lundi, août 03, 2020

"Dieu, le temps les hommes et les anges", de Olga TOKARCZUK (Pologne)

Voilà un récit qui ne ressemble à rien que je ne connaisse vraiment.

 »Dieu, le temps, les hommes et les anges » est une fable, un conte qui parle de beaucoup de choses à la fois.

Il y a d’abord le décor dans lequel tout se déroule : un petit village de Pologne, Antan, dont on apprend qu’il est traversé à l’Est par la rivière Blanche, et au nord-ouest se dirigeant vers le sud, la rivière Noire. On sait aussi que d’un côté Antan est gardé par l’archange Gabriel, de l’autre par l’archange Michel. On sait encore que « Antan est baigné par les deux rivières de même que par cette troisième, issue du désir éprouvé par l’une pour l’autre. La rivière née de l’union de la Noire avec la Blanche au pied du moulin s’appelle la Rivière. Elle poursuit son cours, calme et apaisée. »

Dans ce décor onirique, vivent plusieurs générations. On commence par Michel, qui va devoir partir à la guerre, malgré les pleurs de sa femme Geneviève. Mais Geneviève va donner la vie à Misia, au cours d’une nuit d’accouchement où un ange intervient de manière décisive.

Viendront plusieurs générations ensuite, et de nombreux personnages : Elie, Florentine, Isidor, Paul Divin, Perroquette, Ruth, Isidor et les autres.

Il y en a aussi qui vivent en marge de cette nature omniprésente sous la plume de l’écrivaine : la Glaneuse, qui « distinguait le contour d’autres mondes et d’autres temps, étendus au-dessus et au-dessous du nôtre.  De même que ces personnages étrangers : « le Mauvais bougre », qui délaisse les hommes pour la nature, ou encore « le Noyeur », qui tente de noyer les humains, ou encore le mycélium.

Mais il y a encore beaucoup d’autres choses dans ce récit...

Il y a aussi le « Jeu ».

Qui ne s’est jamais posé les questions telles que «  D'où venons-nous ? », puis « Peut-on tout savoir ? », « Comment vivre ? », et « Où allons-nous ? ». Pour répondre à ces interrogations, le Châtelelain Popelski se voit offrir en effet un jeu étrange en forme de « grand labyrinthe circulaire. » On va suivre les différentes phases de cet  Ignis fatuus ou Jeu instructif pour un seul joueur  tout en déroulant l’histoire de Misia et de sa famille.

« Le Jeu est une sorte de chemin sur lequel se succèdent de multiples choix, annonçait le texte au début. Les choix s’effectuent automatiquement, mais parfois le joueur a l’impression de prendre des décisions raisonnées. Il se sent alors responsable de la destination prise et de ce qui l’attend au bout. Cette éventualité est susceptible de l’effrayer. »

Et puis il y a Dieu. Dieu que l’on retrouve à chaque étape décisive du jeu, mais aussi lorsque Isidor pense avoir trouvé sa vocation. Hélas, lorsqu’il explique ce qui le motive au moine qui garde le couvent, celui-ci le met en garde :

« Réparer le monde, dis-tu. C’est très intéressant, mais irréaliste. Le monde ne saurait être amélioré ni rendu pire. Il doit rester tel qu’il est. (…) Nous n’avons l’intention de réformer le monde. Nous réformons Dieu ». Et face à un Isidor sceptique il explique que « Chacun de nous se trompe en quelque matière importante. Tel est le propre de l’homme. Saint Malo, le fondateur de notre ordre, a prouvé que si Dieu était immuable, s’Il venait à se figer, le monde cesserait d’exister. »

Isidor ne rentrera pas au couvent. Il imaginera même Dieu sous l’aspect d’une femme, une « Dieusse », et cela le soulagera grandement. Et puis enfin, il aura une illumination, il comprendra que Dieu n’est ni homme ni femme et cette révélation lui apportera un véritable soulagement.

Il y a aussi de tous petits détails qui reviennent au fil des 390 pages, comme ce petit moulin à café, qu’on imagine retrouvé par l’écrivaine dans une maison de ses ancêtres, et à partir duquel elle aurait brodé et tissé cette histoire extraordinaire.

Faut-il entendre le nom d’Antan, comme celui d’un passé d’antan ? Possible.

Il y a donc tous ces ingrédients dans cette fable – une nature omniprésente et magique, les anges, Dieu, et le temps qui défile : naissance, vie et mort de ces personnages très vivants qu’on suit avec beaucoup d’attachement

Dans son discours prononcé à l’Académie suédoise samedi, Olga Tokarczuk, lauréate 2018 du prix Nobel de littérature, décrivait l’esprit de l’écrivain comme « un esprit synthétique, qui ramasse avec obstination tous les petits morceaux pour tenter de les recoller ensemble et créer un tout universel. »

C’est bien ce qu’elle cherche à faire avec « Dieu, le temps, les hommes et les anges », poussée par l’envie d’écrire « l’histoire d’un monde qui, comme toutes les choses vivantes, naît, se développe, puis meurt. ».

Tout cela, et bien d’autres choses encore. La Prix Nobel de Littérature 2018 (décerné en 2019) nous livre là à la fois un grand récit et une fable d’une très grande originalité – un livre à ranger dans la catégorie des grands.


Florence Balestas

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