vendredi, décembre 11, 2020

"Impossible", de Erri de Luca (Italie)

 

Ils sont deux.

Deux, face-à-face. Qui s’affrontent, comme deux chamois mâles, qui ont pu être frères, mais qui, devenus adultes, ne se feront pas de cadeau dans l’affrontement.

Celui qu’affronte au début du récit le narrateur, c’est un magistrat.

Il est jeune, beaucoup plus jeune que le narrateur, et il n’a pas connu l’époque des « années de plomb » dont il est question. Il est persuadé de la culpabilité du narrateur, et il veut le prouver.

De quoi s’agit-il ? D’une histoire de montagnes.

Parti faire de l’escalade en solitaire dans un endroit très escarpé, le narrateur voit devant lui un autre alpiniste. Arrivé près d’une crevasse, il aperçoit un corps, tout au fond. Il donne l’alerte, attend les secours, puis repart. Et redescend dans la vallée.

Mais le magistrat a une autre version : l’alpiniste devant lui était quelqu’un que le narrateur connaissait très bien : anciens camarades de jeunesse, ils ont ensemble combattu le capitalisme avec les forces d’extrême gauche. Mais ce camarade, ce frère de cœur, a commis l’irréparable : il a « vendu » ses camarades pour bénéficier d’une remise de peine. Le narrateur, comme ceux qui ont été dénoncés avec lui, a purgé une longue peine de prison.

Or voilà que ce traitre, puisqu’il faut bien utiliser ce mot, était lui aussi dans la montagne. Mais lui n’en est jamais redescendu.

Banal accident de montagne ? Coïncidence ? Homicide opportuniste ? Meurtre prémédité ?

Tout est là et ce sont les échanges entre le magistrat et l’accusé, emprisonné le temps de l’enquête, qui vont être consignés comme un procès verbal d’audition pourrait le faire.

Dans ce court récit, le grand écrivain italien Erri de Luca explore la question de la vengeance contre un traitre qui a été précédemment un frère de cœur.

Peut-on tourner la page et oublier complètement son passé ? L’enfermement en prison laisse-t-il des traces, après le retour à la liberté ? Et si l’occasion se présente, un homme trahi se vengerait-il du traitre qui l’a livré ?

La douceur vient du contrepoint du récit : Erri de Luca alterne les procès verbaux de l’interrogatoire, avec des lettres que le narrateur écrit en prison à sa dulcinée. L’occasion de s’expliquer auprès d’elle sur ses sentiments et ses sensations, mais aussi de déployer son argumentation auprès du magistrat qui, bien que persuadé de la culpabilité de son prévenu, l’écoute, curieux du récit de cette époque, avec de plus en plus d’intérêt.

mercredi, décembre 09, 2020

"Trencadis" de Caroline Deyns (France)

Dans Trencadis, ce livre paru à la fin de l’été et construit comme une mosaïque, Caroline Deyns évoque sous forme romanesque la vie et le parcours artistique de Niki de Saint-Phalle :

« Trencadis est le mot qu’elle retient. Une mosaïque de céramique et de verre, lui explique-t-on. De la vaisselle cassée, recyclée, pour faire simple. Si je comprends bien, le trencadis est un chemin bref de la dislocation vers la reconstruction. »

Et c’est bien cela la vie de Niki de Saint-Phalle, une enfance disloquée, une enfant délaissée par sa mère, violée par son père, qui se marie à 18 ans, est très vite mère et qui bientôt quitte mari et enfants pour aller à Paris pour enfin tenter d’être elle-même.

mardi, décembre 08, 2020

"Freshkills" de Lucie Taïeb (France)


La lecture du livre de Lucie Taïeb,
Freshkills, recycler la terre, a fait remonter à ma mémoire une lecture ancienne, celle d’une nouvelle d’Alejo Carpentier, Vuelta a la semilla (Retour à la source ou à la semence), que je n’ai jamais oubliée : un vieil homme, assis sur un banc, regarde des ouvriers qui démolissent une grande maison et, au fur et à mesure que la maison s’écroule, lui la reconstruit mentalement et fait revivre son histoire.

