Le film projeté en ouverture, vendredi soir, a été très apprécié : Perder es cuestión de método (Perdre est une question de méthode), de Sergio Cabrera.
Patrick Bedos présente au public de la salle Rabelais (à Montpellier) le film Perdre est une question de méthode, de Sergio Cabrera.
La table ronde du samedi après-midi, sur le thème "Littérature et cinéma colombiens : l'esthétique de la violence", a également recueilli tous les suffrages.
Christian Gros,
sociologue, professeur émérite à l'Institut des Hautes Etudes de
l'Amérique Latine, nous a décrit la situation de la Colombie, prise
depuis de nombreuses années entre différents acteurs entretenant
une violence continuellement et quotidiennement présente, tant en
milieu urbain qu'en milieu rural. Il nous a invité à faire la
différence entre les chiffres (nombre de morts, de déplacés,
inégale répartition des terres, …) qui permettent de mesurer
statistiquement la violence, et la violence effectivement ressentie
par la population. Il a dressé un panorama très complexe et
contrasté de ce pays qui doit affronter différentes problématiques
dans les domaines politique et socio-économique, mais qui enregistre
un taux de croissance relativement élevé, et qui possède de grands
atoûts, notamment une population formidable et chaleureuse, qui fait
que tant de personnes tombent amoureuses du pays.
Carlos Tous, doctorant en
littérature colombienne, a rappelé qu'à partir des années 1980 la
violence est aussi liée aux cartels de la drogue, en plus de celle
des FARC et de la guerrilla. Mais la situation se modifie, et la
nouvelle génération d'écrivains cherche à questionner l'Histoire
et à représenter la violence d'une autre façon. L'intérêt de la
littérature sera de tenter d'aller montrer ce qui se trouve derrière
des chiffres ou derrière les faits divers que l'on peut lire dans
les journaux. Ces écrivains insistent sur la cause de cette
violence : la pauvreté est un état de violence. Nous
retrouvons dans ces romans contemporains (et dans les films pour ceux
qui ont été adaptés au cinéma) une forte critique politique :
critique du gouvernement, de la religion et de l'Eglise. Par exemple,
on notera dans le roman (adapté au cinéma) de Fernando Vallejo, La
Virgen de los sicarios (remarquons au passage le jeu sur les mots
« Virgen de los milagros ») une forte critique de
l'Eglise, qui amène à une banalisation de l'acte de violence (le
sang est partout, la couleur rouge sur fond noir et blanc rappelle le
tricolore du drapeau : rouge, bleu, jaune...). C'est à travers une
parodie de la violence qui a touché la ville de Medellín pendant
les années Pablo Escobar, que l'auteur parvient à plonger le lecteur
dans la dure réalité.
Puis Patrick Bedos, programmateur de cinéma, nous a
expliqué l'intérêt du film noir : comprendre une société.
L'essentiel n'est pas vraiment de savoir qui a tué, mais de
découvrir, au fil de l'enquête, tout un monde. Le film Perder es
cuestión de método, de Sergio Cabrera, est fidèle au roman de
Santiago Gamboa. On y trouve une véritable interrogation sur un
passé, un présent, un futur. Le personnage de Estupiñán,
l'acolyte du détective Silanpa, est très intéressant
sociologiquement, de même que de nombreux personnages secondaires
(le groupe de nudistes, les politiciens corrompus, …) : on
peut dire que tout cela constitue l'humanité du cinéma. Ce film
montre pourquoi et comment le Colombien moyen a envie de se battre
pour une nouvelle Colombie. L'esthétique du film témoigne d'un
engagement militant (le véritable mal de la Colombie est la
corruption, notamment celle des élites). Par ailleurs, ce qui donne
toute sa force au film, c'est l'humour distancié. Nous sommes face à
une esthétique de la violence très particulière : réel et
imaginaire ont ici une relation complexe. Le rire est un outil
nécessaire, qui permet une prise de distance de la part du
spectateur.
L'échange avec le public
fut très intense et enrichissant. Un grand merci à tous les
participants, et tout particulièrement aux membres de notre comité
de lecture !
Nous remercions
chaleureusement les trois intervenants à la table ronde, ainsi que
Paula Cadenas, co-animatrice du comité de lecture de l'AFCM,
modératrice ce jour, et Maria Inés McCormick et Michèle Montagut,
toutes deux membres de notre comité de lecture, qui ont sélectionné
et lu des extraits du roman de Santiago Gamboa, Perdre est une
question de méthode. En voici un :
«Ils roulèrent sur le
périphérique jusqu'à la 92ème rue. Il avait mal à la gorge, un
peu de fièvre et en arrivant à la 7ème avenue, il eut une violente
quinte de toux. Il ne manquait plus que ça. En sortant le spray
contre le mal à la gorge qu'il avait acheté le matin même, il
sentit un coup de frein. Levant les yeux, il vit que le chauffeur
tenait un revolver braqué sur lui, à quelques centimètres de son
nez.
- Lâche ça, connard !
Lâche ça ! Ou je te fais sauter la cervelle. Sa main
tremblait. Les voitures qui suivaient s'étaient mises à klaxonner.
- Je ne sais pas de quoi
vous parlez, monsieur. La voix lui manquait. Ce n'est pas...
- Làche-le, connard !
Voleur de merde ! Jette-le par terre ou je t'éclate le crâne !
- Mais c'est un truc pour
le mal à la gorge ! Regardez ! Il se fit gicler la moitié
du flacon dans la bouche. Regardez ! Regardez !
Le visage du chauffeur de
taxi se décontracta peu à peu. Ses yeux cessèrent de jeter des
flammes. Aux traits déformés par la fureur, succéda un vague air
d'étonnement.
- Alors ce n'est pas un
gaz paralysant ?
- Du gaz ? Mais vous
avez bien vu que j'ai avalé presque tout le flacon !
Les klaxons de voitures
se firent pressants et le chauffeur baissa son arme tout confus.
- Excusez-moi, monsieur.
J'ai cru que je me faisais attaquer. Je dois vous dire que depuis que
vous êtes monté, avec cette allure... »
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