vendredi, mars 27, 2020

"La fabrique du crétin digital", de Michel Desmurget (France)


Loin de moi l’idée de vouloir condamner les nouvelles technologies en vous parlant de ce livre, dans une période où elles nous permettent de nous rapprocher les uns des autres, de garder le contact avec nos proches, de travailler et étudier (vive Whatsapp qui me permet de continuer à donner des cours à distance depuis mon domicile !).

Toutefois, certaines des questions abordées par l’auteur méritent notre attention et la période que nous vivons peut être un bon moment pour nous interroger et tenter de prendre un peu de recul, éventuellement de songer à changer certaines de nos habitudes… ou en tout cas de prendre conscience des conséquences de nos habitudes sur notre santé ou sur celle de nos enfants.

Notons que Michel Desmurget est un chercheur spécialisé en neurosciences cognitives, qui s’appuie sur plusieurs études sérieuses  et s’enorgueillit d’être indépendant des GAFAM. 

Je vous invite vraiment à lire ce livre, surtout si vous êtes parents, et pour tenter de vous en donner un aperçu assez fidèle je citerai ici quelques-uns des points abordés par l’auteur.

Par exemple et pour commencer, il tente de remettre en question l’idée (fausse selon lui) que les jeux vidéo pourraient être bénéfiques pour les jeunes car ils développent la concentration. Il explique que les capacités développées par le joueur n’ont en fait rien à voir avec le type de concentration attendu dans le domaine scolaire :

« Pour être performant, le joueur doit constamment balayer l’espace visuel. Il doit être capable de repérer sans délai, dans la succession des scènes présentées, l’apparition de tout stimulus comminatoire ou configuration visuelle pertinente ; même à l’extrême périphérie du champ. »

Par conséquent, ces habiletés sont en fait handicapantes dans les apprentissages   :

« Bien que ces habiletés soient bonnes dans un environnement numérique, elles sont un handicap à l’école quand l’enfant est supposé ignorer le gamin qui gigote à côté de lui et se concentrer sur une seule chose. »

D’autre part, les jeux sur écran seraient selon lui néfastes dans la mesure où ils entravent le développement des capacités langagières, essentielles au développement intellectuel :

 « En pratique, l’influence délétère des écrans récréatifs sur le langage n’est pas très difficile à expliquer. Chez le jeune enfant, elle s’enracine dans l’appauvrissement des relations verbales précoces, notamment intrafamiliales. En effet, ces dernières soutiennent non seulement le développement linguistique mais aussi, plus profondément, l’ensemble du déploiement intellectuel. »

En effet, les écrans isolent chacun des membres de la famille dans sa bulle et limitent ainsi la communication entre eux : 

« Le problème, c’est que plus les membres du foyer passent de temps avec leurs gadgets numériques, moins ils échangent de mots. »

Il affirme que seule la lecture est à même d’aider les jeunes à acquérir un langage plus riche et élaboré :

« nos échanges quotidiens mobilisent un langage singulièrement modeste. Des mots comme « équation », « gravité », « invariable », ou « littéral », par exemple, dont la maîtrise ne semble pas vraiment superflue, se rencontrent infiniment moins souvent à l’oral qu’à l’écrit. »

Ainsi,
« c’est dans les livres et seulement dans les livres que l’enfant va pouvoir enrichir et développer pleinement son langage. »

Mais les effets délétères des écrans se font également sentir chez les adultes, dont les capacités d’attention sont fortement perturbées par les téléphones portables. Ainsi, il suffit qu’un téléphone sonne pour nous distraire et perturber notre concentration :
«on vous demande de réaliser un travail de synthèse. Vous êtes en train d’ordonner vos arguments, de les sélectionner, de les trier, de les structurer… et soudain votre téléphone vibre ou émet un bip d’avertissement. Que vous le vouliez ou non, votre attention s’oriente immédiatement vers le message entrant. S’ensuivent plusieurs questions : dois-je regarder, dois-je patienter, dois-je répondre, qui cela peut-il être, etc. ? Le problème, c’est que, même si vous décidez rapidement d’ignorer la perturbation, le mal est fait au sens où il ne s’agit plus alors, comme on pourrait le croire, de récupérer le fil d’une réflexion momentanément interrompue mais fidèlement stockée quelque part dans votre cerveau ».

De plus, toutes les applications qui sont censées nous aider dans notre quotidien limitent en fait notre autonomie, notre libre arbitre, notre liberté de choix et notre réflexion :

« Plus ces applications deviennent intelligentes, plus elles se substituent à notre réflexion et plus elles nous permettent de devenir idiots. Déjà elles choisissent nos restaurants, trient les informations qui nous sont accessibles, sélectionnent les publicités qui nous sont envoyées, déterminent les routes qu’il nous faut emprunter, proposent des réponses automatiques à certaines de nos interrogations verbales et aux courriels qui nous sont envoyés, domestiquent nos enfants dès le plus jeune âge, etc. Encore un effort et elles finiront par vraiment penser à notre place. »

Mais la critique la plus grave concerne sans doute les effets sur le sommeil, des jeunes surtout : une étude révèle par exemple que 20% des ados déclarent être réveillés par leur smartphone plusieurs nuits par semaine !

Selon l’auteur, « Ces discontinuités imposées au sommeil ont évidemment un lourd impact sur le fonctionnement cognitif et émotionnel des utilisateurs. »

Une autre étude a montré que « les participants qui utilisaient un média électronique pour s’endormir (télé, jeux vidéo et/ou musique) se couchaient plus tard et présentaient un temps de sommeil notablement réduit (environ 30 minutes). Une influence inverse fut observée pour les livres dont l’action sur le temps sommeil se révéla, via l’anticipation de l’heure de coucher, légèrement positive (de l’ordre de 20 minutes). »

Michel Desmurget, vous l’avez bien compris, nous invite à avoir une vraie réflexion sur nos pratiques et, surtout, sur les usages que font nos enfants des écrans.
C’est le mérite de ce livre. Je regrette toutefois qu’il n’ait pas analysé et décrit plus en profondeur les mécanismes susceptibles d’amener les utilisateurs des jeux vidéo et des réseaux sociaux vers l’addiction.

Par contre, lorsqu’il affirme l’extrême importance de la lecture, les lecteurs passionnés que nous sommes ne le contredirons pas…
Au cas où nous l’aurions perdue, retrouvons l’excellente habitude de la lecture du soir, pour endormir les enfants et pour détendre les adultes !

Rachel Mihault

La fabrique du crétin digital, de Michel Desmurget, éditions du Seuil, 2019

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