Il me semble qu’on peut relier cette nouvelle au travail de Lucie Taïeb commencé avec sa thèse, Territoires de mémoire, l’écriture poétique à l’épreuve de la violence historique, (Garnier 2012), ouvrage passionnant qui est, au-delà d’un travail universitaire rigoureux, le fruit d’une démarche intime et profonde.

Cette même démarche, on la retrouve dans Freshkills publié en 2019 au Canada et qui vient de sortir à La Contre Allée dans la collection bien nommée, Un Singulier Pluriel.

mercredi, décembre 02, 2020

« A » de Louis Zukofsky (États-Unis)

 


A est l’œuvre d’une vie, celle de Louis Zukofsky, composite, adressée à son fils Paul et à sa femme Célia, A est l’œuvre majeure de l’objectivisme américain. 

Pour la première fois disponible en traduction française intégrale, cet art poétique, livre d’un siècle : un nouveau monde. Ce livre est cette machine qui tue les fascistes telle celle de Woody Guthrie.

 

Il n’y a qu’en Chine qu’on voit des choses pareilles :

« Honorable Monsieur,

Nous avons lu votre texte attentivement

mardi, décembre 01, 2020

"Histoires enfantines" de Peter Bichsel (Suisse allemande)


Quelques mots sur un petit livre qui m'accompagne depuis quelques années, quelques décennies même, et que je rouvre toujours avec le même plaisir : les Histoires enfantines de Peter Bichsel. Écrivain suisse allemand peu traduit en France (né en 1935 à Lucerne). Ses Histoires enfantines avait été publiées une première fois par Gallimard en 1971, soit dans la foulée de l'édition originale (1969) et c’est Le Nouvel Attila qui les a rééditées il y a quelques années enrichies d'illustrations.

Pleins d'humour et de sens de l'absurde, ce sont sept contes drolatiques et profondément philosophiques qui questionnent la vérité, le langage et le monde. Les personnages sont juste un peu bizarres, mais d'une logique sans reproche. Ainsi cet homme qui voulait savoir ce qu'il savait, qui voulait vérifier ce qu'il savait, à savoir si la terre est vraiment ronde. Et aussi cet homme gris qui vit dans un monde gris et commence à le changer en changeant les mots puis en réinventant la langue, rien que pour lui. Et encore ce grand-père qui parle de l'oncle Yodok et qui, jour après jour, réduit le langage à l'essentiel, aussi loin que cela peut se faire. Vous croiserez également un homme qui s'échine à inventer ce qui existe déjà, et cela est bien difficile... Autant de fables qui naviguent à contre-courant du réel pour mieux le questionner, le mettre en déséquilibre, jusqu'à nous laisser en suspens au bord de nos certitudes. Cela avec une bienveillance qui pourrait passer pour enfantine mais qui l'est beaucoup beaucoup moins qu'il n'y paraît.

samedi, novembre 28, 2020

"La grammaire de Dieu", de Stefano Benni (Italie)

 

C’est un peu par hasard – merci aux bibliothèques, des trésors de bonnes surprises – j’ai découvert l’univers de Stefano Benni, auteur italien né à Bologne en 1947, grâce à ce recueil de nouvelles « La Grammaire de Dieu ».

Avec une palette de sujets très large, l’auteur détaille les travers de nos vies contemporaines, avec un regard à la fois amusé – un brin moqueur – et bienveillant en y ajoutant souvent une forme d’exagération et d’emphase, propre à son style, comme s’il observait nos comportements à l’aide d’une loupe grossissante.

La nouvelle qui m’a fait le plus rire s’intitule « Plus jamais seul » : un homme qui n’a ni femme, ni amis ni même un « demi-ami » se désole. Magasinier dans un dépôt de médicaments, il va chez trois coiffeurs différents pour tuer le temps. Iris, la barmaid du Mocabar, son bar préféré, ne lui sourit jamais.

Mais sa vie va basculer lors qu’il tombe sur une publicité : « avec Soleil, plus jamais seul ».

