Ambre, jeune femme au cœur tendre, croit avoir rencontré l’amour de sa vie en la personne de Léo. Mais quand celui-ci rompt brutalement, sans un mot d’explication, elle sombre.
Olivier a tout pour être heureux : la cinquantaine épanouie, une femme aimante, des enfants charmants, et des amis fidèles. Ambre les observe de la fenêtre de son appartement, qui donne sur leur jardin : une famille parfaite comme on en rêve et ça l’agace prodigieusement.
Sauf que.
Sauf que Olivier est atteint d’un cancer des poumons, et que le combat contre la maladie est très rude.
Entre ces deux personnages qui n’ont rien à faire ensemble, va se tisser une amitié inopinée, sans raison apparente, solide, profonde. Et les conduira à une traversée sans pareille.
Dans « Lumière », il est notamment question des corps : ceux qui maigrissent et déclinent, par dépression, mais aussi des corps avalés par la maladie : on suit pas à pas la descente du corps d’Olivier sous les coups du cancer qui dévore.
Mais qui fait toucher du doigt l’essentiel. Telle cette rencontre avec un père à côté de qui on est passé sans l’avoir jamais vraiment rencontré : ne pourrait pas ce saisir de ce moment exceptionnel pour se réconcilier ?
Il y a les images – celles de la marche dans les replis de la Montagne Sainte Victoire, désormais interdite à Olivier – mais aussi les odeurs et les sons : tout un univers sensoriel que l’autrice dévoile pour nous, avec une grande palette d’adjectifs choisis avec sensibilité, à l’image de ce court passage où Ambre emmène Olivier voir la mer, peut-être pour la dernière fois :
« Mes pieds nus ont disparu, ensevelis sous deux petites pyramides brunes. Ma langue pique sous le sel de l’air marin. Mes poils se hérissent sous le chandail.
- Ca fait du bien de se sentir vivant ! »
« Lumière » est empreint d’une grande humanité. On sent chez leur autrice une profonde empathie pour les personnages et particulièrement quand ils souffrent. Et ce qui aurait pu être un récit pétri de bons sentiments ne tombe jamais dans le pathos et le sentimental. Oui, ça fait du bien de se sentir vivant, et de se le rappeler de temps en temps, tout simplement.
Alors pourquoi ce titre « Lumière », alors qu’il est question de séparation, de deuil, et de souffrance ?
Tout est là, tout naturellement : parce que, malgré tout, malgré la souffrance, il y a ces sentiments profonds qui unissent les personnages : amitié – celle d’Alexandre, l’ami d’Olivier, est juste et profonde – amour, tel celui que Naïs, la femme d’Olivier, porte à son mari, sans tomber dans l’angélisme, et cette relation improbable qu’Ambre et Olivier vont tisser jusqu’au bout. On aimerait les croiser dans la vie, ces personnages si attachants : on aurait aimé parler avec Olivier avant qu’il ne disparaisse, et on aurait aimé dire quelques mots à Ambre, sur le palier de l’appartement d’un même immeuble.
Avec beaucoup de délicatesse, de finesse et de pudeur, Christelle Saïani nous embarque dans le sillage de ses personnages et on la suit sans sourciller. J’ai lu ce récit pendant la période dite « des fêtes » qui cette année avaient un goût tout particulier.
En cette période où l’on peut douter de l’avenir, où nous avons tous connu un deuil proche ou lointain, ce livre apporte la chaleur de sa lumière après l’avoir refermé, et qui rien que pour cela Christelle Saïani doit en être remerciée.
Extraits :
p. 171 : « - Bonjour Olivier. Comment vas-tu ce matin ?
- Je vais partir Ambre. Aujourd’hui. Peut-être demain ou après-demain mais c’est imminent.
- Je sais. J’aimerais tellement que tu restes.
- Nous ne choisissons rien ma puce. Ni le moment où nous naissons, ni celui de la maladie, ni celui où nous mourons. Nous choisissons seulement qui.
- Oui, nous choisissons seulement qui. Et moi, je t’ai choisi. Je suis fière d’être ton amie. »
P. 152 : « En face de moi, deux personnes âgées, sèches et fripées comme des écorces, se tiennent serrées l’une contre l’autre, muettes. Sous son feutre, le visage de l’homme, complètement édenté, rappelle la tête d’une grosse tortue terrestre : ses yeux fixes et ovales, d’un gris profond, ont dû, il y a soixante ans, être très beaux. En dessous d’arcades pierreuses, aux rares sourcils, ils sont maintenant entourés de paupières gonflées et crevassées comme des coques de noix. Le cou distendu, parcheminé, a la couleur des peaux tannées et jaunies des vieux tambours de mendiant.
Le femme doit avoir le même âge mais sa beauté et sa féminité, laves fécondes, ne se sont pas éteintes : elles courent sous la peau et continuent de l’irradier. «
P. 131 : « Il ouvre un nouveau boitier, glisse le disque dans le lecteur. Une voix claire et fragile, séraphique. Des accords de guitare folk. « For you, there will be no crying. For you, the sun will be shining. » Je pâlis. Je repense aux lectures religieuses de mon adolescence, à cette prière de Saint Augustin que je connais par cœur pour m’en être enivrée à lors de la perte de mon père : « Crois-moi, quand la mort viendra briser les liens comme elle a brisé ceux qui m’enchaînaient, et quand un jour que Dieu connaît, et qu’Il a fixé, ton âme viendra dans le ciel où l’a précédée la mienne, ce jour-là tu reverras Celui qui t’aimait et qui t’aime encore, tu retrouveras Son cœur, tu en retrouveras les tendresses épurées … »
P. 96 « Olivier s’est tu. Il contemple la mer, silencieux. En paix.
Je regarde. Devant nous, l’infini de l’azur, vierge de nuages. Le ciel encore métallique, bleu et violet, qui se réchauffe lentement, par petites touches, de petits filets jaunes et orangés. La masse alanguie de l’eau, qui mousse à la frontière du sable. Quelques goélands qui planent au dessus de ce tapis liquide ou battent puissamment des ailes. D’autres restés sur le sable humide, pointent leur bec courbe à l’unisson vers le gris de la mer. A la lisière de l’eau, d’épaisses banquettes brunes et compactes formées par l’accumulation de feuilles mortes de posidonies. Sur le sable, des centaines de pelotes feutrées, tricotées par la mer et composées de rhizomes arrachés et roulés par les vagues. Tout près de moi, le visage attentif d’Olivier. A ma droite, fichée dans le sable, une plante qui déroule son tapis vert et dont les feuilles, rampantes, charnues et laquées, ressemblent à de petites griffes.
J’écoute. Le chant renouvelé des vagues, les oiseaux qui raillent, quelques voitures derrière nous, dans un ballet de fond discontinu. La respiration d’Olivier, bruyante et lourde.
Je sens. L’air humide, encore chargé des brises de terre, le parfum végétal et subtil des posidonies à quelques mètres de nous. L’odeur du plaid.
Je touche. Le grain meuble du sable, les brisures de coquillages qui restent collées aux doigts. Le molleton de la couverture, épais et chaud.
Mes pieds nus ont disparu, ensevelis sous deux petites pyramides brunes. Ma langue pique sous le sel de l’air marin. Mes poils se hérissent sous le chandail.
- Ca fait du bien de se sentir vivant ! »
Florence Balestas
Lumière, de Christelle Saïani, éd. Librinova, 2020
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