquait, ému, l'odeur du lilas sur son chemin d'écolier, dans les années vingt.

A ce père, qu'elle a « détesté avec passion », elle offre aujourd'hui, par le miracle de l'écriture, un retour. Il lui a laissé plus que des souvenirs, des tatouages éternels : grâce à lui, elle aimera l'ailleurs, la littérature (via l'Oncle Joseph qui lui raconte l'Odyssée), les images, les mots. Encre blanche sur canson noir d'un autre album, qu'il avait aussi constitué pour elle.


Hélène Honnorat


« L'odeur d'un père » de Catherine Weinzaepflen. Éditions des Femmes, 2021. 144 p.

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