Soleil est une marque de portable, et l’on voit une fille bronzée téléphonant à tout un tas d’amis. Notre héros a donc la solution : il lui suffit de pousser la porte de la boutique de téléphonie et la vie va lui sourire. A partir de là, Iris la barmaid l’interroge sur le modèle choisi. Son chef le considère enfin, et lui envoie des SMS  supposés être très drôles. Et même si personne ne l’appelle, il marche jusqu’à tard dans la rue, son téléphone à la main, jetant quelques phrases de ci-de là comme un homme moderne. Et parce que son téléphone ne sonne jamais, il trouve une parade : il s’achète un second portable, avec lequel il peut s’appeler très régulièrement …

On pense à l’humour génial de « La vie très privée de Mr Sim » de Jonathan Coe, quand il constate, avec un grand soulagement, au retour d’un voyage, qu’il a une centaine de messages dans sa boite mel … soulagement tout relatif quand il se rend compte que ces nombreux messages sont surtout des propositions publicitaires pour de l’achat de viagra en ligne.

Il faudrait encore citer le savant, recherchant partout l’homme « le plus seul du monde » mais qui aura de nombreuses déconvenues en découvrant que les hommes qui paraissent tout à fait seuls sont souvent d’excellents business men qui savent très bien communiquer sur leur pseudo solitude.

mercredi, novembre 25, 2020

"Entre fauves" de Colin Niel (France)


Après la Guyane où il nous a emmené plusieurs fois, c'est en Afrique du Sud, plus précisément en Namibie, que Colin Niel nous transporte, avec un ancrage du côté des Pyrénées, au cœur du Parc National et de la vallée d'Aspe. Au départ, une photo qui circule sur les réseaux sociaux, celle d'une jeune chasseresse au regard dur, voire cruel, avec son arc à la main et derrière elle le cadavre de sa victime : un lion parmi les plus rares et les plus protégés. À la brutalité de cette image qui exhibe la mort et la fierté ou le plaisir d'avoir tué, répond une autre violence qui veut pourrir la vie de cette chasseresse au travers des réseaux internet, la livrer à son tour en pâture à un autre type de chasseurs. Mais personne ne sait qui elle est. Personne ne parvient à l'identifier. Mais c'est sans compter sur Martin, le garde expérimenté du Parc National, qui va lui aussi se mettre en chasse…

jeudi, novembre 19, 2020

"L'autre moitié de soi", de Brit Bennett (Etats-Unis)

 

Desiree et Stella sont deux jumelles noires.

Nées dans une petite bourgade, Mallard, peuplée de personnes noires, à une époque où les noirs st les blancs ne se mélangent pas.

C’est un drame familial (le père, tué par des Blancs, pour d’obscures raisons) qui est à l’origine de leur histoire. Adolescentes, elles fugueront ensemble à la Nouvelle Orléans.

Mais là, leur destin va bifurquer. Desiree la plus sage en apparence, restera parmi les siens, épousera un homme très noir et aura une fille avec lui – Jude. Battue par ce mari violent, elle le quittera sur un coup de tête, pour rejoindre Mallard et retrouver sa mère, ainsi que le chasseur de primes, embauché par son mari pour la retrouver, mais lui-même amoureux de Desiree dans le passé, qui deviendra son compagnon et un père de remplacement pour Jude.

Quant à Stella, elle réussit, parce que sa couleur de peau le lui permet, à se faire passer pour une blanche. Et vivre une vie de blanche, épouser son patron, un riche business man, et même avoir une fille totalement blanche, prénommée Kennedy.

De la couleur de peau il est vraiment question dans tout ce roman trépidant, où l’on suit tour à tour l’histoire de Desiree qui revient à la maison, puis Jude jeune adulte fuyant sa mère et sa grand-mère, puis la quête de Desiree pour retrouver sa sœur – en vain.

