vendredi, avril 19, 2019

"Dernier train et autres nouvelles" de Jean-Louis Terrade (France)


Jean-Louis Terrade republie une série de neuf nouvelles, initialement publiées par les Editions Calmann-Lévy, chez un éditeur biterrois, les « Editions du Mont ».
Dans ces neuf nouvelles, le narrateur, qui est toujours un homme placé dans des contextes variés, vit des situations parfois étranges, parfois inattendues, relevant de l’univers professionnel ou de la vie quotidienne, bouclées par des chutes inopinées.
Si toutes les nouvelles puisent leur inspiration peu ou prou dans l’univers littéraire, rendant hommage à de grands auteurs du XXème siècle, deux d’entre elles sont très nettement placées sous l’égide de Jorge Luis Borges, le fameux écrivain et poète argentin qui a marqué son siècle.
Il y a souvent dans ces nouvelles une mise en abyme de la fonction d’écriture, comme dans la première,  « Dernier train », qui a donné son titre au recueil : sommes-nous dans un rêve (ou plutôt un cauchemar) lorsque le personnage principal, coincé dans une micheline qui l’emporte du côté de Limoges finit par chuter, dans un récit réel, ou bien sommes-nous dans la tête de l’écrivain en train d’écrire sa nouvelle ? De même dans la nouvelle « le Disparu », on sent dès les premières lignes l’influence borgésienne : une petite annonce attire l’attention du narrateur : un particulier cherche un livre introuvable – l’occasion pour le narrateur de marcher, de Bellac à Avignon, sur les pas de l’auteur prétendu disparu.

Deux autres nouvelles sont directement placées sous le signe de l’univers professionnel : sur fond d’antagonisme entre un dirigeant paternaliste et des syndicats revendicatifs, « la Récompense » met en scène un jeune outsider, envoyé directement du siège à Paris pour gérer les ressources humaines. Une prétendue récompense sèmera le trouble et engendrera le conflit, dans un contexte de lutte des classes affirmé. De même dans « Grève du rêve », le narrateur, envoyé en émissaire par la direction parisienne, a-t-il fort à faire pour démêler un conflit latent entre une usine située à une quinzaine de Montpellier, coincé un patron autoritaire qui teste son collaborateur – aujourd’hui on dirait pour voir sa capacité à être « corporate » et à porter les valeurs de l’entreprise – et les ouvriers de l’usine, tandis que les conflits vont grossissant.
D’autres nouvelles enfin se situent au Maghreb, dans un contexte de coopération militaire : dans « le Gardien », le narrateur, exilé dans son propre appartement qu’un gardien occupe indument, ne trouve guère de consolation que dans la lecture du « Château » de Kafka. Ce coopérant qui voit son logement squatté, montrant un personnage désemparé et passif vis-à-vis de la situation qu’il subit,  renvoie sans doute à un enfermement métaphorique contre lequel on ne peut lutter – une façon de rendre un bel hommage à Kafka et à ses personnages célèbres
Dans « Voyage au Tassili », le narrateur, tiraillé entre son ami et un flirt avec la sœur de celui-ci, suit un itinéraire dans le désert mené par un guide local qui n’a pas besoin de boussole pour prendre ses repères. De même dans « Les personnages », qui se situe quelque part dans une ville en proie au terrorisme - mais n’est-on pas plutôt dans un scénario adapté du « Balcon  en forêt » de Julien Gracq, transposé en Algérie, que dans une nouvelle ? – le scénario nous conduira jusqu’au drame final.
Que ce soit dans »La villa aux lapins » ou dans « Voyage au Tassili«, notre narrateur vit aussi quelques flirts ou élans physiques avec la gente féminine, mais semble peiner à entamer une relation durable et épanouie.
Jean-Louis Terrade observe donc son personnage principal, narrateur placé dans différentes circonstances, d’un regard froid et distancé, subissant de façon passive ce qui lui arrive et ne lui laissant aucune échappatoire.
Quant à son regard sur les femmes, il est expliqué très nettement page 164 :
« A ma femme qui me demandait les raisons de cette association, j’ai avoué – mais était-ce vraiment pour elle qui me connaît sur le bout des doigts une révélation – que mon intérêt, ma curiosité, passionnée parfois, m’ont toujours porté vers des êtres qui évoquaient, à tort ou à raison, de fantasques personnages littéraires. »
L’auteur est donc comme un entomologiste la loupe à la main, observant ses personnages évoluer sur la scène, sans véritable possibilité d’en réchapper, « C’est, je le pense sincèrement, une des perversions de la lecture que de favoriser chez le « lecteur pratiquant » le refus effréné du réel » fait-il dire à son narrateur.
Un trait qui parlerait de l’auteur lui-même ? Libre au lecteur de se faire une opinion, mais quoi qu’il en soit, il nous livre ici un exercice littéraire d’une grande précision, dans lesquels son personnage principal apparaît dans toutes les situations diverses toujours désemparé vis-à-vis de ce qui l’entoure, peu doué pour la décision ou l’ancrage dans la réalité, mais placé sous l’égide de grands écrivains du XXème siècle.
Des personnages d’une grande solitude en somme : une vision lucide mais peu amène de la condition humaine. 
Florence Balestas
Dernier train et autres nouvelles, Jean-Louis Terrade, éditions du Mont, février 2019

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