lundi, décembre 06, 2021

"Secrets", de Claudio Magris (Italie)

 

Dans ce petit opuscule paru aux Editions bibliothèque Rivages, le grand auteur italien Claudio Magris dévoile les différents aspects du "secret."

Politique, religieux, ou intime, le secret a de multiples ramifications.

Le pouvoir a besoin de secrets, rappelle l'auteur au début, même s'il est démocratique, et l'existence de "services secrets" en est l'un de ses bras armés.

On pense bien sûr au secret religieux, et au secret de la confession (dont il est question en ce moment de ses limites), et au secret spirituel qui plonge ses racines dans notre histoire humaine.

Mais la partie la plus intéressante est celle où Claudio Magris parle de l'intime, citant le « droit à l’opacité » cher à Edouard Glissant.

Au travers de l’écriture – un sujet qui devrait intéresser tous les Collecteurs – l’auteur cite longuement des auteurs, dont Javier Marias.

« J’ai découvert » (dit l’auteur espagnol) qu’»Un cœur si blanc » parlait du secret, de ses avantages, de la persuasion et de l’incitation, du mariage, de la responsabilité de celui qui a su, de la possibilité de savoir et de l’impossibilité d’ignorer, du soupçon, du fait de parler et de se taire. »

Ecrire, dit Claudio Magris, c’est « toujours creuser à la recherche de quelque chose qui ne se révèle – quand et si cette révélation a lieu – que durant cette recherche et qui, puisqu’il s’agit de quelque chose d’inconnu, est un secret.

C’est en cela que consiste la vérité de l’écriture, mais aussi sa charge dévastatrice, parce qu’elle oblige à savoir. L’écrivain est un espion, de lui-même ou d’autres personnes, et après sa délation l’existence n’est plus la même. »

L’auteur italien explore alors l’idée que la vérité elle-même serait dangereuse – et de faire l’éloge de « d’une petit dose de dissimulation », y compris dans la relation amoureuse.

L'auteur de "Danube" - un livre que je vous recommande si vous ne connaissez pas ce grand auteur européen - termine ce court essai en évoquant la vie moderne où tout se dit et tout se sait sur les réseaux sociaux.

« Il devient sans cesse plus difficile de concilier la défense de la personne contre la vague montante d'interceptions abusives et de mises sur la place publique - forme moderne du pilori - de toute intimité avec la lutte qu'il faut mener pour démasquer les secrets, autrement dit les "Affaires" et les crimes qui empoisonnent toujours davantage la société, l'Etat, la vie de la communauté » dit Claudio Magris.

Véritable cri de colère, l'auteur retrouve la vertu du secret - ne pas tout dire, pour mieux se préserver du "nudisme psychologique" dont il est question.

« Qui dit secret dit invitation à le garder mais aussi le violer, deux impulsions contradictoires et souvent entrelacées avec ambigüité.

Un petit pamphlet nécessaire donc, au moment où tout le monde étale sa vie privée "secrète" sur tous les réseaux et où une « dose de dissimulation » serait salutaire.

Florence Balestas


Secrets, de ClaudioMagris, traduit par Jean Pastureau et Marie-Noëlle Pastureau,éditions Rivages, 2015

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