Peut-on vivre en permanence sur un mensonge ? Ce roman pose bien sûr la question de l’identité.

samedi, novembre 14, 2020

"Saturne", de Sarah Chiche (France)

 

Selon la mythologie, Saturne est un Dieu dont la cruauté potentielle a été renforcée par son identification avec Cronos, connu pour avoir dévoré ses propres enfants. Selon le mythe, il devint roi des Dieux mais refusa de libérer les Cyclopes et les Cent-bras. Il se maria avec sa sœur Rhéa. On  prédit à Saturne qu'il serait lui-même détrôné par ses propres fils :  Il décida alors de manger tous ses enfants, Hestia, Cérès-Déméter, Junon-Héra, Pluton-Hadès, Neptune-Poséidon.

Nul doute que Sarah Chiche a placé son roman sous la tutelle d’un Dieu étonnant. Elle a aussi certainement vu la reproduction du tableau de Francisco de Goya, peinte entre 1819 et 1823 directement sur les murs de sa maison dans les environs de Madrid.

Son récit s’ouvre sur ce qui va engendrer le traumatisme dont la narratrice et auteure va souffrir toute son enfance : l’enterrement de son père, alors qu’elle n’a que 15 mois, et que personne ne lui dit explicitement que son père est mort.

Visiblement Sarah Chiche est née dans une famille que l’on peut considérer comme toxique – et elle va nous expliquer pourquoi, en le détaillant avec force détails. Harry, son père, est le cadet d’une fratrie de deux enfants, nés dans les années 40 en Algérie, dont le père est à la tête d’une grande clinique prospère. Après le retour douloureux en France, où comme de nombreux rapatriés toute la famille va souffrir du syndrome de l’exil, un second chapitre va s’écrire dans une clinique que le père va bâtir à l’image de celle d’Algérie.

En attendant la famille habite un château magnifique, où l’on fait bombance tous les jours. On tente de reformer le paradis d’Alger. Pendant ce temps, Harry, envoyé en pensionnat en Normandie, végète dans l’ombre de son frère aîné à qui tout réussit. Il va de soi qu’ils deviendront tous les deux médecins, comme le veut la tradition familiale, et la rare expression personnelle d’Harry qui dit son intérêt pour la psychanalyse est balayée d’un revers de main par son père.

jeudi, novembre 12, 2020

"Management 1.0 et réseaux sociaux : déjouer les rouages de la servitude volontaire", de Didier Romann (France)

 

J’aime bien le catalogue des Éditions L’Instant Présent, qui publient des livres autour de l’éducation et de la parentalité. Leur dernière publication est un peu différente mais tout aussi intéressante et même très intéressante : il s’agit d’un livre foisonnant, passionnant, rempli de réflexions et de pistes à explorer…

Son auteur est Didier Romann, qui a travaillé pendant 35 ans comme directeur des systèmes d’information.

Il a écrit ce livre pour nous raconter son expérience et nous faire partager ses réflexions sur le monde du travail aujourd’hui.

En introduction, il nous explique quels sont ses objectifs :

« Riche de mon expérience, je souhaite dénoncer l’ambiance détestable qui règne aujourd’hui dans la plupart des entreprises, avec ses effets dévastateurs sur le plan humain, mais aussi sur les performances économiques des organisations. Je nourris l’espoir d’une prise de conscience collective concernant la cupidité et l’irresponsabilité des acteurs du monde de la finance. »

L’auteur est à la fois très technique (quand il nous décrit les différentes facettes de son métier par exemple) et littéraire, lorsqu’il invente des pseudos ou des surnoms pour désigner ses collègues ou les managers, qui deviennent alors des personnages (qu’il nomme entre-autre : La Bienveillance, Cruella, le Félon, Monsieur Loyal, Narcisse, Le Patriarche, Persifleur, Le Tacticien, etc).

vendredi, novembre 06, 2020

Deux coups de coeur poésie (France-Grèce et France/Catalogne)

 


Le coup de cœur de l’année en poésie, poèmes en grec et en français par l’autrice Katerina Apostolopoulou, 

J’ai vu Sisyphe heureux est le formidable ensemble poétique à hauteur des œuvres des poètes grecs du XXème siècle, Ritsos, Elytis, Séféris, Sikélianos, Dimoula. 

