Savoir que Francis Navarre, sillonnant la Doulce France à moto, pratique un « régime un peu bas pour ne pas surcharger vilebrequin et embiellage » me laisse, je l’avoue, faute de compétences dans ce domaine, indifférente. Mais un auteur qui déclare n’avoir pas besoin de se pousser trop pour s’émerveiller… qui aime Georges Perec, Primo Levi et qui a lu huit fois « Le vide et le plein » de Nicolas Bouvier, mérite d’être accompagné dans ses pérégrinations ! J’ai donc enjambé les quelques éléments techniques du début pour le suivre avec délice dans les vignes de Champagne, sur le plateau de Millevaches ou à la Ferté-Vidame, village natal de Saint-Simon. Car le narrateur du bouillonnant « De l’Hexagone considéré comme un exotisme » est lui aussi accompagné, par des ombres tutélaires penchées sur son épaule (ou sur son guidon ?) : outre les traces du duc mémorialiste, il évoque celles d’autres compagnons, avec l’ânesse de Stevenson, parcourant les Cévennes, l’épervier de Maheux, village introuvable... C’est plein d’originalité, d’humour, de personnalité.
Plein de clins d’œil aussi. Les gazettes locales servent à matelasser un paletot devenu idéal. Le château est entièrement d’époque. D’aucuns rêvent d’échapper aux travaux ennuyeux et faciles. Quant aux descriptions d’objets, elles sont délicieuses, depuis le parapluie dont le mécanisme « emprunte à la palme et à l’aile, celle de la chauve-souris » jusqu’à l’humble toile cirée « raide et cassante comme une hostie », en passant par les effigies de La Pucelle, à Domrémy, « en statuette, en gravure, en buste, en pied et en cap », et même « en figurines de polyéthylène (…) dans des poses lascives et assez dénudées » !! Moi qui possède, encadrée, l’image estampée d’une plaque d’égout issue d’une venelle chinoise, je regarde maintenant d’un autre œil, grâce au livre, celles où sont gravées le PAM et le pont à sept arches, emblème des fonderies de Pont-à-Mousson.
J’ai ainsi cheminé avec l’auteur jusqu’au bout, jusqu’à ce hameau quasi désert habité seulement par deux frères et un pick-up Panhard de 1957, qui finira par ressusciter… Il est encore question ici de vilebrequin, de dynamo, de mode alternateur, mais comme Francis Navarre brosse le portrait du trio dans une langue puissante et poétique, je lui pardonne, je le remercie !
Hélène Honnorat
Merci Hélène pour cet avis circonstancié.
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