Falke :
raconter l’Histoire à partir d’un échec
Une petite maison d’édition mexicaine
publie, en 2004, Falke :
roman d’un jeune auteur vénézuélien, Federico Vegas. Un livre
très bien accueilli, puisqu'il sera en 2005 un succès de librairie
et deviendra rapidement une référence de la littérature
vénézuélienne actuelle.
Federico
Vega part d’un épisode historique vénézuélien :
l’insurrection d’un groupe d’exilés contre le dictateur Juan
Vicente Gómez, dirigée par Román Delgado Chalvaud en 1929. Falke
est le nom du navire allemand où voyagera un équipage de plus de
cent hommes, 2000 fusils, 1288 boîtes de munitions et 2 millions de
cartouches, depuis les côtes de la Mer du Nord jusqu'aux Caraïbes
vénézuéliennes. Les témoignages de cette aventure conspiratrice
sont multiples: extraits des journaux intimes, mémoires, lettres,
biographies, articles de presse et chapitres de livres d’Histoire.
C’est à partir de toute cette documentation que l’auteur
construit un récit à la première personne : celle de Rafael
Vega, son oncle, un personnage captivant. Le jeune étudiant en
médecine à Paris, intelligent, sensible, d’un corrosif esprit
critique, donne au roman une autre dimension, une conscience de
l’échec, une lucidité de l’ombre qui manque justement à une
tradition trop peuplée de héros.
Ainsi,
un épisode de l’Histoire du début du vingtième siècle
vénézuélien sert de point de départ pour construire une autre
histoire, celle qui n’a jamais été représentée dans aucun
manuel du Venezuela post-gomeciste : c'est l’exploration d’une
aventure plutôt ‘quijotesca’, davantage que la célébration
d’une expédition héroïque. L’auteur se sert d’un cadre
historique pour faire démarrer le récit. Il nous raconte le départ,
la formation du groupe - la
junta libertadora, qui
contient plusieurs références aux discours de Simón Bolívar -,
la vie des protagonistes, un groupe de jeunes étudiants et vieux
expatriés vénézuéliens à Paris, qui favorisent l’engagement du
lecteur dans le voyage. C’est en suivant avec humour toutes les
démarches précédant ce départ, ces petits événements qui n’ont
justement pas été décrits dans le discours historique officiel,
que le lecteur commence à se sentir complètement pris par l’effet
de réel et, là, en pleine mer, semble se libérer la fiction. Le
lecteur s’embarque dans l’inconnu jusqu'à l’arrivée du bateau
près des côtes vénézuéliennes ; c’est aussi le début
d’un drame majeur pour les apprentis héros et les vieux exilés
qui dirigent l’expédition. Le Venezuela du début du XXe siècle,
comme le Mexique de la Révolution, est un pays rural, ignorant, mais
aussi pluriel, qui ne peut pas être libéré car n’y habite pas
encore l’idée de nation.
Falke,
où l’histoire se libère dans les espaces de la fiction pour nous
délivrer de nouvelles possibilités de rapprochement, où les
lecteurs sont invités à participer, comme dans un bon roman
d’aventures, mais aussi à se retrouver psychologiquement. Un roman
qui voyage dans la mémoire, explore l’absurde et se rapproche du
présent pour articuler une communauté dans l’acte de raconter.
Paula
Cadenas
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