 

Précieux livre à avoir toujours à portée de la main. Viatique de réconciliation avec le monde.

 

mercredi, octobre 28, 2020

"Le Pays de Mal au Cœur" de Philippe Vinard (France, Nouvelle-Calédonie)

Aujourd’hui à la retraite et vivant à Montpellier, Philippe Vinard a pendant plus de trente ans été consultant en santé publique dans le monde entier. C’est dans ses souvenirs et parfois dans les notes prises tout au long de sa vie qu’il plonge désormais pour nous raconter quelques uns des épisodes qui l’ont le plus marqués.

Il a déjà publié deux ouvrages aux Éditions Yovana, Les Sirènes du Kampuchéa (2019) et Comédies médicales (2020), qui regroupent des chroniques romancées nous racontant la vie étrange des travailleurs humanitaires dans des périodes historiques clés, au Cambodge pour le premier et au Tchad pour le second.

Ce nouvel opus , Le Pays de Mal au Cœur (suivi de Nou), est cette fois le récit de la découverte de la Nouvelle-Calédonie au début des années quatre-vingt par deux jeunes enseignants métropolitains exerçant dans un collège rural protestant. C’est une histoire à mi-chemin entre le roman et la description documentaire d’un milieu étonnant et méconnu. On y découvre beaucoup de choses, notamment sur l’histoire contemporaine de cette grande île.

"A la mesure de l’univers" de Jon Kalman Stefansson (Islande)

 


Après le très beau « Entre ciel et terre », récit d’une pèche nordique âpre et rude, après « Le cœur de l’homme », tout aussi digne d’une odyssée, Jon Kalman Stefansson publie ici un récit où il est question d’amour, et de mort, de musique, beaucoup, de poésie aussi, beaucoup – il faut dire que les Islandais y portent une attention toute particulière, beaucoup plus que nous, qui avons perdu de vue l’importance d’en lire.

 Il souffle un vent de nostalgie sur ce roman qui parle de destinées, d’enfant orphelin, de morts injustes, des étoiles la nuit, de l’alcool qui entraîne la violence et les coups parfois sur ceux ou celles qu’on aime.

On va croiser de nombreux personnages, que l’on suit sans linéarité sur trois générations, tels que  Margret et Oddur, le grand-père d’Ari, les femmes Veiga, Lilla, Sigga, mais aussi Tryggvi, et Jakob, le père d’Ari, Anna, sa dernière compagne, mais aussi Pordur, Svavar, Arni et bien d’autres.

Ari rentre en Islande pour voir son père Jakob, qui va bientôt mourir. On découvre alors Reyflavik (à ne pas confondre avec Reykjavik), une ville de pécheurs, parce que pécher du poisson c’est important.

 « Si nous oublions de tirer le poisson de la mer, ce poisson qui compte de plus en plus et qui, bientôt, sera plus important que l'agriculture, eh oui, qui l'eût cru, nous peinerons de plus en plus à survivre et notre rêve d'indépendance ne se réalisera pas. » pense Oddur, alors que son fils Pordur, très doué pour l’écriture, rêvasse sur le bateau où Oddur règne en maître. Peut-être est-il en train de composer un poème, ou d’écrire dans sa tête un récit épique – une écriture qui attirera l’attention d’un grand maitre de la poésie qu’est Gunar Gunnarsson - mais pour comprendre ce qu’il aurait peu advenir de Pordur, il faudra aller jusqu’au bout du récit.

vendredi, octobre 16, 2020

"L'Arrachée belle" de Lou Darsan (France)

 


Une fois encore, La Contre Allée délaisse les grands axes et nous emmène sur des chemins de traverse, à la découverte d’un univers singulier. Cet univers c’est celui de Lou Darsan, blogueuse, voyageuse, dont le premier ouvrage, « L’Arrachée belle », est paru il y a peu.

C’est un livre dans lequel on peut refuser d’entrer ; mais si on se laisse porter par le flot des mots, on est embarqué dans un voyage inoubliable et qui nous interroge.

