À la fin de Par les routes, Sylvain Prudhomme évoquait longuement « The famous blue raincoat ». Parlant à la radio de son dernier livre Les orages, c’est une autre ballade de Leonard Cohen qu’il convoque, Anthem et ces mots précisément : « There is a crack in everything/ That’s how the light gets in ». Dans chaque chose il y a une fêlure/Et c’est par là que passe la lumière.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit, de fêlures et de lumière, dans les treize nouvelles de ce nouvel opus, Les Orages paru en janvier chez Gallimard dans la collection L’Arbalète.
Les orages, ce sont ceux que la vie parfois nous réserve, les moments de bouleversements intimes, les moments où tout bascule ou peut basculer. Et c’est ce que racontent ces treize nouvelles. Treize, nombre symbolique, ce qui fait que l’on ne peut s’empêcher de penser à Nerval, même si cela n’a rien à voir (« La Treizième revient…c’est encore la Première »).
Car la première nouvelle, « Souvenir de la lumière », et la treizième, « La Nuit », se répondent, ouvrant et fermant le cycle de la vie :
Dans la première, un bébé, veillé par son père qui semble lui insuffler sa force de lumière, après des jours d’angoisse dans une petite chambre d’hôpital, bascule du côté de la vie :
« Il y avait dans ces yeux je ne sais quelle sagesse venue de très loin, on aurait dit qu’il avait mille ans, qu’il savait tout, que du fond de l’immobilité de tout son corps à bout de force c’était lui qui trouvait la force de nous rassurer, de nous dire je suis là ça y est, ne vous en faites plus. ».
Dans la treizième, une jeune mère, qui a failli mourir lors d’une fausse couche, retrouve le goût de la vie dans une mer noire et par une nuit semée d’éclairs :
« J’avance. Le liquide noir m’enveloppe, je nage sans plus rien voir, je suis seule au milieu de la mer immense et sombre… Et voici que je renais, voici que l’eau noire m’inonde à nouveau, voici que de toutes parts les flots me reprennent, que je refais partie du monde… J’ai peur et je suis heureuse, je suis là où je veux être, je nage dans l’eau qui m’a ramenée à la vie, je me sens sorcière, je me sens chamane unie à la mer toute puissante par une nuit sans lune. »
Entre ces deux récits, il y a d’autres histoires qui oscillent entre nostalgie et humour : c’est un vieil homme qui se rend compte que peu à peu il est en train de perdre la tête, un taille-haie en est la preuve ; ce sont des parents et leur fils adulte qui, revenant d’un enterrement, imaginent avec humour le leur ; c’est un jeune quadragénaire qui revient pour la dernière fois dans l’appartement qu’il a vendu et réalise qu’il laisse là tout un pan de sa vie ou encore, en Casamance, une jeune femme qui rêve d’ouvrir son salon de coiffure, qui a économisé pour cela, mais dont le rêve va s’évanouir parce qu’il lui faut payer les frais d’hôpital pour son frère atteint d’un cancer. Il y a aussi, comme un éclat de rire, ce jeune couple lumineux dont les ébats résonnent dans tout l’immeuble où ils habitent comme une sorte de réjouissant hymne à l’amour ! Ce sont chaque fois des moments où la vie parfois fait une pause ou bien bascule ou se fracture et malgré tout, ces histoires semblent baignées de lumière. C’est que SylvainPrudhomme est un magicien. Et Il y a là une douceur et une délicatesse infinies qui font du bien. Et de cela on ne peut que le remercier.
Françoise Jarrousse
« Les Orages » Sylvain Prudhomme. Gallimard, coll. L’Arbalète, 2021. 192 p.
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