"Ubasute" d'Isabel Gutierrez (France)

La petite maison d’édition lyonnaise « La fosse aux ours » emprunte elle aussi les chemins de traverse et publie, en cette fin d’été, un petit livre singulier, un premier opus à la fois sombre et lumineux.

Ubasute , c’est cette tradition japonaise qui voulait que le fils aîné porte sa mère mourante sur une montagne pour qu’elle y vive ses derniers instants et on pense, bien-sûr, à la Ballade de Narayama.

Ici, c’est vers le Grand Rocher, dans les Alpes, que Pierre emmène Marie. Car Marie, atteinte d’un cancer en phase terminale, veut qu’il en soit ainsi. ( « Depuis l’aube blanche, Marie sent murmurer en elle le chant du départ » p21)

Et au rythme de cette lente ascension où le fils porte sa mère sur son dos et où il lui dit en silence tout l’amour qu’il lui porte («tu étais notre horizon aimant, flamboyant et instable » p108), Marie égrène ses souvenirs, les moments heureux ou douloureux qui ont jalonné sa vie, son enfance marquée par le manque de ce frère jumeau mort in utero (« il était mon double » p31), ses parents qui ont oublié de l’être, ses grands-parents républicains espagnols tendres et attentifs, son compagnon qu’elle a passionnément aimé (« je me découvrais terre et racines à la fois, ancre et mer » p47) mais que la montagne lui a enlevé, ses trois enfants et le bonheur d’être ensemble (« vous êtes autour de moi, nous formons une grappe » p60). Et puis la solitude et l’escapade d’un été. Les choses de la vie tout simplement. Et puis, la maladie et cette décision de mourir maintenant, en toute lucidité.

Raconter cette histoire, c’était un pari risqué, cela aurait pu être larmoyant, voire insupportable. Et au contraire, c’est d’une justesse infinie. C’est « écrit sur le fil » sans un mot de trop. C’est un texte musical, d’une grande délicatesse. Un texte aux résonances profondes et paradoxalement un texte solaire, un véritable hymne à la vie.

Françoise Jarrousse

« Ubasute »d’Isabel Gutierrez. La Fosse aux ours, 2021. 124 p.