Au centre du récit, il y a une jeune femme au mal-être profond. La ville où elle vit l’oppresse. Dans l’appartement qui est le sien elle étouffe. L’homme qui est son compagnon est devenu un étranger. Tout vacille autour d’elle et en elle. Elle a même peur de disparaître par la bonde de la baignoire.

Alors, dans un ultime sursaut, elle s’arrache à cette vie mortifère et elle part :

mardi, octobre 06, 2020

« Traduire ou perdre pied » de Corinna Gepner (France)

Corinna Gepner est traductrice, elle a même été la présidente de l’Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF). Germaniste, elle vient d’être récompensée avec le prix Eugen-Helmlé.

Dans ce texte fragmenté, elle nous livre ce qui l’anime, ce qui la pousse, ce qui la fait douter… en permanence ! Cela se lit d’une seule traite, c’est un pur régal.


Morceaux choisis :


« Plus je traduis, moins je sais. Plus j’ai d’habileté, plus le sol se dérobe sous moi, plus les mots, les phrases révèlent leur double, leur triple fond et bien plus encore. Je ne cesse de composer avec le vertige. Le texte, foncièrement, m’échappe, et pour travailler je dois faire comme si je savais, juste comme si. »

 

« La traduction est pour moi une lente et systématique destruction de ce que je croyais savoir. Car il y avait la croyance en un savoir possible et le désir de bâtir sur du solide. Cette croyance-là s’effrite de jour en jour. »

lundi, septembre 28, 2020

"L'intimité", de Alice Ferney (France)

 


La vie est une succession de drames.

Lorsque Alexandre vient déposer Nicolas, son beau-fils, chez sa voisine Sandra, parce qu’il conduit sa femme Ada à la maternité pour accoucher, il ne se doute pas qu’il reviendra avec le bébé prénommé Sophie, mais sans Ada morte d’un empoisonnement amniotique.

Alexandre va se torturer de culpabilité : c’est lui qui voulait absolument un fils de sa compagne, avec qui il n’était même pas marié, imposant son avis de « mâle » à Ada pour qu’elle porte son enfant.

Ensuite Alexandre va se morfondre : Sandra la libraire a beaucoup d’attrait et il la verrait bien remplacer Ada. Mais Sandra est une femme libre, indépendante et féministe, qui ne veut ni de vie de couple, ni d’enfants à porter. Même si elle porte un réel attachement désormais à Nicolas et Sophie, depuis le tragique accident de l’accouchement, elle ne prendra pas la place d’Ada.

Alors Alexandre va connaître un troisième drame.

Cherchant sur les réseaux sociaux à rencontrer une jeune femme pour refonder une famille, il va rencontrer Blanche, autrement dit Alba, qui va lui plaire dès le départ.

vendredi, septembre 18, 2020

Revue de presse occitane par François Szabó (Montpellier)


 

OC

revue

Numéro 133

Juin 2020

Montpelhièr


La revue OC signe un numéro spécial consacré à la ville de Montpellier et cet événement éditorial est un régal. On y parcourt les quartiers à travers les œuvres et les écrivains majeurs de la cité languedocienne dans cette langue d’Oc qui a fait ses preuves en littérature. Écouter bruire la langue occitane au détour des rues, retrouver l’âme douce d’une ville… Pourquoi donc se priver de ce bonheur là ?

À l’occasion du 800e anniversaire de la Faculté de Médecine, c’est une heureuse initiative que de proposer ce numéro spécial. Il est temps d’y goûter sans modération.




Cahiers Max Rouquette

Numéro 13

2019

Le Théâtre de Max Rouquette


L’œuvre de Max Rouquette, plus diversifiée que celle de Delavouët, plus grandiose encore que celle de Manciet et à l’égale mesure de la beauté de celle de Delpastre est un domaine immense qu’il nous faut visiter, revisiter. On connait Rouquette poète, novelliste, romancier. Ce numéro spécial bilingue des Cahiers Max Rouquette est consacré à son Théâtre. Ici le dramaturge est révélé dans ses lectures, ses œuvres majeures qui l’inspire, les mythes, et sa capacité vorace à exprimer une œuvre singulière avec humour « Le Glossaire » ou tragique « Médée » et cruauté « L’Épopée de Pappa Popov ».

