« Un homme triste et pauvre qui vit de concerts de piano dans de petits cercles de province », c’est ainsi que Julio Cortázar évoque, dans la préface de l’édition française de ses contes, la figure de Felisberto Hernández, ce grand écrivain uruguayen, longtemps méconnu et pourtant l’égal de Juan Carlos Onetti ou de Horacio Quiroga.
Pianiste de talent qui joue des tangos dans des bars nostalgiques pour gagner trois sous c’est aussi un conteur de génie qui souvent se met en scène dans le Montevideo de son époque.
Mais rien de réaliste dans ce qu’il nous raconte, il nous entraîne dans une réalité autre, déformée, rêvée, recréée. « Ce qui est sûr, dit-il, c’est que je ne sais pas comment je fais mes contes car chacun d’entre eux a sa propre et étrange vie ».
Son monde est un monde étrange qui obéit à une logique qui nous échappe. Il ne faut pas chercher à comprendre mais plutôt se laisser porter par ce que Italo Calvino, qui admirait Felisberto, appelle « des sarabandes mentales ». Et on lâche facilement prise car le phrasé est musical, fluide, et on est véritablement envoûté.
Au fil des phrases on découvre une grosse dame étrange qui semble sortie tout droit d’un tableau de Botero et qui vit dans une maison inondée ; un pianiste voyageur de commerce qui vend des bas de soie et pleure à la demande pour améliorer ses ventes ; une homme amoureux d’une drôle de dame qui ressemble à une vache ; une étrange maison noire où des poupées ressemblant à celles de Hans Bellmer vont conduire un homme au bord de la folie ; un autre homme qui pense avoir, dans une autre vie été cheval ; un balcon qui décide de s’effondrer… et bien d’autres choses encore.
Le lecteur est pris dans une sorte de jeux de miroirs (on pense à Cocteau qui disait que les miroirs feraient bien de réfléchir un peu avant de renvoyer les images).
Felisberto Hernández est un véritable magicien et il est impossible de résister à des phrases comme celles-ci :
« Tous ces souvenirs vivaient dans un recoin de ma personne comme dans un hameau perdu : un lieu qui se suffisait à lui-même et ne communiquait pas avec le reste du monde. Depuis de longues années, personne n’y était né et personne n’y était mort. » (p172)
ou encore : « Il y a quelques années déjà, j’ai commencé à me dire que j’avais dû être un cheval. A la tombée de la nuit cette pensée revenait en moi comme sous un hangar de ma maison. » (p229)
« Tout en continuant de lire, je pensais à l’innocence de la statue obligée de représenter un personnage qu’elle ne comprenait pas. » (p262) Alors, laissez-vous prendre par la main, lâchez les amarres, vous ne le regretterez pas !
(P.S. La traduction de Laure Guille Bataillon est superbe !)
Françoise Jarrousse
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