Joseph Ponthus était un homme fragile, extrêmement attachant, ses choix de vie en sont la preuve. Le cancer a eu raison de lui. Il avait 42 ans. Il nous laisse en héritage ce très beau livre poème paru il y a deux ans à La Table Ronde, À la ligne. À travers sa propre expérience c’est un magnifique hommage qu’il rend à tous les travailleurs de l’ombre :
Pour rejoindre la femme qu’il aime, cet homme au parcours atypique (hypokhâgne, khâgne puis éducateur en région parisienne) part pour la Bretagne et ne trouve pas de travail dans son domaine. Alors il embauche, « pour les sous » dit-il, comme intérimaire dans une conserverie de poisson puis dans un abattoir. Et il nous raconte cette expérience qui a été pour lui comme une déflagration de travail à la ligne, on ne dit plus à la chaîne.
Ce livre c’est une sorte de journal de bord où il dit qu’il s’est pris l’usine en pleine gueule. Il parle avec précision et aussi avec humour de ce travail à la ligne où il faut trouver le bon geste, le bon rythme, où l’on passe de la crevette au bulot, du tofu aux carcasses de vaches, où l’on travaille de façon fractionnée à des heures impossibles. Travail que l’on ne peut supporter qu’en s’évadant.
Et lui, il tient grâce à ses souvenirs littéraires et musicaux ; il pense à Barbey d’Aurevilly, à Dumas, Apollinaire, Cendrars, Claudel, aux chansons de Barbara et Brel et surtout à Trenet, qu’il appelle le Grand Charles, dont le côté surréaliste (la folle complainte) et joyeux est un beau contrepoint au monde absurde de l’usine. Il ne retrouve un peu de sérénité que les fins de semaine avec son épouse et son chien mais il est épuisé. Ce livre, c’est une véritable odyssée, un livre sur la fraternité qui nous fait, nous aussi, aller à la ligne parce qu’il est écrit sous forme d’un long poème en prose dont aucun mot n’est inutile et qui est d’une sincérité absolue. Un exemple :
« Et tous ces textes que je n’ai pas écrits
Pourtant mille fois écrits dans ma tête sur mes
lignes de production
Les phrases étaient parfaites et signifiantes
S’enchaînaient les unes aux autres
Implacablement
Où les alexandrins sonnaient comme Hugo
Tant sur la machine que sur l’humanité
Des sonnets de rêve
J’avais même réussi à faire rimer
Abattoir et foutoir
Crevette et esperluette
Usine et Mélusine
Mais
À peine rentré
Ivre de fatigue et des quelques verres du retour du
boulot
Tout s’oublie
Devant l’étendue du quotidien
Il n’y a plus que l’ivresse du repos. »
Et il y a ces derniers mots qui ont aujourd’hui une saveur particulière :
« Il n’y aura jamais
De Point final
À la ligne. »
Françoise Jarrousse
« À la ligne » de Joseph Ponthus. La Table Ronde, 2019. 272 p.
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