Il
y a dans la ville des angles morts que les caméras de surveillance
ne détectent pas. Il y a aussi en chacun d’entre nous d’autres
angles morts, nos zones d’ombre. Ce sont tous ces angles morts que
Milo traque dans ce livre qui vient de paraître en Espagne et qui
doit paraître en France à la rentrée chez Actes Sud. Milo Malart
est de retour dans une Barcelone grise, froide et pluvieuse, dans un
pays en proie à la Crise. Nous ne sommes plus dans le monde baroque
et flamboyant de « El asesino de la Pedrera » (« Le Bourreau de Gaudi » pour la version française chez Actes Sud
déjà) mais dans une marche funèbre où les seules couleurs sont le
gris et le noir. Au début du livre, Milo hérite, un peu malgré
lui, d’un chien devenu orphelin après la mort violente de son
maître.
Un berger de Majorque qu’il baptise Tío. Il doit enquêter
sur l’assassinat d’une jeune étudiante, Caroline Estrada, dont
le corps a été retrouvé dans la colline de Collserola. Au même
moment apparaissent dans Barcelone dans des parcs à jeu pour
enfants, tels des totems, des chiens empalés sur des manches à
balais. Ces actes barbares ont-ils un sens ? Pourquoi cette
jeune fille, qui travaillait à temps partiel dans un gros cabinet
d’avocats d’affaires, chargé du recouvrement d’impayés,
a-t-elle été assassinée ? Deux enquêtes parallèles que
Milo, poussé par sa hiérarchie devra mener. Deux enquêtes qui nous
font découvrir, face au monde des nantis et des puissants, celui des
laissés pour compte que la crise a détruits, qui dorment dans la
rue ou se jettent sous le métro. « Au moins, nous, nous
avons un toit », dit Milo à son chien, même si ce n’est pas
un vrai foyer. C’est donc un monde très sombre qui nous est donné
à voir, crépusculaire même, où les personnages essaient de s’en
sortir comme ils peuvent et parfois sombrent dans une folie
meurtrière. Un roman noir, très noir, comme la métaphore d’une
société malade, une ambiance à la Chandler.
Mais
surtout, au cœur de l’histoire, il y a la figure attachante de
Milo que nous connaissions déjà mais qui ici prend beaucoup plus
d’épaisseur. C’est un loup solitaire aux méthodes
d’investigation un peu étranges que sa hiérarchie goûte peu mais
dont elle reconnaît l’efficacité. Il cherche à comprendre ces
gens abîmés par la vie, il traque leurs fragilités qui ressemblent
tant aux siennes. Homme fragile, Milo, peu épargné par les
épreuves, persuadé qu’il a en lui le gène qui a fait de son père
et de son frère des schizophrènes, résistant, tout au long du
livre, à l’irrésistible envie de se soûler pour échapper à
cette réalité « de mierda ». Il ressemble à l’homme
désespéré du blues que chantait John Lee Hooker « One
bourbon, one scotch, one beer » qu’Aro évoque à un moment
du livre. Il vit sous les combles, dans un appartement qui n’est
même pas à lui, regarde les Simpson à la télé, ne mange que de
la butifarra-haricots blancs avec pan con tomate et nage tous les
jours dans la mer glacée, la seule chose qui l’apaise. Seule
petite lueur, il partage sa solitude avec Tío le chien. Il y a aussi
ses rencontres avec Leire, cette jeune conseillère municipale
utopiste, ses visites à son amie Susana Cabot qu’il ne ménage
guère et sa relation « je t’aime moi non plus » avec
Rebecca Mercader, son équipière.
Ce
monde est-il vraiment sans espoir aucun ? Pas tout à fait. Il y
a peut-être une lueur au bout du chemin. A la toute fin du livre,
après avoir confié Tío à la petite fille dont le chien avait été
empalé, il commande au bar du coin « un bourbon, un scotch,
une bière ». On se dit, non, on a envie de retenir sa main.
Mais à ce moment précis il entend les rires des enfants insouciants
qui jouent dans la rue et il ne boit pas….
Livre
austère mais surtout livre très personnel où l’auteur, à
travers son double, dit beaucoup de lui-même.
Françoise
Jarrousse
PS : Nous avons eu la chance de rencontrer Aro en mai dernier ! Des souvenirs de ces bons moments ICI !
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