Imaginez un roman dont les éléments majeurs sont des ruches avec des abeilles bourdonnantes, une grenade, un cadavre que personne ne veut aller chercher, une thérapie par une sieste au-dessus des ruches à proposer au gouverneur de la région … et placez le tout dans un paysage dont les noms frémissent à nos oreilles depuis février 2022 : le Donbass, Marioupol, la Crimée.
Qu’est-ce qui fait que nous, lecteurs, allons nous attacher à un apiculteur vieillissant, séparé de sa femme et de sa fille, vivant dans un village déserté par tous sauf par son meilleur ennemi Pachka – qui pourrait être aussi une sorte d’ami – puis quittant son village pour une autre région où il pourra déposer ses ruches à proximité d’un champ, et enfin rejoignant la Crimée pour retrouver un ami apiculteur rencontré lors d’un congrès d’apiculture ?
C’est l’écriture.
Sans la plume du grand auteur ukrainien Andreï Kourkov, dont j’avais déjà tellement apprécié « Le Pingouin » que je vous recommande vivement, rien ne nous ferait tenir pendant les quatre cents pages des « Abeilles grises ». Raconter les péripéties de Sergueïtch serait inutile, les scènes se succédant, de plus en plus cocasses, tout au long de ce road movie, avec toujours ce regard tendre du créateur penché sur sa créature, un mélange de poésie et d’humanité.
Mais derrière les pérégrinations du personnage principal, on comprend que les tracasseries que vivent les Tatars en Crimée, les allers et retours dans une « zone grise » (où on ne sait pas qui tire sur qui et dans quel camp on se situe), et la présence menaçante de l’armée russe qui s’installe comme si elle était chez elle, est aussi l’un des meilleurs témoignages que l’on puisse partager de ce début d’agression territoriale menée par Poutine en Ukraine.
Il faut aller jusqu’au bout pour assister à la scène finale, feu d’artifice qui boucle l’introduction (on va retrouver les principaux éléments de bases de ce récit) : faut-il y voir une métaphore de l’invasion russe en Février 2022, date à laquelle le roman fut publié ? À vous de voir.
Il y aurait encore beaucoup à dire, mais le mieux est peut-être tout simplement, de courir en direction de votre librairie préférée ou à défaut de votre Médiathèque, pour vous procurer ce roman. Depuis le grand auteur ukrainien a publié un ouvrage mais pas un récit, son « Journal d’une invasion » qui sort actuellement : chronique, au jour le jour, des évènements vécus en Ukraine depuis Février 2022.
Mais ceci est une autre histoire, je reste pour ma part sous le charme de ces « Abeilles grises ».
Florence Balestas
"Les abeilles grises" d'Andrei Kourkov. Liana Levi, 2022. 400 p.
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