jeudi, février 06, 2025

"Les jardins de Torcello" de Claudie Gallay (France)


D’où vient le charme d’un livre de 400 pages où il ne se passe que très peu de choses ?

Un livre doté un lieu où on a l’impression d’avoir été plongé, immergé, conduit par la main jusqu’à la dernière page ?

Un livre où la poésie surgit au coin d’un paragraphe et dans lequel on se laisse bercer par le clapotis des phrases ?

D’où vient-il ?

Elle s’appelle Louise mais elle préfère qu’on l’appelle Jess. Ça sonne plus moderne, et ça l’éloigne de son destin tout tracé de femme de chambre née dans un hôtel familial.

Elle a 25 ans et toute la vie devant elle.

Elle est à Venise, elle habite un appartement magnifique, mais qu’elle va devoir quitter puisque son propriétaire le vend, tandis que professionnellement elle vit de visites insolites qu’elle organise pour des Français qui souhaitent voir autre chose que la Place San Marco.

Un peu par hasard, mais par l’entremise de son logeur (car, comme elle nous l’expliquera ensuite, Venise est un village et tous les Vénitiens se connaissent) elle rencontre un avocat qui lui propose de travailler pour elle. Il s’appelle Maxence Darsène, et surtout il vit dans une curieuse maison installée sur l’île de Torcello, en face de Venise, à proximité du continent et des îles de Burano et Mazzorbo.

Je ne savais rien de Torcello. J’ai donc fait des recherches, et selon Wikipédia, Torcello est devenue « l'île la plus peuplée et compte quelques milliers d'habitants au Xe siècle. L'envasement de ses canaux et la propagation de la malaria conduisent l'île à être peu à peu désertée. En 2018, Torcello ne compte plus que quatorze habitants (contre une soixantaine encore en 2009) ». 

Sur cette lagune baignée de lumière, mais sous la menace perpétuelle de la montée des eaux, vivent plusieurs personnages : tout d’abord Maxence, l’avocat pénaliste réputé, qui part régulièrement plaider à Milan, Colin, son amant, exubérant et jaloux, mais aussi Elio le jardinier, un homme étrange et taciturne, avec qui il conçoit le projet fou de faire revivre un jardin médiéval aux abords de la propriété où ils vivent tous. Maxence est français de père, et était très attaché à sa mère aujourd’hui défunte mais … il continue de lui parler dans un téléphone portable, un téléphone qu’il croit avoir déposé dans son cercueil.

Petit à petit, Jess s’installe parmi eux, tout en faisant des allers et retours à Venise pour son travail de guide, et elle découvre une communauté masculine attachante.

Mais tout ceci ne serait rien sans le paysage. Central dans ce roman, Claudie Gallay excelle à nous restituer sa mélancolie, ses miroitements selon le temps qu’il y fait, sa faune sauvage qui cohabite avec les animaux domestiques qui vivent dans la propriété. L’autrice est une grande connaisseuse de la cité italienne, qu’elle avait déjà pris pour décor dans « Seule Venise », un titre évocateur déjà.

Il faut toute la maîtrise de l’autrice de « Les Déferlantes » que nous sommes nombreux à avoir aimé à sa sortie, pour dépeindre des personnages parfois complexes mais combien attachants. Le personnage de Jess notamment, qui se cherche et apprend de ceux qui l’entourent, est vraiment attachant : on se projette dans cette jeune femme avide d’aventure, et qui ne cèdera pas devant la tentation de revenir à son destin initial.

Et puis il y a cette vision de Venise un peu décalée, vue en contre-jour à quelques encâblures du centre grâce à ces points de vue depuis cette île de Torcello, avec une écriture qui nous ensorcelle et nous embarque au rythme lent d’un vaporetto.

Magnifique évocation italienne, alternant tradition vénitienne avec le personnage de Maxence et modernité de la jeune Jess, je ne sais pas d’où Claudie Gallay a puisé ce récit, mais je sais qu’elle m’a touchée avec une exceptionnelle finesse.

Florence Balestas



"Les jardins de Torcello" de Claudie Gallay. Actes Sud, 2024. 416 p.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

N'hésitez pas à nous faire part de votre avis !