François Szabó

« Âge Tendre » de Clémentine Beauvais (France)

 


Clémentine Beauvais, 31 ans, écrit pour la jeunesse, en anglais et en français, et a déjà plus d’une dizaine de livres à son actif qui tous ont été remarqués. (Dont « Les Petites Reines » (2015) qui a notamment obtenu le Prix du magazine Lire).

Elle publie, en cette rentrée littéraire, toujours aux Éditions Sarbacane, « Âge Tendre ».

Ce livre, dont le titre évoque un célèbre magazine et une non moins célèbre émission de radio, en tous cas pour ceux d’entre nous qui avaient 20 ans dans les années 60 (!), nous emmène dans un avenir assez proche où la présidente de la République (hé oui !) a imposé aux élèves qui sortent de 3ème un an de service civique. Valentin Lemonnier va effectuer ce stage dans les Hauts de France, à Boulogne-sur-Mer, dans un établissement pour personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer. Et plus spécifiquement dans une unité mnémosyne (en hommage à la déesse de la mémoire) où l’on a recréé pour les résidents l’ambiance des années 60-70, « un truc bien sixties, bien fleuri », dit l’autrice, « avec plein de Françoise Hardy ». Un univers « jacquesdemysé » !

mardi, août 18, 2020

« Barnum », de Virginie Symaniec (France)

Virginie Symaniec est une aventurière des temps modernes. Elle a monté sa maison d’édition indépendante, Le Ver à soie, à quarante-cinq ans (en 2013).

« Je n'ai pas eu le choix. Après des années à l'université, à courir derrière un poste de chercheuse qui n'existe pas, puisque je suis docteure en Histoire, habilitée à diriger des recherches, mais spécialiste de la Biélorussie, pays dont tout le monde se fout ; après des années de précarité en tant que chômeuse surdiplômée, je me suis demandé ce que je savais faire : pas grand-chose. Mais j'avais des compétences linguistiques et rédactionnelles, une expérience de traductrice et j'avais déjà travaillé dans des maisons d'édition à différents niveaux sans connaître toute la chaîne du livre. Je me suis dit que je pourrais faire cela : m'occuper de livres, de traductions, en montant une maison d'édition indépendante, je pensais d'abord à un site internet. Je n'avais pas encore conscience de ce que cela impliquait réellement, éditer : j'avais des compétences du point de vue des contenus mais tout à apprendre au niveau technique. » raconte-t-elle à Juliette Keating dans une longue interview publiée sur le site Médiapart.

(On notera que la Biélorussie connaît son heure de gloire et que c’est toujours des histoires de timing qui nous minent !)

Côté commercialisation (pour manger, il faut vendre...), elle a très vite compris qu’elle n’avait aucune chance de tirer son épingle du jeu en entrant dans La Chaîne du Livre. Lui est alors venue l’idée de raccourcir au plus serré cette chaîne en allant proposer directement ses livres sur les marchés du sud-ouest !

vendredi, août 14, 2020

"Eparses", de Georges Didi-Huberman (France)

 

« Éparses, les positions psychiques que chacun est susceptible de tenir au creux d’une seule, d’une simple expérience émotionnelle. »

« Éparses, les bribes de mémoire, matérielles ou psychiques, qu’une même histoire peut nous laisser en partage. »

« L’espace est immense, le temps est sans fin où souffle le vent du mal que l’homme sait faire à l’homme. Mais à cela résisteront, s’affronteront toujours quelques branches plus hardies que d’autres. Bras qui se lèvent depuis le fondamental désir de survivre, de s’en sortir, de désobéir à la mort. »

Un peuple n’est pas détruit malgré la tentative criminelle de destruction totale, génocide perpétré par les nazis, tant que la buée émanant de leur vie reste à la mémoire, tant qu’il existe des personnes pouvant rendre les nuances d’existences en péril avec des documents habillement conservés et le courage d’exhumer l’âme sensible et imaginative en faveur d’une vie qui même précaire, fait sens. Vérité des archives, ce voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, nous incite à lutter de toute notre foi contre les tentatives d’anéantissement de vie.

