Après la Guyane où il nous a emmené plusieurs fois, c'est en Afrique du Sud, plus précisément en Namibie, que Colin Niel nous transporte, avec un ancrage du côté des Pyrénées, au cœur du Parc National et de la vallée d'Aspe. Au départ, une photo qui circule sur les réseaux sociaux, celle d'une jeune chasseresse au regard dur, voire cruel, avec son arc à la main et derrière elle le cadavre de sa victime : un lion parmi les plus rares et les plus protégés. À la brutalité de cette image qui exhibe la mort et la fierté ou le plaisir d'avoir tué, répond une autre violence qui veut pourrir la vie de cette chasseresse au travers des réseaux internet, la livrer à son tour en pâture à un autre type de chasseurs. Mais personne ne sait qui elle est. Personne ne parvient à l'identifier. Mais c'est sans compter sur Martin, le garde expérimenté du Parc National, qui va lui aussi se mettre en chasse…
Donnant à chacun la voix, à commencer par le lion lui-même, l'auteur se fait pisteur et nous entraîne sur les traces des différents protagonistes du drame. On pourrait même dire de la tragédie car il y a dans ce récit quelque chose d'inéluctable qui se déroule, comme un destin auquel nul ne peut échapper. Une "machine infernale" dont chacun est un rouage qui tourne malgré lui, par instinct ou débordé par des pulsions, même lorsqu'il garde la conscience la plus claire qui soit de tout ce qu'il vit, ressent et fait.
Chaque personnage témoigne de ce qui se joue pour lui, mais aussi par lui : Charles, le lion du désert à la crinière sombre, solitaire et légendaire, tueur innocent qui ruse depuis si longtemps contre les hommes et décime parfois leurs troupeaux ; Martin, le garde, profondément révolté par ce que les humains ont pu faire subir, font depuis toujours subir à la nature et aux animaux ; Apolline, la jeune fille si discrète, éduquée depuis son plus jeune âge à la chasse par sa mère, disparue, et par son père ; Kondjima, le berger Himba, méprisé de tous et qui se rêve grand guerrier, sauveur de sa communauté. Autour de ces quatre là, d'autres personnages vont aussi jouer leur rôle pour nouer les fils de la tragédie, un père admiratif, une amante secrète et fière, un chasseur très sûr de lui… et l'un des derniers ours pyrénéens.
Tout se joue bien "entre fauves" : certains sont humains, d'autres pas. Ou plutôt, certains le sont plus que d'autres qui le sont un peu moins. Mais il semble bien qu'au bout du compte il n'y ait que des victimes. Victimes innocentes ou coupables, mais victimes.
Le lecteur peut être tenté de prendre le parti de tel ou tel personnage, mais cela n'implique pas de condamner les autres sans appel. S'ils ont tous leur part de responsabilité et de culpabilité, ils ont tous aussi leur part d'humanité et doivent composer avec ce qui s'impose à eux, à ce que d'autres humains leur imposent ou attendent d'eux.
Au delà de la construction habile d'un roman prenant, qui croise les voix et les jours, d'un récit d'aventure qui nous immerge dans une nature menacée qui ne pardonne rien aux intrus – que ce soit sous le soleil du désert ou dans la neige profonde, la nuit et le froid des Pyrénées – se découvrent les violences qui habitent chacun des personnages, chacun d'entre nous, et que des événements ordinaires, si ordinaires, peuvent faire exploser.
À noter que "Entre fauves" fait partie des romans sélectionnés pour le prix Joseph !
Marc Ossorguine
« Entre fauves » de Colin Niel. Éditions le Rouergue Noir, 2020. 352 p.
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