Les livres sont
parfois comme les amers dont parle Sylvain Prudhomme dans « Par les routes », des
points de repère, des lumières qui éclairent notre chemin. Pas
forcément de très grands livres, mais qui ont quelque chose de
particulier et qui nous touchent. Pourquoi celui-là ? Peut-être
parce que dès le début il nous dit, évoquant Flaubert, qu’il
écrit « pour restituer la mélancolie des paquebots »
(p58).
Mélancolie de
l’écoulement lent de la vie, de l’impossibilité de se fixer
pour l’auto-stoppeur qui a besoin de partir, « c’est
nécessaire à mon équilibre. Si je reste trop longtemps sans
partir, j’étouffe. » (p75) « Il aimait les autoroutes,
la glissade des autoroutes » (p108). Alors il part, laisse
Marie sa compagne et son petit garçon Agustín, sillonne la France
d’abord sur les grands axes, puis sur les petites routes,
traversant des villages aux noms improbables. Il envoie des cartes
postales, revient pour mieux repartir encore. Et telle une étoile
filante il finit par disparaître. Mais il est peut-être toujours là
dans le ciel, tel Orion, veillant sur ceux qu’il aime.
Marie, elle, accepte
ses absences, mais s’éloigne peu à peu. « Elle m’a
regardé bien en face et elle m’a dit la vérité : que je lui
manquais de moins en moins. Qu’elle était triste mais pas de ce
que je croyais. Pas que je m’éloigne. Pas que je sois absent.
Triste de s’y habituer. Triste de sentir qu’elles ne lui font
presque plus rien, mes absences. » (p114).
Face à
l’auto-stoppeur pour qui la vie ne peut être qu’un mouvement
perpétuel, il y a Sacha, l’écrivain, qui lui a besoin d’un lieu
où s’ancrer. Et c’est dans cette petite ville de Provence, la
ville de l’auto-stoppeur où il trouve ce point d’attache. Peu à
peu, avec le consentement implicite de ce dernier, il prendra sa
place auprès de Marie et d’Agustín, se demandant pourtant « ce
qui arrivera si l’auto-stoppeur revient. » (p285).
Ce très joli livre
au style fluide et poétique est une sorte de conte, de réflexion
sur le sens de la vie, le désir que l’on peut avoir de la
traverser sans attache, tel un voyageur sans bagage ou bien de la
vivre les deux pieds ancrés dans un lieu qui devient définitivement
le nôtre.
A la fin de son
histoire Sylvain Prudhomme évoque ce qui a peut-être été
l’étincelle qui a fait qu’il a écrit ce livre mais qui, en tous
cas, lui fait écho, « la chanson Famous blue raincoat de Léonard Cohen, sa chanson la plus triste, la plus belle, »
dit-il, « en forme de lettre écrite au milieu de la nuit, fin
décembre, à un ancien ami. Il est 4 heures du matin à New-York, la
ville dort alentour et Cohen demande à l’ancien ami des nouvelles.
Veut savoir s’il va bien. Il lui dit qu’il repense à la nuit où
Jane et lui ont failli partir ensemble. Il l’appelle son bourreau,
son frère. Il lui dit qu’il lui pardonne. Il le remercie pour ce
que Jane et lui ont vécu. Et il lui fait cette déclaration dont je
ne pense pas que beaucoup de longs poèmes l’égalent en beauté,
en justesse, en conscience de l’impermanence des choses en ce bas
monde : Je suis heureux que tu te sois trouvé sur ma route.
Parole de voyageurs. Parole d’habitué des routes, des carrefours,
des rencontres. Parole de vrai amoureux de la vie, reconnaissant aux
surprises qu’elle réserve. J’écoute Cohen et je pense à
l’auto-stoppeur. Je me demande où il vit. S’il est seul. S’il
est heureux » (p285-287). Il faut réécouter cette chanson et
la belle voix profonde de Léonard Cohen.
P.S. : Sylvain
Prudhomme évoque à plusieurs reprises au cours de son récit
l’écrivain italien Marco Lodoli et il m’a donné envie de le
découvrir. Et j’ai trouvé dans « Les Prétendants »
un univers poétique qui fait écho à celui de « Par les
routes ». De plus, Marie est traductrice et parle de très
belle façon de son travail : « De toute façon, avec les
mots, c’est toujours pareil, …, le sens glisse, dérape par
rapport à l’intention qu’on avait, il dérape en italien comme
en français, les mots toujours débordent, c’est le jeu, ce qu’il
faut simplement c’est choisir entre les glissades, sentir quelle
glissade française sera la plus fidèle à la glissade italienne »
(p85) Beau sujet de réflexion !
Françoise Jarrousse
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