Georges Didi-Huberman nous livre, comme de coutume - car chacun de ses livres somptueux rythment les publications aux éditions de minuit - un essai plein de sensible résurgence des êtres ayant lutté dans le ghetto de Varsovie, avec ténacité, imagination, ardeur et par beaucoup d’amour, résistants se retrouvant dans cette maison d’édition justement emblématique de la résistance.

Indispensable.

François Szabó

Eparses, Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, de Georges, Didi-Huberman,  Les éditions de minuit, 2020

mardi, août 11, 2020

« Les Hortenses » de Felisberto Hernández (Uruguay)

« Un homme triste et pauvre qui vit de concerts de piano dans de petits cercles de province », c’est ainsi que Julio Cortázar évoque, dans la préface de l’édition française de ses contes, la figure de Felisberto Hernández, ce grand écrivain uruguayen, longtemps méconnu et pourtant l’égal de Juan Carlos Onetti ou de Horacio Quiroga.

Pianiste de talent qui joue des tangos dans des bars nostalgiques pour gagner trois sous c’est aussi un conteur de génie qui souvent se met en scène dans le Montevideo de son époque.

Mais rien de réaliste dans ce qu’il nous raconte, il nous entraîne dans une réalité autre, déformée, rêvée, recréée. « Ce qui est sûr, dit-il, c’est que je ne sais pas comment je fais mes contes car chacun d’entre eux a sa propre et étrange vie ».

Son monde est un monde étrange qui obéit à une logique qui nous échappe. Il ne faut pas chercher à comprendre mais plutôt se laisser porter par ce que Italo Calvino, qui admirait Felisberto, appelle « des sarabandes mentales ». Et on lâche facilement prise car le phrasé est musical, fluide, et on est véritablement envoûté.

lundi, août 03, 2020

"Dieu, le temps les hommes et les anges", de Olga TOKARCZUK (Pologne)

Voilà un récit qui ne ressemble à rien que je ne connaisse vraiment.

 »Dieu, le temps, les hommes et les anges » est une fable, un conte qui parle de beaucoup de choses à la fois.

Il y a d’abord le décor dans lequel tout se déroule : un petit village de Pologne, Antan, dont on apprend qu’il est traversé à l’Est par la rivière Blanche, et au nord-ouest se dirigeant vers le sud, la rivière Noire. On sait aussi que d’un côté Antan est gardé par l’archange Gabriel, de l’autre par l’archange Michel. On sait encore que « Antan est baigné par les deux rivières de même que par cette troisième, issue du désir éprouvé par l’une pour l’autre. La rivière née de l’union de la Noire avec la Blanche au pied du moulin s’appelle la Rivière. Elle poursuit son cours, calme et apaisée. »

Dans ce décor onirique, vivent plusieurs générations. On commence par Michel, qui va devoir partir à la guerre, malgré les pleurs de sa femme Geneviève. Mais Geneviève va donner la vie à Misia, au cours d’une nuit d’accouchement où un ange intervient de manière décisive.

Viendront plusieurs générations ensuite, et de nombreux personnages : Elie, Florentine, Isidor, Paul Divin, Perroquette, Ruth, Isidor et les autres.

Il y en a aussi qui vivent en marge de cette nature omniprésente sous la plume de l’écrivaine : la Glaneuse, qui « distinguait le contour d’autres mondes et d’autres temps, étendus au-dessus et au-dessous du nôtre.  De même que ces personnages étrangers : « le Mauvais bougre », qui délaisse les hommes pour la nature, ou encore « le Noyeur », qui tente de noyer les humains, ou encore le mycélium.

Mais il y a encore beaucoup d’autres choses dans ce récit...