Jean-Louis
Terrade republie une série de neuf nouvelles, initialement publiées par les
Editions Calmann-Lévy, chez un éditeur biterrois, les « Editions du
Mont ».
Dans
ces neuf nouvelles, le narrateur, qui est toujours un homme placé dans des
contextes variés, vit des situations parfois étranges, parfois inattendues,
relevant de l’univers professionnel ou de la vie quotidienne, bouclées par des
chutes inopinées.
Si
toutes les nouvelles puisent leur inspiration peu ou prou dans l’univers
littéraire, rendant hommage à de grands auteurs du XXème siècle, deux d’entre
elles sont très nettement placées sous l’égide de Jorge Luis Borges, le fameux
écrivain et poète argentin qui a marqué son siècle.
Il y
a souvent dans ces nouvelles une mise en abyme de la fonction d’écriture, comme
dans la première, « Dernier train », qui a donné son
titre au recueil : sommes-nous dans un rêve (ou plutôt un cauchemar)
lorsque le personnage principal, coincé dans une micheline qui l’emporte du
côté de Limoges finit par chuter, dans un récit réel, ou bien sommes-nous dans
la tête de l’écrivain en train d’écrire sa nouvelle ? De même dans la
nouvelle « le Disparu », on
sent dès les premières lignes l’influence borgésienne : une petite annonce
attire l’attention du narrateur : un particulier cherche un livre
introuvable – l’occasion pour le narrateur de marcher, de Bellac à Avignon, sur
les pas de l’auteur prétendu disparu.
Deux
autres nouvelles sont directement placées sous le signe de l’univers
professionnel : sur fond d’antagonisme entre un dirigeant paternaliste et
des syndicats revendicatifs, « la
Récompense » met en scène un jeune outsider, envoyé directement du
siège à Paris pour gérer les ressources humaines. Une prétendue récompense
sèmera le trouble et engendrera le conflit, dans un contexte de lutte des
classes affirmé. De même dans « Grève du rêve », le narrateur, envoyé
en émissaire par la direction parisienne, a-t-il fort à faire pour démêler un conflit
latent entre une usine située à une quinzaine de Montpellier, coincé un patron
autoritaire qui teste son collaborateur – aujourd’hui on dirait pour voir sa
capacité à être « corporate » et à porter les valeurs de l’entreprise
– et les ouvriers de l’usine, tandis que les conflits vont grossissant.
D’autres
nouvelles enfin se situent au Maghreb, dans un contexte de coopération
militaire : dans « le Gardien »,
le narrateur, exilé dans son propre appartement qu’un gardien occupe indument,
ne trouve guère de consolation que dans la lecture du « Château » de Kafka. Ce coopérant
qui voit son logement squatté, montrant un personnage désemparé et passif
vis-à-vis de la situation qu’il subit,
renvoie sans doute à un enfermement métaphorique contre lequel on ne peut
lutter – une façon de rendre un bel hommage à Kafka et à ses personnages
célèbres
Dans
« Voyage au Tassili »,
le narrateur, tiraillé entre son ami et un flirt avec la sœur de celui-ci, suit
un itinéraire dans le désert mené par un guide local qui n’a pas besoin de
boussole pour prendre ses repères. De même dans « Les personnages », qui se situe quelque part dans une ville en
proie au terrorisme - mais n’est-on pas plutôt dans un scénario adapté du
« Balcon en forêt »
de Julien Gracq, transposé en Algérie, que dans une nouvelle ? – le
scénario nous conduira jusqu’au drame final.
Que
ce soit dans »La villa aux lapins »
ou dans « Voyage au Tassili«,
notre narrateur vit aussi quelques flirts ou élans physiques avec la gente
féminine, mais semble peiner à entamer une relation durable et épanouie.
Jean-Louis
Terrade observe donc son personnage principal, narrateur placé dans différentes
circonstances, d’un regard froid et distancé, subissant de façon passive ce qui
lui arrive et ne lui laissant aucune échappatoire.
Quant
à son regard sur les femmes, il est expliqué très nettement page 164 :
« A
ma femme qui me demandait les raisons de cette association, j’ai avoué – mais
était-ce vraiment pour elle qui me connaît sur le bout des doigts une
révélation – que mon intérêt, ma curiosité, passionnée parfois, m’ont toujours
porté vers des êtres qui évoquaient, à tort ou à raison, de fantasques
personnages littéraires. »
L’auteur est donc comme un entomologiste la loupe à la
main, observant ses personnages évoluer sur la scène, sans véritable
possibilité d’en réchapper, « C’est,
je le pense sincèrement, une des perversions de la lecture que de favoriser
chez le « lecteur pratiquant » le refus effréné du réel »
fait-il dire à son narrateur.
Un trait qui parlerait de l’auteur lui-même ? Libre au
lecteur de se faire une opinion, mais quoi qu’il en soit, il nous livre ici un
exercice littéraire d’une grande précision, dans lesquels son personnage
principal apparaît dans toutes les situations diverses toujours désemparé vis-à-vis
de ce qui l’entoure, peu doué pour la décision ou l’ancrage dans la réalité,
mais placé sous l’égide de grands écrivains du XXème siècle.
Des personnages d’une grande solitude en somme : une
vision lucide mais peu amène de la condition humaine.
Florence Balestas
Dernier train et autres nouvelles, Jean-Louis Terrade, éditions du Mont, février 2019
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à nous faire part de votre avis !