mercredi, octobre 28, 2020

"Le Pays de Mal au Cœur" de Philippe Vinard (France, Nouvelle-Calédonie)

Aujourd’hui à la retraite et vivant à Montpellier, Philippe Vinard a pendant plus de trente ans été consultant en santé publique dans le monde entier. C’est dans ses souvenirs et parfois dans les notes prises tout au long de sa vie qu’il plonge désormais pour nous raconter quelques uns des épisodes qui l’ont le plus marqués.

Il a déjà publié deux ouvrages aux Éditions Yovana, Les Sirènes du Kampuchéa (2019) et Comédies médicales (2020), qui regroupent des chroniques romancées nous racontant la vie étrange des travailleurs humanitaires dans des périodes historiques clés, au Cambodge pour le premier et au Tchad pour le second.

Ce nouvel opus , Le Pays de Mal au Cœur (suivi de Nou), est cette fois le récit de la découverte de la Nouvelle-Calédonie au début des années quatre-vingt par deux jeunes enseignants métropolitains exerçant dans un collège rural protestant. C’est une histoire à mi-chemin entre le roman et la description documentaire d’un milieu étonnant et méconnu. On y découvre beaucoup de choses, notamment sur l’histoire contemporaine de cette grande île.

 

Voici d’ailleurs ce qu’en dit l’auteur dans l’avant-propos :

« Do Néva, le vrai pays en Houaïlou, n’est pas un simple collège protestant sur la côte est de la Grande-Terre en Nouvelle-Calédonie. Cette institution fut créée en 1903 par Maurice Leenhardt, un missionnaire qui est devenu un célèbre anthropologue. Son fondateur tout comme ses anciens élèves jouèrent un rôle important dans le réveil, puis l’émancipation du peuple kanak.

Do Kamo, le vrai homme, n’est pas un simple lycée protestant à Nouméa. Son nom reprend le titre d’un ouvrage de Maurice Leenhardt sur la personne et le mythe dans le monde mélanésien. L’établissement ouvrit en 1980 et permit à de nombreux Kanak, souvent formés d’abord à Do Néva, de devenir bacheliers. En effet, ce n’est qu’en 1960 qu’un Kanak a obtenu pour la première fois le baccalauréat. Avant la création de Do Kamo, moins d’une dizaine d’entre eux réussissaient chaque année cet examen et partaient faire des études en France.

J’ai eu la chance d’enseigner dans ces deux établissements de 1980 à 1985. J’ai voulu témoigner de cette expérience très enrichissante au travers de deux courts romans dont les personnages sont liés à ce collège et à ce lycée. Je me suis plus particulièrement intéressé à deux aspects importants mais rarement développés en Nouvelle-Calédonie : le rôle des femmes et la place des homosexuels.

Les personnages de ce livre sont fictifs mais ont été recomposés à partir de personnes ayant existé. Les faits sont réels et les dialogues sont authentiques. Que ceux qui ne s’y reconnaissent pas me pardonnent et que ceux qui s’y reconnaissent trop me pardonnent aussi. »



Nous y retrouvons donc André et Claude, jeunes hommes en quête de réalisation loin, très loin de leur famille. Ils croiseront la route de Rachel, la lingère du collège, de Bob, le directeur, de Jean-Marc et de ses camarades, les élèves, et toutes ces personnes seront autant de portes d’entrée qui leur permettront de découvrir les fonctionnements de la société kanak (terme invariable conformément aux préconisations de l’Académie des langues kanak) ainsi que les territoires sur lesquels elle s’est établie. Outre les inévitables antagonismes entre les visions européennes et mélanésiennes, on y retrouve les questionnements autour de l’alliance difficile entre la tradition et la modernité, entre le goût de s’établir et celui de voyager, etc.

 

Voici un petit extrait pour vous donner le ton :

« Ils furent très bien reçus par la mère de Bob dans une splendide case au milieu d’une grande pelouse bien tondue au sabre d’abattis. Ils firent la coutume et allèrent aux champs avec elle. Tout était beau et bien ordonné. Claude admira les systèmes de récupération de l’eau de pluie et comprit alors l’enthousiasme d’André. Mais en rentrant, ils croisèrent le grand chef avachi sur une natte, presque saoul. Il leur dit en hoquetant :

— Alors les profs de Do Néva, on ne sait pas faire la coutume ?

Claude et André ne savaient pas s’il fallait improviser un discours et sortir à nouveau un billet. Ils hésitaient mais le grand chef les interrompit :

— Vous allez me faire fissa !

Ils ne connaissaient pas ce mot mais le comprirent au geste du grand chef. L’harmonie du lieu avait été rompue. Claude commençait à en avoir marre de faire la coutume mais n’osait pas le dire.

 

De retour à Do Néva, les deux garçons se disputèrent bien entendu, sur la gouvernance des grands chefs coutumiers. Ils s’en référèrent à Bob qui leur affirma que c’était parfois utile d’avoir un chef faible. Il avait réponse à tout. Certains soirs, en accueillant des visiteurs, Bob racontait des récits captivants à propos de son travail sur un bateau australien, de sa lutte contre le pouvoir colonial et des conditions terribles qu’on lui avait infligées à cause de son engagement politique. Il aurait été envoyé pour faire son service militaire à Mururoa. Il en gardait une blessure au bras et il aimait en dénuder la cicatrice, marque visible de sa souffrance, sous-entendant qu’il ne pouvait malheureusement pas leur montrer les effets beaucoup plus graves des radiations atomiques.

André persistait dans son admiration pour Bob :

— Écoute ! Il a été exploité ! Mais il a su en tirer une grande sagesse et rester fidèle à sa culture.

— Ses récits sont toujours vagues. On ne sait jamais où cela se passe vraiment. C’est un beau parleur, c’est tout !»



Alors si vous êtes curieux d’en connaître un peu plus sur la Nouvelle-Calédonie, Le Pays du Mal au Cœur est une lecture qui vous embarquera et vous apprendrez plein de choses grâce à des personnages attachants. En prime, vous visiterez aussi plusieurs îles emblématiques du Pacifique Sud et ferez même un détour par Paris et la France que vous découvrirez à travers les yeux de Rachel, l’énigmatique Kanak !

 Laurence Holvoet

NB : À noter que ce titre est le premier des toutes nouvelles Éditions des Quatre Seigneurs ! Le second est déjà sorti aussi, c'est "L'escalier de la plage – Éclats d'analyse" de Dominique Bonniol, et le troisième est en préparation. Aventure à suivre, assurément !


« Le Pays de Mal au Cœur », de Philippe Vinard. Éditions des Quatre Seigneurs, 2020. 216 p.

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