mardi, août 18, 2020

« Barnum », de Virginie Symaniec (France)

Virginie Symaniec est une aventurière des temps modernes. Elle a monté sa maison d’édition indépendante, Le Ver à soie, à quarante-cinq ans (en 2013).

« Je n'ai pas eu le choix. Après des années à l'université, à courir derrière un poste de chercheuse qui n'existe pas, puisque je suis docteure en Histoire, habilitée à diriger des recherches, mais spécialiste de la Biélorussie, pays dont tout le monde se fout ; après des années de précarité en tant que chômeuse surdiplômée, je me suis demandé ce que je savais faire : pas grand-chose. Mais j'avais des compétences linguistiques et rédactionnelles, une expérience de traductrice et j'avais déjà travaillé dans des maisons d'édition à différents niveaux sans connaître toute la chaîne du livre. Je me suis dit que je pourrais faire cela : m'occuper de livres, de traductions, en montant une maison d'édition indépendante, je pensais d'abord à un site internet. Je n'avais pas encore conscience de ce que cela impliquait réellement, éditer : j'avais des compétences du point de vue des contenus mais tout à apprendre au niveau technique. » raconte-t-elle à Juliette Keating dans une longue interview publiée sur le site Médiapart.

(On notera que la Biélorussie connaît son heure de gloire et que c’est toujours des histoires de timing qui nous minent !)

Côté commercialisation (pour manger, il faut vendre...), elle a très vite compris qu’elle n’avait aucune chance de tirer son épingle du jeu en entrant dans La Chaîne du Livre. Lui est alors venue l’idée de raccourcir au plus serré cette chaîne en allant proposer directement ses livres sur les marchés du sud-ouest !

vendredi, août 14, 2020

"Eparses", de Georges Didi-Huberman (France)

 

« Éparses, les positions psychiques que chacun est susceptible de tenir au creux d’une seule, d’une simple expérience émotionnelle. »

« Éparses, les bribes de mémoire, matérielles ou psychiques, qu’une même histoire peut nous laisser en partage. »

« L’espace est immense, le temps est sans fin où souffle le vent du mal que l’homme sait faire à l’homme. Mais à cela résisteront, s’affronteront toujours quelques branches plus hardies que d’autres. Bras qui se lèvent depuis le fondamental désir de survivre, de s’en sortir, de désobéir à la mort. »

Un peuple n’est pas détruit malgré la tentative criminelle de destruction totale, génocide perpétré par les nazis, tant que la buée émanant de leur vie reste à la mémoire, tant qu’il existe des personnes pouvant rendre les nuances d’existences en péril avec des documents habillement conservés et le courage d’exhumer l’âme sensible et imaginative en faveur d’une vie qui même précaire, fait sens. Vérité des archives, ce voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, nous incite à lutter de toute notre foi contre les tentatives d’anéantissement de vie.

Georges Didi-Huberman nous livre, comme de coutume - car chacun de ses livres somptueux rythment les publications aux éditions de minuit - un essai plein de sensible résurgence des êtres ayant lutté dans le ghetto de Varsovie, avec ténacité, imagination, ardeur et par beaucoup d’amour, résistants se retrouvant dans cette maison d’édition justement emblématique de la résistance.

Indispensable.

François Szabó

Eparses, Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, de Georges, Didi-Huberman,  Les éditions de minuit, 2020

mardi, août 11, 2020

« Les Hortenses » de Felisberto Hernández (Uruguay)

« Un homme triste et pauvre qui vit de concerts de piano dans de petits cercles de province », c’est ainsi que Julio Cortázar évoque, dans la préface de l’édition française de ses contes, la figure de Felisberto Hernández, ce grand écrivain uruguayen, longtemps méconnu et pourtant l’égal de Juan Carlos Onetti ou de Horacio Quiroga.

Pianiste de talent qui joue des tangos dans des bars nostalgiques pour gagner trois sous c’est aussi un conteur de génie qui souvent se met en scène dans le Montevideo de son époque.

Mais rien de réaliste dans ce qu’il nous raconte, il nous entraîne dans une réalité autre, déformée, rêvée, recréée. « Ce qui est sûr, dit-il, c’est que je ne sais pas comment je fais mes contes car chacun d’entre eux a sa propre et étrange vie ».

Son monde est un monde étrange qui obéit à une logique qui nous échappe. Il ne faut pas chercher à comprendre mais plutôt se laisser porter par ce que Italo Calvino, qui admirait Felisberto, appelle « des sarabandes mentales ». Et on lâche facilement prise car le phrasé est musical, fluide, et on est véritablement envoûté.

lundi, août 03, 2020

"Dieu, le temps les hommes et les anges", de Olga TOKARCZUK (Pologne)

Voilà un récit qui ne ressemble à rien que je ne connaisse vraiment.

 »Dieu, le temps, les hommes et les anges » est une fable, un conte qui parle de beaucoup de choses à la fois.

Il y a d’abord le décor dans lequel tout se déroule : un petit village de Pologne, Antan, dont on apprend qu’il est traversé à l’Est par la rivière Blanche, et au nord-ouest se dirigeant vers le sud, la rivière Noire. On sait aussi que d’un côté Antan est gardé par l’archange Gabriel, de l’autre par l’archange Michel. On sait encore que « Antan est baigné par les deux rivières de même que par cette troisième, issue du désir éprouvé par l’une pour l’autre. La rivière née de l’union de la Noire avec la Blanche au pied du moulin s’appelle la Rivière. Elle poursuit son cours, calme et apaisée. »

Dans ce décor onirique, vivent plusieurs générations. On commence par Michel, qui va devoir partir à la guerre, malgré les pleurs de sa femme Geneviève. Mais Geneviève va donner la vie à Misia, au cours d’une nuit d’accouchement où un ange intervient de manière décisive.

Viendront plusieurs générations ensuite, et de nombreux personnages : Elie, Florentine, Isidor, Paul Divin, Perroquette, Ruth, Isidor et les autres.

Il y en a aussi qui vivent en marge de cette nature omniprésente sous la plume de l’écrivaine : la Glaneuse, qui « distinguait le contour d’autres mondes et d’autres temps, étendus au-dessus et au-dessous du nôtre.  De même que ces personnages étrangers : « le Mauvais bougre », qui délaisse les hommes pour la nature, ou encore « le Noyeur », qui tente de noyer les humains, ou encore le mycélium.

Mais il y a encore beaucoup d’autres choses dans ce récit...